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Insigna répondit amèrement : « Comment veux-tu que je te promette cela ? Mais parlons avec elle, d’accord. »

Ils étaient maintenant tous les trois dans le bureau de Genarr, entouré du champ protecteur, et Marlène, dont les yeux allaient rapidement de l’un à l’autre, fit la moue et dit, l’air malheureux : « Je sens que je ne vais pas aimer ça.

— J’ai bien peur qu’il s’agisse, en effet, de mauvaises nouvelles, dit Insigna. Voilà … Nous envisageons un retour sur Rotor. »

Marlène parut étonnée. « Ton travail est important, maman. Tu ne peux pas l’abandonner. Mais je vois que tu n’en as pas l’intention. Alors, je ne comprends pas.

— Marlène. » Insigna parlait lentement et en détachant les syllabes. « Nous envisageons ton retour sur Rotor. Seulement toi. »

Il y eut un moment de silence, durant lequel Marlène étudia leurs visages. Puis elle dit, presque en chuchotant : « Tu dis cela sérieusement. Je n’arrive pas à y croire. Je ne retournerai pas sur Rotor. Je ne veux pas. Jamais. Erythro est ma planète. Je suis là où j’ai envie d’être.

— Marlène … » commença Insigna d’une voix aiguë.

Genarr leva la main en secouant la tête. Elle s’interrompit puis reprit : « Pourquoi as-tu tellement envie d’être ici, Marlène ?

— Parce que c’est comme ça, répondit-elle catégoriquement. On a parfois envie d’un aliment … on a juste envie de le manger. On ne peut pas expliquer pourquoi. J’ai faim d’Erythro. Je ne sais pas pourquoi, mais j’en ai envie. Je n’ai pas besoin d’explications.

— Laisse ta mère te dire ce que nous savons », intervint Genarr.

Insigna prit entre ses mains la main de sa fille, froide et sans réaction. « Souviens-toi, Marlène, avant que nous partions pour Erythro, tu m’as parlé de ton entretien avec le Gouverneur …

— Oui ?

— Tu m’as dit qu’en acceptant notre départ pour Erythro, il avait caché quelque chose. Tu ne savais pas quoi, mais tu as dit que c’était plutôt déplaisant … quelque chose de néfaste.

— Oui, je m’en souviens. »

Insigna hésita et les grands yeux pénétrants de Marlène se durcirent. Elle chuchota, comme si elle ne s’apercevait pas qu’elle exprimait ses pensées intérieures à haute voix. « Vacillement optique. Main portée à la tempe. Recul. » Le son mourut, mais ses lèvres continuèrent à bouger.

Puis, avec indignation, elle dit : « Tu crois que j’ai le cerveau dérangé ?

— Non, se hâta de répondre Insigna. C’est le contraire, ma chérie. Nous savons que ton cerveau est excellent, et nous voulons qu’il le reste. Voilà de quoi il s’agit … »

Marlène écouta l’histoire de la Peste d’Erythro d’un air très soupçonneux, et finit par dire : « Je vois que tu crois ce que tu me racontes, maman, mais on pourrait t’avoir menti.

— C’est moi qui lui en ai parlé, intervint Genarr, et je peux vous dire que c’est vrai, l’ayant vécu personnellement. Maintenant, dites-moi si je mens. »

Marlène ne répondit pas et poursuivit : « Pourquoi alors suis-je particulièrement en danger ? Pourquoi moi plus que maman ou vous ?

— On a émis l’hypothèse que les esprits originaux sont plus vulnérables à la Peste, et comme le vôtre est le plus original que j’aie jamais rencontré, il se pourrait que vous y soyez dangereusement prédisposée. Le Gouverneur m’a ordonné de vous laisser libre sur Erythro, de vous aider à voir et à faire tout ce que vous voudrez, et même de vous laisser explorer la surface, hors du Dôme … si tel est votre désir. Cela a l’air très gentil de sa part, mais n’a-t-il pas voulu vous exposer à succomber à la Peste ? »

Marlène ne montra pas le moindre signe d’émotion.

« Si le Gouverneur veut me faire du mal, dit-elle enfin, pourquoi voulez-vous me renvoyer auprès de lui ? »

Genarr haussa les sourcils. « Nous vous l’avons expliqué. Vous êtes en danger, ici.

