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— Pas du tout. En fait, je suis honoré. Maintenant … dites-moi tout ce que vous pensez de Pitt. Il m’a ordonné d’aider votre mère au maximum et de lui laisser le libre usage de notre équipement astronomique. Pourquoi suis-je censé faire cela ?

— Ma mère veut effectuer des mesures très précises du mouvement relatif de Némésis et Rotor est trop instable. Erythro conviendra mieux.

— C’est un projet récent ?

— Non, oncle Siever. Cela fait longtemps qu’elle essaie d’obtenir les données nécessaires, elle me l’a dit.

— Alors, pourquoi votre mère n’a-t-elle pas demandé à venir ici plus tôt ?

— Elle l’a fait, mais le Gouverneur a refusé.

— Pourquoi donne-t-il son accord maintenant ?

— Parce qu’il veut se débarrasser d’elle.

— Je n’en doute pas … si elle ne cesse de l’agacer avec ses problèmes astronomiques. Mais cela doit faire longtemps qu’il en a assez d’elle. Pourquoi ne l’envoie-t-il ici que maintenant ? »

Marlène répondit à voix basse. « Il voulait surtout se débarrasser de moi. »

Chapitre 14

A la pêche

29

Cinq années s’étaient écoulées depuis le Départ. Crile Fisher avait du mal à le croire : il avait trouvé le temps plus long, infiniment plus long. Rotor n’était pas dans le passé, mais dans une tout autre vie, qu’il ne pouvait évoquer qu’avec une incrédulité croissante. Avait-il réellement vécu là-bas ? Avait-il eu une épouse ?

Il ne se souvenait clairement que de sa fille, et même cette image avait quelque chose de troublant, car parfois il lui semblait se rappeler d’elle adolescente.

Ce qui compliquait les choses, c’était que durant ces trois dernières années, en fait depuis que la Terre avait découvert l’Étoile voisine, il avait mené une vie trépidante. Il s’était rendu sur sept colonies spatiales.

Toutes étaient habitées par des gens qui avaient sa couleur de peau, qui parlaient plus ou moins sa langue et partageaient ses valeurs culturelles. (C’était l’avantage de la richesse ethnique de la Terre, elle pouvait fournir un agent d’apparence et de culture semblables à la population de n’importe quelle colonie.)

Bien sûr, il ne pouvait pas se fondre totalement dans une population. Même s’il paraissait superficiellement identique, il se trahissait par son accent caractéristique, ses maladresses dans les changements gravitationnels, ses glissements moins aisés en basse pesanteur. Dans chaque colonie qu’il visitait, les indigènes le repéraient de dix ou douze manières différentes et se méfiaient toujours un peu de lui, même s’il affrontait avec succès la quarantaine et le traitement médical qui lui permettaient de pénétrer dans la station proprement dite.

Il restait sur place quelques jours, quelques semaines. Jamais on ne lui avait demandé de s’établir d’une manière semi-permanente ou de fonder une famille comme il l’avait fait sur Rotor. Mais cette mission était liée à l’invention de l’hyper-assistance ; depuis, la Terre s’attachait à des choses moins essentielles ou ne lui confiait que des tâches de moindre importance.

Cela faisait trois mois qu’il était revenu sur Terre. On ne lui parlait pas d’une nouvelle mission et cela ne l’inquiétait guère. Il en avait assez d’être perpétuellement déraciné, de ne jamais s’intégrer, de jouer au touriste.

Garand Wyler, son vieil ami et collègue, venait d’arriver d’une colonie spatiale et le regardait avec des yeux las. La peau sombre de sa main élégante miroita sous la lumière lorsqu’il leva le bras pour renifler sa manche, puis le laissa retomber.

Fisher eut un petit sourire. Il connaissait bien ce geste pour l’avoir lui-même pratiqué. Chaque station avait son odeur caractéristique liée aux plantes, aux épices, aux parfums, aux machines, aux lubrifiants qu’on y utilisait. On s’y habituait rapidement, mais elle restait attachée à vous et, de retour sur Terre, on avait beau se baigner et laver ses vêtements, on la sentait encore.

