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— Pourquoi moi ?

— Parce que ton ex-femme était à la tête du programme de la Grande Sonde.

— Pas vraiment. Elle est devenue astronome en chef après que les données ont été recueillies.

— Mais elle en faisait partie avant. Elle ne t’a jamais parlé d’une découverte qu’ils auraient faite grâce à la Grande Sonde ?

— Pas un mot. Attends, tu as dit que les caméras de la Grande Sonde étaient capables de photographier presque toutes les régions du ciel.

— Oui.

— Ça fait combien, « presque toutes les régions » ?

— Je n’ai pas les chiffres exacts. Mais je pense que c’est au moins quatre-vingt-dix pour cent.

— Ou plus ?

— Peut-être plus.

— Je me demande …

— Quoi ?

— Sur Rotor, nous avions un type nommé Pitt qui dirigeait tout.

— Ce n’est pas un fait nouveau.

— Mais je crois savoir comment il opérait. Il distribuait les données de la Grande Sonde au compte-gouttes, en respectant le Pacte de Transparence scientifique, mais tout juste. Ce qui fait que, lorsque Rotor est parti, il devait rester une partie des données — dix pour cent, ou moins qu’il n’avait pas eu le temps de vous donner. Et ce pourrait être les dix pour cent de données importantes.

— Tu veux dire la partie qui nous dirait où Rotor est parti ?

— Peut-être bien.

— Seulement nous ne l’avons pas eue.

— Si, vous l’avez.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Tout à l’heure, tu te demandais pourquoi vous auriez espéré voir quelque chose dans les photos de la Grande Sonde qu’on n’aurait pas pu voir du système solaire. Alors, pourquoi perdre votre temps sur ce qu’ils vous ont donné ? Dressez la carte de la région du ciel sur laquelle ils ne vous ont rien donné et étudiez-la sur vos propres cartes. Demandez-vous s’il n’y a pas là quelque chose qui pourrait paraître différent sur la carte de la Grande Sonde … et pour quelle raison. Moi, c’est ce que je ferais. » Sa voix s’était élevée et il cria : « Retourne là-bas. Dis-leur de regarder la partie du ciel qu’ils n’ont pas. »

Wyler dit pensivement : « C’est dingue.

— Non. C’est parfaitement logique. Trouvez quelqu’un au Bureau qui sache se servir de sa cervelle et vous aboutirez peut-être quelque part.

— On va voir. » Il tendit la main à Fisher. Qui fit la grimace et ne la serra pas.

21

Il s’écoula plusieurs mois avant que Wyler réapparaisse et Fisher ne lui fit pas bon accueil. C’était son jour de congé et il lisait tranquillement. Fisher n’était pas de ces gens qui disent qu’un livre est une abomination du vingtième siècle, et que le visionnement est le seul acte civilisé. Il aimait tenir un livre et en tourner physiquement les pages, se perdre en pensée dans sa lecture ou même somnoler sans craindre de découvrir, en revenant à lui, qu’il avait raté cent pages de la bobine ou qu’elle s’était déroulée jusqu’au bout. Fisher pensait au contraire que le livre était le plus civilisé des deux modes de lecture. Il n’en était que plus mécontent d’avoir été tiré de son agréable léthargie.

« Bon, qu’est-ce qu’il y a, Garand ? » dit-il de mauvaise grâce.

Wyler ne perdit pas son sourire courtois. Il dit entre ses dents : « Nous l’avons trouvé, juste comme tu l’avais dit.

— Trouvé quoi ? » dit Fisher qui avait tout oublié. Puis, comprenant de quoi parlait Wyler, il se hâta d’ajouter. « Ne me confie rien que je ne sois pas censé savoir. Je ne veux plus me colleter avec le Bureau.

— Trop tard, Crile. Nous avons besoin de toi. Tanayama lui-même veut te voir.

— Quand ?

— Dès que je pourrai t’amener là-bas.

