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— C’est tout ce que j’ai. »

Toutes les colonies, comme la Terre, travaillaient sur l’hyper-assistance depuis que Rotor avait quitté le système solaire.

Vraisemblablement, la plupart, sinon toutes, avaient obtenu quelques bribes des données de Rotor. Grâce au Pacte de Transparence scientifique, chacune de ces bribes avait dû être posée sur la table et si on les rassemblait, on aurait l’hyper-assistance. Mais dans ce cas particulier, c’était trop demander. Aucune colonie ne voulait renoncer à l’espoir d’être la première en ce domaine et de prendre ainsi de l’avance sur les autres. Chacune gardait ce qu’elle avait — en supposant qu’elle ait quelque chose — et aucune de ces bribes ne suffisait.

La Terre elle-même, avec son TBI extrêmement élaboré, reniflait toutes les colonies, sans discrimination. La Terre pêchait et Fisher était l’un de ses pêcheurs.

« Nous avons rassemblé ce que nous avions et j’ai cru comprendre que c’était suffisant, dit lentement Wyler. Nous allons pouvoir élaborer la propulsion hyper-assistée. Et je pense que nous partirons bientôt pour l’Etoile voisine. Tu n’as pas envie de faire partie du voyage ?

— Pourquoi le voudrais-je, Garand ? Si voyage il y a, ce dont je doute.

— J’en suis pratiquement certain. Crois-moi sur parole. Et bien entendu, tu auras envie d’y participer. Tu pourras voir ta femme. Sinon elle … du moins ton enfant. »

Fisher s’agita nerveusement. Il avait passé la moitié de ses jours à ne pas penser à ces yeux-là, lui semblait-il. Marlène avait six ans maintenant, et devait parler d’une manière très réfléchie — comme Roseanne. Et voir clair dans le jeu des gens … comme Roseanne.

« Tu dis des absurdités, Garand. S’il y avait un vol de ce type, pourquoi me prendrait-on ? On enverrait des spécialistes. Et s’il y a quelqu’un que le Vieux gardera à l’écart, ce sera moi. Même s’il m’a repris au Bureau et confié des missions, tu sais ce qu’il pense des échecs, et j’ai échoué sur Rotor.

— Oui, mais justement. Ton échec fait de toi un spécialiste. S’il vise Rotor, comment peut-il ne pas utiliser le seul Terrien qui y a vécu pendant quatre ans ? Demande à le voir. Souviens-toi que tu n’es pas censé savoir que nous avons l’hyper-assistance. Parle juste d’éventualités, utilise le conditionnel. Et ne me mêle surtout pas à cela. Je ne devrais rien savoir. »

Fisher fronça les sourcils. Serait-ce possible ? Il n’osait pas l’espérer.

30

Le lendemain, alors que Fisher se demandait encore s’il allait se risquer à solliciter un entretien de Tanayama, on prit la décision pour lui. Il fut convoqué.

Un simple agent est rarement reçu par le directeur, et presque jamais pour apprendre une bonne nouvelle. Crile Fisher se prépara au rendez-vous avec la résignation d’un inspecteur des usines d’engrais.

Tanayama, assis derrière son bureau, leva les yeux sur lui. Fisher ne l’avait vu que rarement et brièvement depuis trois ans ; le directeur n’avait pas changé. Cela faisait si longtemps qu’il était petit et ratatiné qu’on avait l’impression qu’il ne pouvait pas devenir pire. L’acuité de son regard n’avait pas faibli, ni le pli sévère de ses lèvres flétries. Il portait peut-être les mêmes vêtements que trois ans auparavant. Fisher n’en savait rien.

Mais si sa voix était toujours aussi cassante, ses paroles le surprirent. Apparemment, si incroyable que cela fût, le Vieux l’avait convoqué pour chanter ses louanges.

Tanayama dit, dans son bizarre anglais planétaire déformé, mais somme toute pas déplaisant : « Fisher, vous avez fait du bon travail. Il n’y aura pas de célébration publique, pas de parade avec rayons laser, pas de défilé holographie. Ce n’est pas dans la nature des choses. Mais je vous le dis.

— Cela me suffit, monsieur le directeur. Je vous remercie. »

Tanayama regarda fixement Fisher, les yeux plissés. « Pas de questions à poser ?

— Je suppose, monsieur le directeur, que vous me direz tout ce que j’ai besoin de savoir.

