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Les sourcils de Fisher se haussèrent au maximum. « Détester ? Il était clair que les habitants de Rotor, comme ceux de toutes les colonies, méprisaient la Terre, jugée comme décadente, brutale et violente. Mais détester ? Franchement, je ne crois pas qu’ils pensent assez à nous pour nous détester.

— Je parle de leurs dirigeants, pas de la multitude.

— Moi aussi, monsieur le directeur. Mais de la haine, non.

— Il n’y a pourtant pas d’autre explication.

— D’explication à quoi, monsieur le directeur ? Si je peux me permettre de poser la question ? »

Tanayama leva brusquement les yeux sur lui (sa personnalité était si forte qu’on remarquait rarement sa petite taille). « Savez-vous que cette nouvelle étoile se dirige vers nous ? Droit vers nous ? »

Fisher, stupéfait, se retourna vers Wyler, mais celui-ci, assis dans l’ombre, hors de la lumière du soleil entrant par la fenêtre, semblait regarder dans le vide.

Tanayama, qui était debout, reprit : « Eh bien, asseyez-vous, Fisher, si cela peut vous aider à réfléchir. Je vais faire pareil. » Il se percha sur le bord de son bureau, en laissant pendre ses courtes jambes. « Connaissiez-vous la trajectoire de cette étoile ?

— Non, monsieur le directeur. Je n’en connaissais même pas l’existence jusqu’à ce que l’agent Wyler m’en parle.

— Vraiment ? Elle était certainement connue sur Rotor.

— Si oui, personne ne m’en a parlé.

— Votre femme était excitée et heureuse juste avant que Rotor parte. C’est ce que vous avez dit à l’agent Wyler. Pour quelle raison ?

— L’agent Wyler pense que c’était peut-être parce qu’elle avait découvert cette étoile.

— Et peut-être connaissait-elle sa trajectoire et se réjouissait-elle à l’idée de ce qui allait nous arriver.

— Je ne vois pas pourquoi cette idée l’aurait rendue heureuse, monsieur le directeur. Je dois vous dire que j’ignore toujours si elle connaissait la trajectoire de l’étoile, et même son existence. J’ignore si quelqu’un, sur Rotor, savait que cette étoile existait. »

Tanayama le regarda pensivement, en se frottant légèrement le menton, comme pour soulager une petite démangeaison. « Je crois que les habitants de Rotor étaient tous des Euros, n’est-ce pas ? »

Les yeux de Fisher s’agrandirent. Il n’avait pas entendu ce mot depuis bien longtemps … surtout dans la bouche d’un fonctionnaire du gouvernement. Il se rappela le commentaire de Wyler sur Rotor, peu après son retour sur Terre : « Blanche-Neige ». Il n’y avait pas attaché d’importance, prenant cela pour un simple sarcasme.

Il dit avec ressentiment : « Je ne sais pas, monsieur le directeur. Je ne les ai pas étudiés. J’ignore quels étaient leurs ancêtres.

— Allons, Fisher. Vous n’aviez pas besoin de les étudier. Il suffisait de juger sur l’apparence. Durant votre séjour sur Rotor, avez-vous vu un visage qui soit afro, mongo ou hindo ? Avez-vous vu une peau noire ? Un pli épicanthique ? »

Fisher explosa : « Monsieur le directeur, vous parlez comme au vingtième siècle. » (S’il avait trouvé une manière plus forte de le dire, il l’aurait employée.) « Je ne pense jamais à ce genre de chose, pas plus que personne sur Terre. Je suis surpris que vous ayez cette attitude et je ne crois pas que cela améliorerait votre position si on le savait.

— Ne soyez pas naïf, agent Fisher, dit le Directeur en agitant un doigt noueux en signe de réprimande. Je parle de ce qui est. Je sais que sur Terre, on ne tient pas compte des variations, du moins en apparence.

— Du moins en apparence ? s’exclama Fisher indigné.

