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— Oui. Et alors j’ai demandé : ‘‘Pourquoi ? Où va Rotor ?’’ et elle a répondu, ‘‘Vers les étoiles.’’

— Ce n’est pas vrai, Crile. Tu savais déjà qu’ils avaient l’intention d’aller vers les étoiles, mais elle a dit : ‘‘Si tu comprenais où nous allons …’’ C’était donc quelque chose que tu ne savais pas. Qu’est-ce que tu ne savais pas ?

— De quoi parles-tu ? Comment peut-on savoir ce qu’on ne sait pas ? »

Wyler écarta le sujet d’un haussement d’épaules. « As-tu dit cela au Bureau lorsqu’on t’a interrogé ? »

Fisher réfléchit. « Je pense que non. Je n’y ai même plus pensé jusqu’à ce que je me mette à te raconter comment j’ai failli rester. » Il ferma les yeux, puis dit lentement : « Non, c’est la première fois que j’en parle. C’est la première fois que j’y pense, même.

— Très bien. Maintenant que tu y penses … Où allait Rotor ? As-tu entendu parler de sa destination ? Des rumeurs ? Des hypothèses ?

— On pensait que c’était vers Alpha du Centaure. Vers quel autre endroit ? C’est l’étoile la plus proche.

— Ta femme était astronome. Qu’en disait-elle ?

— Rien. Elle n’en a jamais parlé.

— C’est Rotor qui en a envoyé la Grande Sonde.

— Je sais.

— Et ta femme travaillait sur ses données … en tant qu’astronome.

— Oui, mais elle n’en parlait jamais, et moi non plus. Ma mission aurait été interrompue, on m’aurait peut-être mis en prison … ou exécuté … si j’avais montré trop ouvertement une curiosité déplacée.

— Mais en tant qu’astronome, elle devait connaître leur destination. Comme elle l’a dit, ‘‘Si tu comprenais …’’ Tu vois ? Elle savait et si tu avais su aussi … »

Fisher ne semblait pas passionné. « Puisqu’elle ne m’a pas dit ce qu’elle savait, je ne peux pas te le répéter.

— En es-tu sûr ? Elle n’a pas fait une petite remarque dont tu n’aurais pas compris l’importance à l’époque ? Après tout, tu n’es pas astronome et elle a pu te dire quelque chose que tu n’as pas bien saisi. Tu ne te souviens pas d’une chose qu’elle aurait dite et qui t’aurait intrigué ?

— Je ne crois pas.

— Réfléchis ! Se peut-il que la Grande Sonde ait repéré un système planétaire qui graviterait autour de l’une des étoiles, semblables au Soleil, du système du Centaure ?

— Je ne vois pas.

— Ou des planètes gravitant autour d’une autre étoile ? »

Fisher haussa les épaules.

« Réfléchis ! dit Wyler d’un ton pressant. As-tu une raison quelconque de penser qu’elle voulait dire : ‘‘Tu crois que nous allons vers Alpha du Centaure, mais il y a des planètes qui gravitent autour et c’est vers elles que nous nous dirigeons.’’ Ou bien : ‘‘Tu crois que nous allons vers Alpha du Centaure, mais nous nous dirigeons vers une autre étoile où nous sommes certains qu’il y a une planète habitable.’’ Quelque chose comme ça ?

— Il m’était impossible de le deviner. »

Garand Wyler pinça un moment ses lèvres généreuses. Puis il dit : « Je vais te dire quelque chose, Crile, mon vieil ami. Trois choses peuvent maintenant se produire. Premièrement, tu vas être soumis à un autre interrogatoire. Deuxièmement, je suppose qu’il va nous falloir persuader la colonie de Cérès de nous laisser utiliser son télescope pour inspecter, très attentivement, toutes les étoiles dans un rayon de cent années-lumière autour du système solaire. Et troisièmement, nous allons secouer nos hyper-spatiaux pour qu’ils sautent un peu plus haut et un peu plus loin. Tu vas voir si ça ne se passe pas comme ça. »

Chapitre 9

Erythro

16

De temps à autre, mais de plus en plus rarement au fil des ans, Janus Pitt se carrait dans son fauteuil, seul et en silence, et laissait son esprit se détendre. Quand il n’y avait pas de données à assimiler, pas de décisions immédiates à prendre, personne à voir, personne à écouter, personne à contrecarrer, personne à encourager …

Et toujours, lorsqu’un tel moment se présentait, il s’offrait l’ultime luxe — le plus inépuisable de tous : il s’apitoyait sur lui-même.