— Je serai en danger là-bas, auprès de lui. S’il pense qu’ici je suis condamnée, il m’oubliera. Il me laissera tranquille.

— Mais la Peste, Marlène. La Peste. » Elle tendit les bras pour l’étreindre.

Marlène recula. « Je n’ai pas peur de la Peste. Ici, je ne suis pas en danger. Absolument pas. Je connais mon esprit. J’ai vécu avec lui toute ma vie. Je le comprends. Il n’est pas en danger.

— Comment pouvez-vous le savoir, Marlène ? demanda Genarr.

— Je le sais, c’est tout. »

Insigna était à bout de patience. Elle saisit Marlène par les coudes. « Marlène, tu dois faire ce que je te dis.

— Non, maman. Tu ne comprends pas. Sur Rotor, j’ai senti que quelque chose m’attirait vers Erythro. Maintenant que je suis là, cette attraction est plus forte que jamais. Je ne crains rien, ici. »

Genarr leva la main, coupant la parole à Insigna. « Je propose un compromis, Marlène. Votre mère est ici pour faire des observations astronomiques. Cela va lui prendre du temps. Promettez-moi, pendant qu’elle est ainsi occupée, de rester à l’intérieur du Dôme, de prendre toutes les précautions que j’estimerai nécessaires et de vous soumettre à des examens périodiques. Si nous ne détectons aucun changement dans vos fonctions mentales, vous pourrez rester ici jusqu’à ce que votre mère ait terminé et, alors, nous en discuterons de nouveau. D’accord ? »

Marlène baissa la tête, perdue dans ses pensées. Puis elle dit : « D’accord. Mais, maman, ne me dis pas que tu as fini si ce n’est pas vrai. Je le saurai. Et ne bâcle pas ton travail. Je le saurai aussi. »

Insigna fronça les sourcils et répondit : « Je n’ai pas l’intention de te mentir, Marlène, et je n’ai jamais bâclé mon travail … même pour ton bien.

— Pardonne-moi, maman. Je sais que je t’irrite. »

Insigna poussa un gros soupir.

— Je ne le nie pas, mais, agaçante ou non, Marlène, tu es ma fille. Je t’aime et je veux te garder saine et sauve. Est-ce que je mens en disant cela ?

— Non, maman, tu ne mens pas, mais je t’en prie, crois-moi quand je dis que je ne crains rien. Depuis que nous sommes sur Erythro, je suis heureuse. Je ne l’ai jamais été sur Rotor.

— Et pourquoi êtes-vous heureuse ? demanda Genarr.

— Je ne sais pas, oncle Siever. Mais être heureuse, ça suffit, même quand on ne sait pas pourquoi, n’est-ce pas ? »

36

« Tu as l’air fatiguée, Eugenia, dit Genarr.

— Pas physiquement, Siever. Juste abrutie après deux mois de calculs. Je ne sais pas comment faisaient les astronomes avant l’ère spatiale pour arriver à de tels résultats avec des ordinateurs rudimentaires. Quand je pense que Kepler a énoncé les lois des mouvements planétaires avec les logarithmes ! Et encore … Il a dû se dire qu’il avait de la chance, car on venait de les inventer.

— Pardonne à un Béotien, mais je croyais qu’aujourd’hui les astronomes donnent des instructions à leurs instruments, vont dormir et, quelques heures après, se réveillent pour trouver toutes les données imprimées sur leur bureau.

— Je voudrais bien. Mais ce travail-là était différent. Sais-tu avec quelle précision j’ai dû calculer la vitesse relative de Némésis et du Soleil pour établir le lieu et le moment où ils seront le plus proches ? Sais-tu qu’une minuscule erreur suffirait à fausser complètement les résultats ?

« Ce serait déjà difficile si Némésis et le Soleil étaient les seuls corps de l’Univers, mais il y a les étoiles voisines, toutes en mouvement. Au moins une douzaine d’entre elles sont assez massives pour produire un minuscule effet sur Némésis, ou sur le Soleil, ou sur les deux. Minuscule, mais assez grand pour causer une erreur de plusieurs millions de kilomètres dans un sens ou dans l’autre, si l’on n’en tient pas compte. Pour ne pas se tromper, on doit connaître avec précision la masse de chaque étoile, ainsi que sa position et sa vitesse.