— Vous êtes un agent compétent. Qu’avez-vous trouvé par vous-même ?

— Rien, monsieur le directeur. Je fais ce qu’on me dit. »

Tanayama hocha lentement la tête. « Une réponse de circonstance, mais ce n’est pas ce que je veux. Qu’avez-vous deviné ?

— Vous avez l’air content de moi, alors il se peut que j’aie rapporté une information utile.

— A quel égard ?

— Je pense que rien ne peut s’avérer plus utile que d’obtenir la technique de l’hyper-assistance. »

La bouche de Tanayama esquissa un « Ah-h-h » silencieux. Il dit : « Et en supposant que nous l’ayons, que ferons-nous d’autre ?

— Nous irons jusqu’à l’Etoile voisine. Et nous localiserons Rotor.

— Rien de plus ? C’est tout ce qu’il y a à faire ? Vous ne voyez rien d’autre ? »

A ce moment, Fisher décida que ce serait stupide de ne pas jouer le jeu. Il ne pouvait se voir offrir une meilleure occasion. « Si. Lorsque le premier vaisseau de la Terre quittera le système solaire au moyen de l’hyper-assistance, je voudrais être à bord. »

Fisher avait à peine fini de parler qu’il comprit que la partie était mal engagée. Le visage de Tanayama s’était assombri. Il dit d’un ton sèchement impératif : « Asseyez-vous ! »

Fisher entendit derrière lui le doux déplacement du fauteuil qui roulait pour obéir aux paroles de Tanayama que pouvait comprendre son moteur primitif géré par ordinateur.

Fisher s’assit, sans regarder derrière lui pour s’assurer que le siège était bien là. Ce n’était pas le moment de mécontenter Tanayama. « Pourquoi voulez-vous être à bord ? »

Fisher essaya de contrôler sa voix : « Monsieur le directeur, j’ai une femme sur Rotor.

— Une épouse que vous avez abandonnée, il y a cinq ans. Pensez-vous qu’elle va vous faire bon accueil ?

— Monsieur le directeur, j’ai une fille.

— Elle avait un an quand vous êtes parti. Croyez-vous qu’elle sache qu’elle a un père ? Ou qu’elle s’en soucie ? »

Fisher garda le silence. C’étaient des arguments qu’il s’était dit et redit.

Tanayama attendit un moment puis reprit la parole : « Il n’y aura pas de vol vers l’Etoile voisine. Il n’y aura pas de vaisseau à bord duquel vous puissiez prendre place. »

De nouveau, Fisher dut réprimer sa surprise. « Pardonnez-moi, monsieur le directeur. Vous n’avez pas dit que nous avions l’hyper-assistance. Vous avez dit : ‘‘En supposant que …’’ J’ai remarqué le choix des mots.

— Et vous avez eu raison. C’est ce qu’il faut toujours faire. Néanmoins, nous avons l’hyper-assistance. Nous pouvons voyager dans l’espace comme Rotor l’a fait ; et nous allons le faire dès que nous aurons construit un véhicule et que nous serons sûrs que tout marche … ce qui peut prendre un an ou deux. Suggérez-vous que nous devrions aller jusqu’à l’Étoile voisine ? »

Fisher dit, avec prudence : « C’est sûrement une option possible, monsieur le directeur.

— Et une option inutile. Réfléchissez, mon vieux. Cette étoile est à plus de deux années-lumière. Si habiles que nous soyons dans l’utilisation de l’hyper-assistance, il nous faudrait plus de deux ans pour y arriver. Nos théoriciens l’ont dit : bien que l’hyper-assistance permette à un vaisseau de dépasser la vitesse de la lumière durant de brèves périodes — plus il va vite, plus cette période est courte — il ne peut pas atteindre un point quelconque de l’espace plus rapidement qu’un rayon de lumière.

— Mais s’il en est ainsi …

— S’il en est ainsi, vous serez forcé de rester à bord d’un vaisseau spatial, dans des locaux exigus, avec le reste de l’équipage, pendant plus de deux ans. Pensez-vous pouvoir endurer cela ? Vous savez bien que les petits vaisseaux n’effectuent jamais de longs voyages. Ce qu’il nous faut, c’est une station spatiale, une structure assez grande pour fournir un environnement correct … comme Rotor. Combien de temps cela va-t-il nous prendre ?