— Oui, c’est exactement ce que je veux dire. Et je pense que c’est ce que vous cherchiez.
— Moi ?
— Oui, vous. C’est pour cela que vous avez épousé une astronome rotorienne, n’est-ce pas ? » Elle appuya son menton sur ses deux poings, les coudes sur la table, et se pencha vers lui.
Fisher secoua la tête et dit prudemment : « Elle ne m’a jamais dit un seul mot sur l’hyper-assistance. Vous vous trompez sur mon compte. »
Wendel fit comme si elle n’avait pas entendu sa remarque. « Et maintenant, vous voulez me soutirer la même chose. Comment allez-vous vous y prendre ? Allez-vous m’épouser ?
— Obtiendrais-je de vous l’hyper-assistance, si je vous épousais ?
— Non.
— Alors le mariage semble hors de question, non ?
— Quel dommage, dit Wendel en souriant.
— Est-ce que vous me posez ces questions parce que vous êtes une hyper-spatialiste ?
— Où vous a-t-on dit que je l’étais ? Là-bas, sur Terre, avant de venir ici ?
— Vous étiez sur la liste des hyper-spatialistes.
— Ah, vous aussi vous avez enquêté sur moi. Quelle drôle de paire nous faisons. Avez-vous remarqué que j’étais sur la liste en tant que spécialiste en physique théorique ?
— Il y avait aussi la liste de vos publications, et comme il y avait le mot « hyper-spatial » dans quelques-uns des titres, j’ai cru que vous étiez une hyper-spatialiste.
— Oui, mais en physique théorique, et je ne traite du problème que d’une manière théorique.
— Mais Rotor l’a mis en pratique. En avez-vous été ennuyée ? Après tout, quelqu’un, sur Rotor, vous a dépassée.
— Pourquoi en serais-je ennuyée ? J’aime la théorie non l’application. Si vous étiez allé plus loin que les titres de mes publications, vous sauriez que je dis, catégoriquement, que l’hyper-assistance ne vaut pas le mal qu’on se donne pour elle.
— Les Rotoriens l’ont employée pour partir vers les étoiles.
— C’est vrai. C’était en 2222 ; cela fait six ans qu’ils sont en route. C’est tout ce que nous savons.
— Ce n’est pas suffisant ?
— Bien sûr que non. Où allaient-ils ? Sont-ils encore vivants ? Les êtres humains n’ont jamais été isolés sur une station spatiale. Ils ont toujours eu la Terre dans le voisinage, et d’autres colonies. Est-ce que quelques dizaines de milliers d’êtres humains peuvent survivre, seuls dans l’univers, sur une petite station ? Nous ignorons si, psychologiquement, c’est possible. Moi, j’estime que non.
— J’imagine que leur but était de trouver une planète sur laquelle ils pourraient s’installer.
— Allons, quelle planète ? Ils ne sont partis que depuis six ans. Ils n’auraient pu atteindre que deux étoiles, puisque l’hyper-assistance ne leur permet qu’une vitesse moyenne égale à celle de la lumière. Alpha du Centaure, un système trinaire, à 4,3 années-lumière, dont l’une des étoiles est une naine rouge. L’autre, c’est l’étoile de Barnard, une naine rouge à 5,9 années-lumière. En tout quatre étoiles : une comme le Soleil, une presque comme le Soleil, et deux naines rouges. Les deux premières font partie d’un système dont les étoiles sont relativement proches et qui n’a donc guère de chances de posséder une planète de type Terre en orbite stable. Où peuvent-ils aller après ? Ils n’y arriveront pas, Crile. Je sais que votre femme et votre enfant sont sur Rotor, mais ils n’y arriveront pas. »
Fisher resta calme. Il savait quelque chose qu’elle ignorait. Il connaissait l’Étoile voisine — mais c’était aussi une naine rouge. « Alors, vous croyez que le vol interstellaire est impossible ?
— Pratiquement, oui, si nous n’avons que l’hyper-assistance.
— Tessa, vous avez l’air de sous-entendre qu’il y a autre chose.