« Bienvenue sur Terre. Comment c’était, cette fois-ci ?

— Comme toujours … terrible. Le Vieux a raison. Ce que les colonies craignent et détestent le plus, ce sont les différences. Ils n’en veulent pas, ni dans l’apparence, ni dans les goûts, ni dans les mœurs. Ils recherchent l’uniformité à l’exclusion de tout le reste.

— Tu as raison. C’est dommage.

— Tu as une manière de dire ça ! ‘‘C’est dommage.’’ ‘‘Houp, j’ai fait tomber l’assiette, oh, c’est dommage.’’ ‘‘Zut, mon joint continu est cassé. Oh, c’est dommage.’’ Il s’agit, de l’humanité, mon vieux. De la longue lutte, menée sur Terre, pour que toutes les cultures, toutes les apparences, trouvent moyen de vivre ensemble. Ce n’est pas encore parfait, mais compare avec ce qui se passait il y a un siècle et tu trouveras que c’est le paradis. Et voilà qu’au moment où nous avions une chance d’aller dans l’espace, nous fichons tout en l’air et que nous revenons à l’âge des ténèbres. Alors toi, tu dis : ‘‘C’est dommage.’’ Drôle de réaction face à une tragédie de cette envergure.

— Je suis d’accord, dit Fisher, mais à moins que tu aies un programme, à quoi bon l’éloquence ? Tu étais sur Akruma, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Ils sont au courant de l’Étoile voisine ?

— Bien sûr. Autant que je le sache, la nouvelle a maintenant atteint toutes les colonies spatiales.

— Cela les inquiète ?

— Absolument pas. Pourquoi, d’ailleurs ? Ils ont plusieurs milliers d’années devant eux. Longtemps avant qu’elle arrive à proximité, et s’il y a un danger quelconque, ils pourront s’en aller tranquillement. Ils admirent Rotor et n’attendent que l’occasion de l’imiter. » Wyler fronçait les sourcils, sa voix était pleine d’amertume.

« Ils partiront tous et nous laisserons en plan, poursuivit-il. Comment construire assez de stations spatiales pour huit milliards d’êtres humains ?

— Tu parles comme Tanayama. Qu’est-ce que nous gagnerions à leur courir après, à les punir ou à les détruire ? Nous serons tout de même coincés ici. Et s’ils restaient tous avec nous comme de bons enfants pour affronter cette étoile, est-ce que cela améliorerait notre sort ?

— Tu en parles bien calmement, Crile. Tanayama s’énerve et je suis dans le même état. La colère le dynamise et pour trouver l’hyper-assistance, il serait capable de démonter la Galaxie. Il la veut pour courir après Rotor et les faire payer ; tu vas me dire que cela ne sert à rien, mais nous aurons tout de même besoin de l’hyper-assistance pour évacuer autant de gens que possible, s’il s’avère que cette foutue étoile rend la chose nécessaire. Ce que fait Tanayama est donc bien, même si ses motifs sont mauvais.

— Suppose que nous ayons l’hyper-assistance et que nous découvrions que nous n’avons assez de temps et de ressources que pour évacuer un milliard de Terriens. Qui partira ? Et qu’arrivera-t-il si ceux qui dirigent l’opération ne sauvent que les leurs ?

— Cela ne sert à rien d’y penser, grogna Wyler.

— C’est vrai. Heureusement, nous aurons disparu depuis longtemps avant que cela commence.

— Il se peut que cela ait déjà commencé, dit Wyler en baissant la voix. Je crois que nous avons l’hyper-assistance ou que nous sommes sur le point de l’avoir. »

Fisher prit un air sarcastique. « Qu’est-ce qui te fait croire cela ? Des rêves ? Une intuition ?

— Non. Je fréquente une femme dont la sœur connaît quelqu’un qui est dans l’équipe du Vieux. Cela te suffit ?

— Bien sûr que non. Il faudra que tu trouves mieux.