— Du moins en apparence, répéta froidement Tanayama. Quand les Terrien sont partis s’installer dans des colonies spatiales, ils se sont groupés selon ces variations. Pourquoi l’auraient-ils fait s’ils n’en tenaient pas compte ? Sur chaque colonie, tout le monde est du même type, ou s’il y a eu quelque mélange pour commencer, ceux qui sont moins nombreux se sentent mal à l’aise — ou l’on s’arrange pour qu’ils se sentent mal à l’aise et ils partent pour une autre station où ils seront avec des gens de la même race qu’eux. N’est-ce pas ainsi que cela se passe ? »

Fisher s’aperçut qu’il ne pouvait pas le nier. Les choses se passaient bien ainsi et il trouvait cela naturel, sans se poser de questions. « C’est la nature humaine. Qui se ressemble s’assemble. Cela facilite les rapports de bon voisinage.

— La nature humaine. Qui se ressemble s’assemble parce qu’on aime ceux qui nous ressemblent et qu’on déteste les autres.

— Il y a aussi des colonies m … mongo. » Fisher avait bégayé et compris qu’il risquait d’offenser mortellement le directeur — un homme dangereux et facile à offenser.

Tanayama ne cligna pas des yeux. « Je le sais bien, mais ce sont les Euros qui ont le plus dominé la planète et ils ne peuvent pas l’oublier.

— Les autres s’en souviennent peut-être encore mieux ; ils ont plus de motifs de haine.

— Mais c’est Rotor qui est parti pour fuir le système solaire.

— Ce sont eux qui ont découvert l’hyper-assistance.

— Et ils sont partis vers l’Étoile voisine dont ils étaient les seuls à connaître l’existence, une étoile qui se dirige tout droit vers notre système solaire et va passer assez prêt pour le perturber.

— Nous ignorons s’ils le savent ; ils ne connaissent peut-être même pas l’existence de cette étoile.

— Bien sûr qu’ils le savent, dit Tanayama presque avec hargne. Et ils sont partis sans nous avertir.

— Monsieur le directeur, sauf votre respect, c’est illogique. S’ils sont partis s’installer sur une étoile qui, en s’approchant, perturbera le système solaire, le système de cette étoile sera lui aussi perturbé.

— Ils pourront aisément fuir, même s’il faut pour cela construire d’autres stations. Nous, nous avons un monde de huit milliards de personnes à évacuer … une tâche bien plus difficile.

— De combien de temps disposons-nous ? »

Tanayama haussa les épaules. « Plusieurs milliers d’années, m’a-t-on dit.

— Cela nous laisse pas mal de temps. C’est peut-être pour cela qu’ils n’ont pas estimé nécessaire de nous avertir. L’Etoile voisine se rapprochant, nous l’aurions forcément découverte.

— Et à ce moment-là, nous aurions eu moins de temps pour évacuer la planète. Ils ont aperçu cette étoile par hasard. Beaucoup de temps aurait pu passer avant que nous la découvrions, si votre femme ne vous avait pas fait cette remarque imprudente et si vous ne nous aviez pas conseillé — judicieusement — d’étudier attentivement la partie du ciel qui avait été omise. Rotor espérait que notre découverte aurait lieu le plus tard possible.

— Mais, monsieur le directeur, pourquoi auraient-ils voulu cela ? Gratuitement ? Uniquement parce qu’ils nous détestent ?

— Pas gratuitement. Pour que le système solaire, avec son importante population de non-Euros, soit détruit. Pour que l’humanité puisse repartir sur une base homogène uniquement euro. Hein ? Que dites-vous de cela ? »

Fisher secoua désespérément la tête. « C’est impossible. Impensable.

— Pour quelle autre raison ne nous auraient-ils pas avertis ?

— Peut-être ne savaient-ils pas, eux-mêmes, que l’étoile se dirigeait vers nous ?

— Impossible, dit Tanayama ironiquement. Impensable. Leur action n’a pas d’autre motif que le désir de nous savoir détruits. Mais nous découvrirons tout seuls le voyage hyperspatial, nous les retrouverons et nous prendrons notre revanche. »