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— Oui. Elle me l’a dit le jour même. Je lui ai fait observer qu’elle n’avait pas le droit de vous importuner comme ça. Vous avez été très patient avec elle.

— C’est une fille vraiment exceptionnelle, grommela Pitt. Mais je n’ai pas l’intention de me plier à ses désirs. Une fois suffit. Finissez vos calculs et revenez. »

Elle pensa : voilà deux fois qu’il parle de mon retour. Qu’est-ce que Marlène en tirerait ? Quelque chose de néfaste, comme elle dit ? Mais quoi ?

Elle dit d’une voix calme : « Nous rentrerons.

— Avec la nouvelle, j’espère, que Némésis s’avérera inoffensive … dans cinq mille ans.

— Les faits trancheront », répondit-elle durement, puis elle sortit.

24

C’était bizarre, pensait Eugenia Insigna. Elle se trouvait à plus de deux années-lumière de l’endroit où elle était née, et pourtant elle n’était montée que deux fois à bord d’un vaisseau spatial, et encore, pour deux trajets très courts : l’aller et retour de Rotor à la Terre.

Elle n’avait pas très envie de voyager dans l’espace. C’était Marlène qui l’y avait poussée. C’était elle qui, en cachette, était allée voir Pitt et l’avait persuadé de céder à son drôle de chantage. Elle qui, obsédée par cet étrange désir de se rendre sur Erythro, paraissait vraiment très excitée. Insigna ne comprenait pas ce désir et l’imputait à la complexité mentale et émotionnelle, si étrange, de sa fille. Quand Insigna reculait à l’idée de quitter la petite colonie confortable et sûre pour le vaste monde vide d’Erythro, si étrange et si menaçant, à six cent cinquante mille kilomètres de là (presque deux fois plus que l’ancien voyage de Rotor de la Terre), c’était l’exaltation de Marlène qui la revigorait.

Le vaisseau qui allait les conduire à Erythro n’était ni élégant ni beau, mais solide et pratique. C’était l’une des petites fusées qui faisaient l’aller et retour ; elles s’élevaient contre la lourde poussée gravitationnelle d’Erythro ou se posaient sans y céder et, dans les deux sens, se frayaient un chemin à travers son épaisse atmosphère imprévisible, battue des vents, indomptée.

Insigna savait que le voyage de deux jours n’aurait rien d’agréable. Durant sa plus grande partie, on se trouverait en apesanteur, ce qui serait sans doute pénible.

La voix de Marlène interrompit sa rêverie. « Viens, maman, on nous attend. Les bagages sont enregistrés. »

Insigna se mit en route. La dernière pensée, empreinte d’inquiétude qui lui vint à l’esprit tandis qu’elle franchissait le sas fut, comme on aurait pu le prévoir : mais pourquoi Janus Pitt a-t-il accepte si volontiers de nous laisser partir ?

25

Siever Genarr régnait sur un monde aussi grand que la Terre. Ou, pour être plus précis, gérait un dôme qui couvrait presque trois kilomètres carrés et se développait lentement. Sur le reste de la planète, presque cinq cent millions de kilomètres carrés de continents et d’océans, il n’y avait pas un seul être humain. Ni aucune créature vivante visible à l’œil nu. Et si l’on peut dire qu’une planète est gouvernée par les formes de vie pluricellulaires qui l’habitent, les quelques centaines d’hommes et de femmes qui vivaient et travaillaient sous le Dôme étaient les maîtres d’Erythro et Siever Genarr régnait sur eux tous.

Genarr n’était pas grand, mais ses traits forts lui donnaient un air imposant. Dans sa jeunesse, ils l’avaient fait paraître plus vieux que son âge — mais ils ne produisaient plus le même effet maintenant qu’il approchait de la cinquantaine. Il avait un grand nez et des poches sous les yeux. Ses cheveux blanchissaient irrégulièrement. Sa voix de baryton était restée sonore et musicale. (Il avait autrefois pensé faire carrière au théâtre, mais son physique le condamnait à quelques rares rôles de caractère et ses talents d’administrateur l’avaient emporté.)

