« C’est un problème à quinze corps, Siever, énormément compliqué. Némésis traversera le système solaire et aura un effet perceptible sur plusieurs de ses planètes. Tout dépend de la position de chaque planète sur son orbite lorsque Némésis arrivera, de l’amplitude de son déplacement sous l’influence de cette étoile, et des effets de ce déplacement sur l’attraction qu’elle exerce sur les autres planètes. A quoi il faut ajouter l’attraction de Mégas. »
Genarr l’écoutait gravement. « Et quel est le résultat, Eugenia ?
— Je crois que l’effet rendra l’orbite de la Terre un tout petit peu plus excentrique et son axe semi-majeur un peu plus petit.
— Ce qui veut dire ?
— Que la Terre deviendra trop chaude pour rester habitable.
— Et qu’arrivera-t-il à Mégas et à Erythro ?
— Rien de mesurable. Le système de Némésis est beaucoup plus petit que le système solaire ; donc il tiendra mieux le coup. Ici, il n’y aura que des modifications insignifiantes, mais pas sur la Terre.
— Quand cela se produira-t-il ?
— Dans cinq mille vingt-quatre ans, plus ou moins quinze, Némésis passera au plus près du Soleil. L’effet s’étendra sur vingt ou trente ans.
— Va-t-il y avoir une collision, ou quelque chose comme ça ?
— Il n’y aura pas de collision entre les corps les plus grands. Bien sûr, un astéroïde solaire peut tomber sur Erythro, ou un astéroïde de Némésis sur la Terre. Il y a très peu de chance pour que cela arrive, mais cela pourrait être catastrophique pour la Terre. On ne pourra pas le calculer avant que les étoiles soient très proches l’une de l’autre.
— Ainsi la Terre devra être évacuée. N’est-ce pas ?
— Oh, oui.
— Mais ils ont cinq mille ans pour le faire.
— Tu parles comme Pitt. »
Genarr gloussa. « Il ne peut pas avoir tort en tout, tu sais.
— Il ne voudra pas avertir la Terre.
— Il ne peut pas toujours faire tout ce qu’il veut. Nous avons un Dôme ici, sur Erythro, bien qu’il s’y soit opposé. Et il finira bien par mourir. Ne t’inquiète pas tant pour la Terre, Eugenia. Nous avons nos propres soucis. Est-ce que Marlène est au courant de tes résultats ?
— Comment pourrait-elle ne pas savoir ? Apparemment, l’état exact de mes progrès est imprimé sur la manière dont je fais bruire ma manche ou peigne mes cheveux.
— Elle devient de plus en plus perspicace, n’est-ce pas ?
— Tu l’as remarqué, toi aussi ?
— Oui. Même depuis le peu de temps que je la connais.
— Je suppose que c’est dû en partie à sa croissance. Sa perception s’épanouit comme ses seins. Et puis, elle a passé la plus grande partie de sa vie à essayer de cacher son don parce qu’elle ne savait pas quoi en faire et qu’il lui attirait des ennuis. Maintenant qu’elle n’en a plus peur, il se développe.
— Ou parce que, pour une raison quelconque, elle se sent bien sur Erythro, comme elle dit, et que son plaisir aiguise ses perceptions.
— J’y ai pensé, Siever. Crois-tu qu’Erythro ait une influence sur elle ? Crois-tu qu’une forme atténuée de la Peste puisse la rendre encore plus sensible ?
— Si la Peste renforce sa perspicacité, cela ne dérègle en rien son équilibre mental. Et aucune des victimes de la Peste n’a montré de symptômes qui pourraient ressembler, même vaguement, au don de Marlène. »
Elle poussa un soupir. « Merci. Tu me réconfortes. Et merci aussi de te montrer aussi gentil avec Marlène. »
La bouche de Genarr se tordit en un petit sourire en biais. « C’est facile. Je l’aime énormément.