— Nous n’aurons peut-être jamais plus … Mais nous pouvons du moins rêver à un véritable vol hyper-spatial et à de vraies vitesses supra-luminiques. Si nous pouvions aller à la vitesse voulue pendant la durée voulue, alors la Galaxie, peut-être même l’univers, deviendrait comme un immense système solaire et nous pourrions le posséder tout entier.
— C’est un beau rêve, mais pourrait-on le réaliser ?
— Nous avons eu trois conférences intercoloniales là-dessus depuis le départ de Rotor.
— Seulement intercoloniales ? Et la Terre ?
— Il y avait des observateurs présents, mais la Terre n’est pas le paradis des physiciens, en ce moment.
— A quelles conclusions êtes-vous arrivés ? »
Wendel sourit. « Vous n’êtes pas physicien.
— Simplifiez les choses. Cela m’intéresse. »
Elle se contenta de lui sourire.
Fisher serra les poings. « Oubliez cette théorie que vous avez concoctée et où je suis une sorte d’agent secret à la recherche d’informations. J’ai une enfant quelque part dans l’espace, Tessa. Vous dites qu’elle est probablement morte. Et si elle était vivante ? Y a-t-il une chance … »
Le sourire de Wendel s’effaça. « Excusez-moi. Je n’y pensais pas. Trouver une station spatiale dans une sphère dont le rayon mesure actuellement six années-lumière et ne cesse d’augmenter avec le temps, c’est une tâche impossible. Il nous a fallu un siècle pour découvrir la dixième planète : elle était infiniment plus grande que Rotor et l’espace que nous avons ratissé bien plus petit.
— L’espoir fait vivre. Est-ce vrai que le vol hyper-spatial est possible ? Vous pouvez me dire oui ou non, sans explications.
— La plupart disent non … si vous voulez la vérité. Il y a un petit nombre d’indécis, mais ils ne vont pas le crier sur les toits.
— Personne ne dit oui à haute voix ?
— Si. Une seule personne. Je la connais. C’est moi.
— Vous pensez que c’est possible ? s’exclama Fisher avec un étonnement qu’il ne put dissimuler. Vous le dites ouvertement, ou est-ce quelque chose que vous vous murmurez dans l’obscurité de la nuit ?
— J’ai publié sur ce sujet. L’un des articles dont vous n’avez lu que le titre. Personne n’ose se prétendre d’accord avec moi, bien entendu, et il m’est arrivé de me tromper, mais je crois que j’ai raison.
— Pourquoi est-ce que les autres pensent que vous vous trompez ?
— C’est difficile à exprimer sans équations. C’est une question d’interprétation. L’hyper-assistance sur le modèle rotorien, maintenant connue de toutes les colonies, est fondée sur une équation : quand le rapport de la vitesse du vaisseau à la vitesse de la lumière est supérieur à 1, le produit de ce rapport par le temps est constant.
— Ce qui veut dire ?
— Qu’au-dessus de la vitesse de la lumière, on ne peut pas accélérer sans raccourcir la période où l’on pourra maintenir l’allure et allonger la période suivante, où il faudra retomber au-dessous de la vitesse de la lumière avant de pouvoir la dépasser de nouveau. Il en résulte qu’à la fin du voyage, votre vitesse moyenne sur une distance donnée n’est pas plus grande que celle de la lumière.
— Et alors ?
— Cela donne à penser que le principe d’incertitude est en cause, et nous sommes tous convaincus qu’il ne peut pas être contourné, si le principe d’incertitude est en cause, le vrai vol hyper-spatial est théoriquement impossible et la plupart des physiciens se sont rangés derrière cet argument. Mon point de vue, c’est que le principe d’incertitude semble en cause, mais qu’il ne l’est pas et qu’on ne peut donc éliminer la possibilité du vol hyper-spatial.
— La question pourrait être tranchée ?
— Probablement pas, répondit Wendel en secouant la tête. Les colonies n’ont absolument pas envie d’aller se balader dans l’espace, même avec la simple hyper-assistance. Personne ne va renouveler l’expérience rotorienne et voyager pendant des années vers une mort probable. D’autre part, aucune colonie n’investira l’énorme quantité d’argent, de ressources et d’efforts humains nécessaire pour tenter d’élaborer une technique que la majorité des experts jugent théoriquement impossible. »