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Genarr dit d’un ton interrogateur, mais poli : « Pourquoi, ma chérie ? »

Et Marlène répéta avec force et impatience : « Parce que nous ne le ferons pas. Maintenant, est-ce que je peux sortir ? »

Genarr regarda Insigna et dit : « Autant la laisser aller, Eugenia. Nous ne pouvons pas la retenir éternellement. Et Ranay d’Aubisson, depuis son retour de Rotor, a revu tous les clichés depuis le début ; elle m’a dit hier que la scanographie cérébrale de Marlène semble si stable qu’elle est convaincue qu’Erythro ne peut lui faire aucun mal. »

Marlène qui s’était tournée vers la porte, comme prête à entrer dans le sas, se retourna. « Attends, oncle Siever, j’avais presque oublié. Il faut nous méfier du Dr d’Aubisson.

— Pourquoi ? C’est une excellente neurophysicienne.

— Elle était contente que tu sois malade, après notre sortie, et bien déçue que tu t’en tires sans séquelles. »

Insigna eut l’air très surprise : « Siever, tu ne t’entends pas bien avec d’Aubisson ?

— Bien sûr que si. Mais si Marlène dit …

— Est-ce que Marlène n’a pas pu se tromper ? »

Aussitôt, Marlène répliqua : « Je ne me suis pas trompée.

— Je suis certain que tu as raison, Marlène », dit Genarr. Puis, s’adressant à Insigna : « D’Aubisson est ambitieuse. Si quelque chose m’arrivait, il serait logique qu’elle me succède au poste de commandant. Elle a beaucoup d’expérience d’Erythro et serait toute désignée pour s’attaquer à la Peste si celle-ci relevait la tête. En outre, elle est plus âgée que moi et peut se dire qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps. Je ne lui reprocherais pas d’avoir envie de me succéder et de se réjouir que je sois malade. Il se peut d’ailleurs qu’elle n’en soit même pas consciente.

— Si, elle l’est, dit Marlène d’un ton qui n’augurait rien de bon. Elle sait tout cela. Prends garde, oncle Siever.

— Promis. Es-tu prête, maintenant ?

— Bien sûr que je suis prête.

— Alors, laisse-moi t’accompagner jusqu’au sas. Viens avec nous, Eugenia, et essaie de ne pas prendre un air aussi tragique. »

C’est ainsi que Marlène mit le pied à la surface d’Erythro, seule et sans combinaison. Ce fut, d’après le temps standard de la Terre, le 15 janvier 2237, à 21 h 20. Sur la planète, c’était le milieu de la matinée.

Chapitre 30

La transition

65

Crile Fisher essayait de contenir son excitation, de garder un air aussi calme que les autres.

Il ne savait pas où était Tessa Wendel pour le moment. Elle ne pouvait pas être loin car le Supraluminal était relativement petit — mais si bien compartimenté qu’on pouvait, dans une travée, être hors du champ visuel des passagers installés dans une autre.

Les trois autres membres de l’équipage avaient chacun une tâche à accomplir. Seul Fisher n’avait rien de spécifique à faire, sauf peut-être de veiller à ne pas gêner les autres. Mais il leur avait souvent parlé. Ils étaient jeunes. Chao-Li Wu, trente-huit ans, était hyper-spatialiste. Il y avait aussi Henry Jarlow, trente-cinq ans, et Merry Blankowitz, la benjamine de l’équipe : vingt-sept ans, et un doctorat où l’encre n’avait pas encore eu le temps, de sécher.

Wendel, à cinquante-cinq ans, était la doyenne, mais aussi la demi-déesse qui avait inventé et conçu ce vol.

Le personnage en trop, c’était Fisher. Il aurait cinquante ans à son prochain anniversaire et n’avait aucune formation de spécialiste. Si l’on prenait en compte l’âge ou les connaissances, il n’aurait pas dû être à bord.