— Tu fais comme si c’était normal. Elle n’est pas aimable.
— Moi, je la trouve aimable. Elle est terriblement intelligente, même en dehors de son don.
— Oui, c’est vrai. Cela me console quand le fardeau devient trop lourd.
— Tant mieux, car le fardeau va peut-être s’alourdir, Eugenia. »
Insigna leva les yeux. « Pourquoi ?
— Elle m’a clairement laissé entendre que le Dôme ne lui suffit pas. Elle veut sortir, marcher sur le sol de la planète, dès que tu auras terminé ton travail. Elle insiste ! »
Insigna le regarda avec de grands yeux horrifiés.
Chapitre 18
La propulsion supraluminique
37
Trois années passées sur Terre avaient vieilli Tessa Wendel. Sa peau était moins douce. Elle avait pris du poids. Ses seins commençaient à fléchir et sa taille s’était épaissie. Elle avait les yeux cernés et un début de bajoues.
Crile Fisher savait que Tessa approchait maintenant de la cinquantaine et qu’elle comptait cinq ans de plus que lui. Elle ne faisait pas plus que son âge. C’était encore une belle femme mûre, mais elle ne pouvait plus passer pour une femme de moins de quarante ans, comme à leur première rencontre sur Adelia.
Tessa en était consciente et en avait parlé d’un ton amer la semaine dernière.
« C’est à cause de toi, Crile, lui avait-elle dit un soir au lit (l’occasion pour elle, apparemment, de s’apercevoir qu’elle vieillissait). Tu m’as vendue à la Terre. ‘‘Magnifique’’, disais-tu. ‘‘Immense’’, disais-tu. ‘‘De la variété. Toujours quelque de nouveau. Inépuisable.’’
— Ce n’est pas vrai ? répliqua-t-il, comprenant ce qu’elle ne pouvait pas supporter, mais souhaitant qu’elle donne libre cours à son ressentiment.
— Pas pour la pesanteur. Sur toute cette planète bouffie et invraisemblable, on trouve la même poussée gravitationnelle. Dans les airs, au fond des mines, là, ici, partout, un G … un G … un G. C’est à vous tuer d’ennui.
— Il n’y a rien de mieux, Tessa.
— Si. Tu as vécu sur les colonies. Là on peut faire de la gym sous faible pesanteur. On peut alléger, de temps en temps, la tension qui pèse sur vos tissus. Comment vivre sans cela ?
— Sur Terre aussi on fait de la gym.
— Oh, je t’en prie … avec cette éternelle attraction qui vous écrase. On ne peut pas sauter, on ne peut pas voler, on ne peut pas monter en flèche. Et cette gravitation entraîne vers le bas, toujours vers le bas, chaque partie de votre personne, si bien qu’on s’affaisse, qu’on se ride, qu’on vieillit. Regarde-moi ! Mais regarde-moi !
— Je te regarde aussi souvent que je peux, affirma Fisher d’un ton solennel.
— Alors, ne me regarde pas. Sinon, tu vas me laisser tomber. Et si tu fais cela, je retourne sur Adelia.
— Mais non. Qu’est-ce que tu y feras, une fois que tu te seras exercée sous basse pesanteur ? Ton travail de recherche, tes labos, ton équipe, sont ici.
— Traître ! Tu ne m’as pas dit que la Terre avait l’hyper-assistance, ni que vous aviez découvert l’Étoile voisine. Tu restais là à te moquer de moi comme le salaud sans cœur que tu es.
— Que se serait-il passé si tu avais décidé de ne pas venir sur Terre ? Ce n’était pas mon secret.
— Quand ils me l’ont dit, je me suis sentie assommée. Tu aurais pu y faire allusion afin que je n’aie pas l’air d’une idiote. Je t’aurais tué, mais que pouvais-je faire ? Tu m’as rendue dépendante de toi. Tu le savais quand tu m’as froidement séduite pour que je vienne sur Terre. »