— Dans ce cas, dis-moi ce qui se passe. Je ne veux pas le rencontrer sans être au courant.

— C’est ce que j’ai l’intention de faire. Nous avons étudié toute la région du ciel sur laquelle nous n’avions aucune donnée de la Grande Sonde. Apparemment, ceux qui ont fait cela se sont demandé : qu’est-ce que la caméra de la Grande Sonde pouvait repérer qu’un observatoire du système solaire était incapable de voir ? La réponse évidente, c’était : un déplacement des étoiles les plus proches. Et les astronomes ont découvert une chose étonnante, qu’ils n’avaient pas prévue.

— Eh bien ?

— Ils ont trouvé une étoile très peu visible avec une parallaxe de plus d’une seconde d’arc.

— Je ne suis pas astronome. Qu’est-ce que cela a d’inhabituel ?

— Cela veut dire que l’étoile est moitié moins loin qu’Alpha du Centaure.

— Tu as dit « très peu visible » ?

— Elle est derrière un petit nuage de poussière, m’a-t-on dit. Écoute, si tu n’es pas astronome, ta femme, sur Rotor, l’était. Peut-être l’avait-elle découverte. Elle ne t’en a jamais parlé ? »

Fisher secoua la tête. « Pas un mot. Mais …

— Oui ?

— Durant les derniers mois, elle semblait pas mal excitée.

— Tu ne t’es pas demandé pourquoi ?

— J’ai supposé que c’était à cause de l’imminence du départ. Elle avait très envie de partir et cela me rendait fou.

— A cause de ta fille ? »

Fisher approuva en hochant la tête.

« L’excitation était peut-être due à l’Étoile voisine. Ça colle. C’était cela leur destination, bien entendu. Et si c’est ta femme qui l’a découverte, Rotor allait partir vers son étoile à elle. Ce qui expliquerait son excitation. Cela se tient, non ?

— Peut-être. Je ne dis pas le contraire.

— Bon, alors. C’est à cause de cela que Tanayama veut te voir. Et il est en colère. Pas contre toi, apparemment, mais il est en colère. »

Un peu plus tard, ce même jour, Crile Fisher se retrouva au quartier général du Terrestrial Board of Inquiry, ou, comme l’appelaient ses membres, le Bureau.

Kattimoro Tanayama, qui le dirigeait depuis plus de trente ans, commençait à accuser son âge. Les holographies qui le montraient (elles étaient rares) avaient été prises des années auparavant, quand sa chevelure était encore noire, son corps droit, son expression énergique.

Maintenant, ses cheveux étaient gris et son corps, légèrement courbé, semblait fragile. Il arriverait bientôt à l’âge où il devrait envisager de se retirer, pensa Fisher, s’il avait l’intention de faire autre chose que de mourir à la tâche. Fisher remarqua que ses yeux, entre leurs paupières bridées, étaient aussi vifs et intelligents que jamais.

Fisher avait un peu de mal à le comprendre. L’anglais était, sur Terre, aussi répandu qu’une langue puisse l’être, mais sous des formes variées, et l’anglais de Tanayama n’était pas celui d’Amérique du Nord auquel Fisher était habitué.

« Eh bien, Fisher, votre travail sur Rotor nous a déçus. »

Fisher ne voyait aucune raison d’en discuter ; en tout cas, pas avec Tanayama.

« Oui, monsieur le directeur, répondit-il d’une voix neutre.

— Pourtant, vous avez peut-être encore des informations à nous donner. »

Fisher soupira en silence et dit : « J’ai subi d’innombrables interrogatoires.

— C’est ce qu’on m’a dit. Cependant, on ne vous a pas tout demandé et j’ai une question à laquelle je veux, moi, une réponse.

— Oui, monsieur le directeur.

— Pendant votre séjour sur Rotor, avez-vous remarqué quelque chose qui pouvait vous amener à croire que les dirigeants des Rotoriens détestaient la Terre ? »