Выбрать главу

— Mmmm, dit Marlène.

— C’était le seul corps planétaire gravitant autour de Némésis, mais cela suffisait. Sa masse est cinq fois …

— Je sais, maman. Cinq fois la masse de Jupiter et le trentième de celle de Némésis. L’ordinateur m’a appris cela depuis longtemps.

— C’est vrai, ma chérie. Et elle n’est pas plus habitable que Jupiter ; moins, même. Si une planète se trouve assez près d’une étoile comme Némésis pour que l’eau reste liquide à sa surface, l’influence des marées l’oblige à tourner toujours la même face vers cette étoile.

— N’est-ce pas ce que fait Mégas ?

— Si. Ce qui veut dire qu’il y a une face brûlante et une face plus froide. La première serait chauffée au rouge si la circulation de l’atmosphère, assez dense, ne tendait à égaliser un peu les températures. Même le côté froid est assez chaud du fait de la circulation et de la chaleur interne de Mégas. Ce sont là des traits que nous n’avions jamais rencontrés auparavant en astronomie. Et nous avons découvert que Mégas a un satellite ; ou, si l’on considère Mégas comme une très petite étoile, elle a une planète … Erythro.

— Mais, maman, tout ce tapage autour de Mégas et d’Erythro, c’était il y a onze ans. Depuis, tu n’as pas réussi à jeter subrepticement un coup d’œil sur les spectres de Némésis et du Soleil ? Tu n’as pas ta petite idée là-dessus ?

— Eh bien … »

Marlène se hâta de dire : « Je le sais.

— A mon expression ?

— A toute ta personne.

— Ce n’est pas très facile de parler avec toi, Marlène. Oui, j’ai ma petite idée.

— Qui est ?

— Que Némésis va vers le système solaire. »

Il y eut un silence. Puis Marlène dit, à voix basse « Il va y avoir une collision ?

— Pas d’après mes calculs. Ni avec le Soleil, ni avec la Terre, ni avec aucune autre planète du système. Mais, elle va tout de même détruire la Terre. »

14

Marlène voyait bien que sa mère n’aimait pas évoquer la destruction de la Terre, qu’il y avait en elle des tensions qui inhibaient son discours et qu’elle cesserait de parler si on la laissait à elle-même. Son expression — elle s’était un peu écartée, comme si l’envie de partir la démangeait, elle se léchait très délicatement les lèvres, comme pour essayer d’enlever le goût de ses paroles — était l’évidence même pour Marlène.

Mais elle ne voulait pas que sa mère se taise. Elle désirait en savoir plus.

« Si Némésis ne heurte rien, pourquoi détruirait-elle la Terre ? dit-elle avec douceur.

— Laisse-moi t’expliquer. La Terre tourne autour du Soleil, comme Rotor autour d’Erythro. Si, dans le système solaire, il n’y avait que le Soleil et la Terre, celle-ci tournerait sur la même orbite presque éternellement. Je dis « presque » parce que, en tournant, le Soleil émet des ondes gravitationnelles qui freinent la vitesse de la Terre et l’amènent à se rapprocher très, très lentement de lui. Laissons cela.

« Mais la Terre n’est pas seule. La Lune, Mars, Vénus, Jupiter, tous les objets planétaires du voisinage l’attirent. Cette attraction est minime comparée à celle du Soleil, et la Terre reste plus ou moins sur son orbite. Cependant, ces attractions mineures, qui varient en direction et en intensité selon les déplacements des différents corps, introduisent de petites modifications dans l’orbite de la Terre. Celle-ci se rapproche ou s’éloigne légèrement du Soleil, son axe change d’inclinaison, son excentricité se modifie un peu, etc.

« On a observé que tous ces changements mineurs sont cycliques. Ils vont et viennent indéfiniment et la Terre, dans son orbite autour du Soleil, oscille légèrement d’une douzaine de manières différentes, ce qui ne l’empêche pas d’abriter de la vie. Au pire, cela peut provoquer une ère glaciaire ou une disparition des glaces, ainsi qu’une élévation ou un abaissement du niveau de la mer, mais la vie a survécu à tout cela pendant plus de trois milliards d’années.

« Maintenant, supposons que Némésis passe à toute vitesse sans rien heurter, c’est-à-dire qu’elle ne s’approche pas à plus d’un mois-lumière. Moins d’un billion de kilomètres. Au passage, elle transmettra une poussée gravitationnelle au système. L’oscillation de la Terre augmentera pour un certain nombre d’années, puis, quand Némésis sera partie, elle se calmera de nouveau.

— Pourquoi serait-ce si grave, si l’oscillation redevient comme avant après le passage de Némésis ?

— Est-ce que ce sera vraiment comme avant ? C’est tout le problème. Si la position d’équilibre de la Terre est un peu différente … si elle est un peu plus loin du Soleil, ou un peu plus près, si son orbite est un peu plus excentrique ou son axe un peu plus incliné, ou un peu moins … Même un petit changement de climat peut rendre une planète inhabitable.

— Peux-tu le calculer à l’avance ?

— Non. Rotor n’est pas un bon endroit pour calculer ça. Il oscille, lui aussi, et beaucoup. Il faudrait un temps considérable et énormément de calculs pour déduire de mes observations effectuées ici quel chemin prendra exactement Némésis … et nous n’en serons vraiment sûrs que lorsqu’elle sera bien plus près du Soleil, longtemps après que je serai morte.

— Alors, tu ne peux pas dire exactement à quelle distance du soleil passera Némésis.

— C’est presque impossible à calculer. Il faut tenir compte du champ gravitationnel de chaque étoile voisine, dans un rayon de douze années-lumière. Le plus minuscule effet non calculé peut, sur deux années-lumière, créer une déviation telle qu’un risque de collision peut se réduire, en réalité, à un passage au large. Et réciproquement.

— Le Gouverneur dit qu’à l’arrivée de Némésis, les gens auront le temps de quitter le système solaire s’ils le veulent vraiment.

— Peut-être. Mais comment dire ce qui se passera dans cinq mille ans ?

— Même si on ne les avertit pas, dit Marlène, un peu embarrassée de signaler un truisme astronomique à sa mère, ils le découvriront tout seuls. Forcément. Némésis se rapprochera et ils ne pourront pas ne pas l’apercevoir ; ils calculeront sa trajectoire avec plus de précision lorsqu’elle sera plus près.

— Mais ils auront moins de temps pour se préparer à fuir … si cela s’avère nécessaire. »

Marlène regarda ses orteils. Elle dit : « Maman, ne te mets pas en colère contre moi. J’ai l’impression que tu serais malheureuse, même si tous les habitants du système solaire s’en tiraient sains et saufs. Il y a quelque chose d’autre qui ne va pas. Je t’en prie, dis-le-moi.

— L’idée que tout le monde va quitter la Terre ne me plaît pas. Même si c’est fait méthodiquement, avec tout le temps voulu et des pertes négligeables, je n’aime pas cela. Je n’ai pas envie que la Terre soit abandonnée.

— Tu y as fait des études, n’est-ce pas ?

— Mon doctorat d’astronomie. Je n’aimais pas la Terre, mais peu importe. C’est de là qu’est issue l’humanité. Tu comprends ce que cela signifie, Marlène ? Même si je n’en pensais pas grand bien quand j’y étais, c’est tout de même le monde où la vie a évolué pendant une période incommensurable. Pour moi, ce n’est pas seulement une planète, mais une idée, une abstraction. Je tiens à elle à cause du passé.