C’était en partie à cause de ces aptitudes-là qu’il vivait depuis dix ans sous le dôme d’Erythro ; il avait vu passer celui-ci d’une structure provisoire forte de trois pièces à un complexe minier/centre de recherches en pleine croissance.

Le Dôme avait ses inconvénients. Les gens n’y demeuraient pas longtemps, car la plupart s’y sentaient en exil et souhaitaient, plus ou moins vite, retourner sur Rotor. Ils trouvaient lugubre ou même menaçante la clarté rosâtre de Némésis, même s’ils vivaient, à l’intérieur du Dôme, sous la lumière claire et confortable de Rotor.

Ce lieu avait aussi ses avantages. Genarr se tenait à l’écart du tourbillon de la politique rotorienne qui semblait chaque année se replier un peu plus sur elle-même et perdre toute signification. Mais le plus important pour lui, c’était de vivre loin de Janus Pitt dont généralement il ne partageait pas les opinions.

Dès le début, Pitt s’était vigoureusement opposé à toute colonisation d’Erythro — et même à la mise en orbite de Rotor autour d’elle. Sur ce point, du moins, le gouverneur avait été battu par une opinion publique unanime, mais il veillait à ce que le Dôme manquât de fonds afin de ralentir sa croissance. Si Genarr n’avait pas fait d’Erythro une source d’eau bien moins chère que celle que Rotor aurait pu trouver dans les astéroïdes, Pitt l’aurait supprimé.

En général, le gouverneur avait pour principe d’ignorer l’existence du Dôme et se mêlait rarement des décisions administratives de Genarr … ce qui convenait parfaitement à celui-ci.

Aussi fut-il surpris que Pitt se soit donné la peine de l’informer personnellement de l’arrivée de deux nouvelles recrues, au lieu de lui laisser simplement apprendre la nouvelle par la paperasse. Le gouverneur avait exposé l’affaire en détail, à sa manière habituelle, sèche et dogmatique, qui n’invitait pas à la discussion, ni même au commentaire, et la conversation s’était déroulée sous champ protecteur.

Genarr avait été encore plus surpris d’apprendre que l’une des personnes qui arrivaient sur Erythro était Eugenia Insigna.

Autrefois, bien des années avant le Départ, ils avaient été amis, mais après les heureux jours de leurs premières années d’études supérieures (avec mélancolie, Genarr se souvint que leurs relations avaient été quelque peu sentimentales), Eugenia, qui était partie sur Terre, revint avec un Terrien. Après son mariage avec Crile Fisher, Genarr l’avait à peine vue — une ou deux fois, de loin. Et quand le couple s’était séparé, juste avant le Départ, Genarr était très pris par son travail, elle aussi, et il ne leur était jamais venu à l’idée de renouer les anciens liens.

Genarr y avait parfois pensé, mais Eugenia, apparemment plongée dans son chagrin, se retrouvait avec une petite fille à élever, et il n’avait pas osé se manifester. Puis on l’avait envoyé sur Erythro, ce qui neutralisa tout regain de sentiment entre eux. Il passait périodiquement ses vacances sur Rotor, mais ne s’y sentait plus chez lui. Il avait gardé quelques amitiés rotoriennes, mais fort tièdes.

Et voilà qu’Eugenia débarquait avec son enfant. Genarr avait oublié le nom de la jeune fille, s’il l’avait jamais su. Elle devait avoir quinze ans et il se demanda, avec un drôle de petit tremblement intérieur, si elle ressemblait à sa mère au même âge.

Genarr jeta un coup d’œil furtif par la fenêtre de son bureau. Il était si habitué au dôme d’Erythro qu’il ne le voyait plus d’un œil critique. C’était le foyer d’un certain nombre de travailleurs des deux sexes … uniquement des adultes, pas d’enfants. Ils se faisaient embaucher pour quelques semaines ou quelques mois ; quelquefois, ils revenaient pour une seconde période de travail. Sauf lui-même et quatre autres personnes qui s’étaient attachées au Dôme, il n’y avait pas de résidents permanents.