Fisher se pencha en avant. « Est-ce que cela vous ennuie ?
— Bien sûr que cela m’ennuie. Je suis physicienne et j’aimerais prouver que ma théorie de l’univers est correcte. Cependant, je dois accepter les limites du possible. Cela coûterait terriblement cher et les colonies ne me donneront rien.
— Mais, Tessa, si cela n’intéresse pas les colonies, la Terre, elle, s’y intéresse … et elle est prête à investir beaucoup.
— Vraiment ? » Tessa sourit d’un air amusé et caressa lentement, sensuellement, les cheveux de Fisher. « Je savais que nous finirions par en arriver là. »
34
Fisher saisit le poignet de Wendel et éloigna doucement sa main de sa tête. « Vous m’avez vraiment dit ce que vous pensiez du vol hyper-spatial, n’est-ce pas ?
— Absolument.
— Alors, la Terre a besoin de vous.
— Pourquoi ?
— Parce que la Terre veut le vol hyper-spatial et que vous êtes la seule physicienne importante qui pense que c’est faisable.
— Si vous le saviez, Crile, pourquoi ce contre-interrogatoire ?
— Je ne le savais pas jusqu’à ce que vous me le disiez. On m’avait seulement dit que vous étiez la plus brillante dans votre domaine.
— Oh, c’est vrai, je le suis, dit Wendel d’un air moqueur. Et l’on vous a donné l’ordre de faire ma conquête ?
— De vous persuader.
— Me persuader de faire quoi ? De venir sur Terre ? Cet endroit surpeuplé, sale, appauvri, soumis à des conditions climatiques incontrôlées ? Quelle pensée alléchante.
— Écoutez-moi, Tessa. Vous ne connaissez pas vraiment la Terre. Vous n’y êtes jamais allée, n’est-ce pas ?
— Jamais. Je suis Adelienne, de naissance et de souche. Je suis allée sur d’autres colonies, mais sur Terre jamais, non merci.
— Alors, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est qu’une planète. Un vrai monde. Vous vivez ici enfermée dans une boîte, sur quelques kilomètres carrés de surface, avec une poignée de personnes. Vous vivez dans un monde miniature auquel vous êtes habituée depuis longtemps et qui n’a plus rien à vous offrir. La Terre abrite huit milliards d’êtres humains sur six cents millions de kilomètres carrés. Sa population est d’une variété infinie — beaucoup de gens très moches, mais aussi beaucoup de très bien.
— Et tous pauvres. Et coupés de la recherche scientifique.
— Parce que les savants sont allés s’établir sur les colonies. C’est pourquoi nous avons besoin de vous. Venez sur Terre.
— Je ne vois toujours pas pourquoi.
— Les colonies se contentent de ce qu’elles ont. Nous avons des ambitions, des visées, des désirs.
— A quoi bon ? En physique, les recherches coûtent cher.
— Et sur Terre le revenu par habitant est bas, je l’admets. Mais huit milliards de personnes, même pauvres, qui paient des impôts, cela fait une belle somme. Nos ressources, même mal employées, sont encore énormes, et nous pouvons réunir plus d’argent et plus de main-d’œuvre que toutes les colonies réunies … si nous le voulons vraiment. Venez sur Terre, Tessa, et vous serez traitée comme la plus rare des ressources, le cerveau brillant qu’il nous faut … La seule chose que nous ne puissions pas fournir nous-mêmes.
— Je ne suis pas sûre du tout qu’Adelia soit prête à me laisser partir. C’est peut-être une colonie qui se contente de ce qu’elle a, mais elle connaît aussi la valeur de ses savants.
— On ne peut pas vous empêcher d’assister à un congrès scientifique sur Terre.
— Et une fois là, je ne reviendrais pas, c’est cela ?
— Vous n’aurez pas à vous plaindre de la manière dont vous serez traitée. Tous vos désirs, tous vos souhaits, seront comblés. Mieux encore, vous dirigerez le projet hyper-spatial et vous aurez un budget illimité pour élaborer toutes sortes de tests, mener des expériences, faire des observations …
— Eh bien ! Quel pot-de-vin princier vous m’offrez !
— Y a-t-il autre chose que vous désiriez ?
— Je me demande. Pourquoi est-ce vous qu’on a envoyé ? Un homme aussi séduisant ? Est-ce qu’on s’attendait à ce que vous rameniez une physicienne assez âgée — impressionnable — frustrée — attirée par votre corps comme un poisson par un appât ?
— Je ne sais pas à quoi pensaient ceux qui m’ont envoyé, Tessa, mais moi je ne pense rien de tel. Pas après vous avoir vue. Vous n’êtes pas âgée, vous le savez bien. Je n’ai pas imaginé une minute que vous étiez impressionnable ou frustrée. La Terre vous offre ce dont rêve tout physicien, homme ou femme, âgé ou jeune, cela n’entre pas en ligne de compte.
— Quel dommage ! Eh bien, supposons que je sois récalcitrante et refuse d’aller sur Terre ? Qu’utiliseriez-vous comme ultime moyen de persuasion ? Vous pourriez surmonter votre répugnance et me faire l’amour ? »
Wendel croisa les bras sur sa magnifique poitrine et le regarda d’un air narquois.
Fisher dit, en pesant ses mots : « Je vous répète que je ne sais pas ce qu’avaient dans la tête ceux qui m’ont envoyé. Faire l’amour ne faisait pas explicitement partie de mes instructions, ni de mes intentions, mais je n’éprouve aucune répugnance à cette idée, je vous l’assure. Je sais cependant que vous verrez les avantages de la proposition en physicienne et ce serait vous discréditer que de supposer qu’il vous faille autre chose.
— Comme vous vous trompez. Je vois les avantages en physicienne et je suis désireuse d’accepter votre offre et de poursuivre le papillon du vol hyper-spatial dans les couloirs du possible — mais je ne veux pas renoncer aux efforts que vous alliez faire pour me persuader. Je les veux tous.
— Mais …
— Bref, il vous faudra payer de votre personne. Persuadez-moi comme si j’étais récalcitrante, le mieux que vous pourrez, ou je ne vous suivrai pas sur Terre. Allons, à quoi imaginez-vous que servent les Retiros ? Une fois qu’on s’est entraîné, douché, restauré, parlé et réconforté, on peut s’exercer à autre chose. J’insiste. Persuadez-moi de venir sur Terre. »
Et d’un geste du doigt, elle tamisa les lumières du Retiro.
Chapitre 17
En sécurité ?
35
Insigna se sentait mal à l’aise. C’était Siever Genarr qui avait insisté pour demander son avis à Marlène.
« Tu es sa mère, Eugenia, et tu ne peux pas t’empêcher de la voir comme une petite fille. Il faut un certain temps à une mère pour comprendre que ce n’est plus la monarchie absolue. »
Eugenia Insigna évita son regard qui n’avait rien de sévère. « Ne me fais pas la morale, Siever. C’est facile de pontifier sur les enfants des autres.
— Je pontifie ? Je suis désolé. Disons que je ne suis pas émotionnellement dépendant, comme tu l’es, du souvenir d’une enfant. J’ai l’impression que Marlène a beaucoup plus d’importance que toi et moi. Nous devons la consulter …
— Il faut la mettre en sécurité, riposta Insigna.
— D’accord, mais discutons d’abord avec elle du moyen à employer. Elle est jeune, inexpérimentée, pourtant elle sait peut-être mieux que nous ce qu’il faut faire. Parlons-en comme si nous étions trois adultes. Promets-moi, Eugenia, que tu n’essaieras pas d’user d’autorité. »