Mais il avait vécu sur Rotor. Cela comptait. Wendel avait besoin de sa compagnie, ce qui comptait encore plus. Et surtout il était là par la volonté de Tanayama et de Koropatsky, ce qui primait sur tout le reste.

Le vaisseau avançait pesamment dans l’espace. Fisher pouvait le dire sans en avoir aucune preuve matérielle. Il le sentait dans son corps. Il pensa farouchement : j’ai été dans l’espace bien plus longtemps qu’eux tous réunis, bien plus souvent sur bien plus de navires. Je peux dire que ce vaisseau glisse mal. Je le sens. Eux ne le sentent pas.

Il fallait que le Supraluminal glisse mal. Les sources normales d’énergie qui propulsaient dans le vide les vaisseaux spatiaux ordinaires avaient été réduites à leur plus simple expression. Il le fallait, car la plus grande partie de son volume était consacrée aux moteurs hyperspatiaux.

Il était comme un oiseau de mer qui marche maladroitement en se dandinant parce qu’il a été conçu pour plonger.

Brusquement Wendel apparut. Ses cheveux étaient un peu dépeignés et elle transpirait pas mal.

« Tout se passe bien, Tessa ?

— Oh, oui, parfaitement bien. » Elle appuya son postérieur contre l’une des dépressions murales (très utiles, étant donné la faible pseudogravité maintenue sur le vaisseau). « Aucun problème.

— Quand allons-nous passer dans l’hyper-espace ?

— Dans quelques heures. Il faut y pénétrer juste à l’endroit où toutes les sources gravitationnelles appropriées tordent l’espace exactement comme nous l’avons calculé.

— Cela ne rend pas le vol hyper-spatial très pratique. Et si tu ne savais plus où tu es ? Et si tu étais terriblement pressée et que tu ne puisses pas calculer chaque torsion gravitationnelle ? »

Wendel leva les yeux vers Fisher en souriant. « D’abord, il y a des appareils qui mesurent l’intensité gravitationnelle dans son ensemble, sous ses aspects scalaires et tensoriels, en n’importe quel point de l’espace, que tu connaisses le coin ou non. Le résultat n’est pas aussi précis que si tu prenais la peine de mesurer chaque source gravitationnelle et de faire le total, mais cela suffit … si ton temps est précieux. S’il est encore plus précieux et que tu sois obligé d’appuyer sur le bouton hyperspatial — pardonne-moi l’expression — et de parier que la gravitation ne sera pas trop importante, la transition s’accompagnera d’un choc ressemblant, par exemple, à ce qui t’arrive lorsqu’en franchissant un seuil tu heurtes le rebord du bout de ton soulier. Si on peut l’éviter, tant mieux, sinon, ce ne sera pas nécessairement mortel. Naturellement, au premier point de transition, nous aimerions, pour la paix de nos esprits, que cela se passe aussi doucement que possible.

— Et si tu crois que la gravitation est négligeable et qu’elle ne l’est pas ?

— Il vaut mieux espérer que cela n’arrivera pas.

— Tu as parlé de tensions durant la transition. Cela veut dire que la toute première transition pourrait être fatale, même si la gravité a bien été prise en compte ?

— ’’Pourrait’’ être, mais les chances pour qu’un accident mortel se produise durant une transition donnée sont minimes.

— Même si cela n’était pas fatal, est-ce que cela pourrait être déplaisant ?

— C’est plus difficile à dire parce que cela exige un jugement subjectif. Dans notre type de vol supraluminique, qui utilise un champ hyper-spatial à haute énergie, nous pratiquons la transition à des vitesses normales. Nous pouvons, à un moment donné, nous déplacer à des milliers de kilomètres par seconde, et tout de suite après, à cent millions de kilomètres par seconde sans accélération. Et comme il n’y a pas d’accélération, on ne sent rien.

— Comment peut-il ne pas y avoir d’accélération alors que tu multiplies ta vitesse un million de fois en un instant ?

— Parce que la transition est l’équivalent mathématique de l’accélération. Et notre corps réagit à l’accélération, mais non à la transition.