Les choses s’étaient déroulées comme il l’avait prévu. Dès l’âge adulte, il avait décidé qu’il serait gouverneur, parce qu’il pensait que personne ne pouvait diriger Rotor aussi bien que lui ; et maintenant qu’il l’était, il n’avait pas changé d’avis.

Mais pourquoi tous ces idiots de Rotoriens étaient-ils incapables de voir à long terme, comme lui ? Il y avait quatorze ans qu’ils étaient partis et personne ne voyait vraiment l’inéluctable, même après qu’il se fut donné la peine de le leur expliquer soigneusement.

Un jour, là-bas, dans le système solaire, plus tôt que prévu, quelqu’un allait mettre au point l’hyper-assistance, comme les hyper-spatialistes de Rotor l’avaient fait … peut-être plus efficacement encore. Un jour, l’humanité et ses milliards de membres, dans ses centaines et ses milliers de colonies, se mettrait en route pour coloniser la Galaxie, et ce serait une époque cruelle.

Oui, la Galaxie était immense. Combien de fois avait-il entendu cela ? Et plus loin, il y avait d’autres galaxies. Mais l’humanité ne se disperserait pas régulièrement. Toujours, il y aurait des systèmes solaires meilleurs que d’autres, pour une raison ou pour une autre, et on se battrait pour eux. S’il y avait dix systèmes solaires et dix colonies, elles piqueraient droit, toutes les dix, vers un seul système solaires.

Tôt ou tard, elles découvriraient Némésis et les colonisateurs apparaîtraient. Comment Rotor survivrait-il, alors ?

Il fallait gagner le plus de temps possible, édifier une civilisation forte et s’étendre raisonnablement. Avec un peu de temps, l’on pourrait s’emparer d’un amas d’étoiles. Sinon, il faudrait se contenter de Némésis … à condition de la rendre imprenable.

Pitt ne rêvait pas de conquête universelle, ni de conquête tout court. Ce qu’il désirait, c’était une île de tranquillité et de sécurité en vue des temps où le conflit des ambitions plongerait la Galaxie dans le chaos et la guerre.

Mais il était le seul à voir cela. Il était le seul à en porter le poids. Il vivrait peut-être encore un quart de siècle et resterait sans doute au pouvoir durant tout ce temps-là, soit comme gouverneur, soit en tant que vieil homme d’État dont la parole aurait force de loi. Cependant, pour finir, il mourrait … et à qui pourrait-il alors léguer sa clairvoyance ?

Pitt s’apitoyait un peu sur lui-même. Il avait peiné longtemps, il allait continuer longtemps encore, et pourtant personne ne l’appréciait … à sa juste valeur. Et tout cela prendrait fin car l’Idée serait noyée dans l’océan de médiocrité qui vient constamment lécher les chevilles de ceux qui voient plus loin que le présent.

Quatorze ans s’étaient écoulés depuis le Départ et quand avait-il eu pleinement confiance ? Il se couchait, chaque soir, avec la peur d’être réveillé en pleine nuit par la nouvelle qu’une autre colonie spatiale était arrivée … qu’on avait découvert Némésis …

Tout au long de la journée, une part cachée de lui ne prêtait aucune attention à ce qui était à l’ordre du jour, mais guettait, guettait les paroles fatidiques.

Quatorze ans … et ils n’étaient toujours pas en sécurité. On avait créé une autre station spatiale, Rotor Deux. Des gens y vivaient, mais c’était un monde nouveau, bien entendu. Il sentait encore la peinture, comme on disait autrefois. Trois autres stations étaient en construction.