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Insigna secoua un peu la tête. « J’espère que nous nous trompons.

— Moi aussi, je le souhaite, mais je suis prêt à croire Marlène. Elle dit que Ranay était heureuse à l’idée d’avoir une chance d’étudier la Peste. Je m’en remets à son jugement.

— D’Aubisson dit qu’elle était heureuse pour des raisons professionnelles. Cela me paraît vraisemblable. Je suis une scientifique, moi aussi.

— Bien sûr que tu l’es, dit Genarr dont le visage ingrat se plissa en un sourire. Tu as accepté de quitter le système solaire et de parcourir des années-lumière pour acquérir de nouvelles connaissances astronomiques ; et pourtant, comme tu le savais, cela aurait pu entraîner la mort de tous les Rotoriens.

— Il y avait très peu de chances pour que cela arrive.

— Tu as tout de même risqué la vie de ta fille d’un an. Tu aurais pu la laisser à ton mari pantouflard et assurer ainsi sa sécurité en acceptant de ne plus jamais la revoir. Tu as risqué sa vie, et ce n’était même pas pour le plus grand bien de Rotor, mais pour le tien.

— Arrête, Siever. C’est trop cruel ce que tu dis.

— J’essaie seulement de te prouver qu’on peut tout voir à des points de vue différents. D’Aubisson parle du plaisir professionnel d’étudier une maladie, mais Marlène parle de malveillance, et son choix de mots m’inspire confiance.

— Alors, d’Aubisson a très envie de voir Marlène sortir de nouveau.

— Je l’en soupçonne, mais elle est assez prudente pour dire que c’est moi qui dois en donner l’ordre, et elle suggère même que je le mette par écrit. Elle veut s’assurer que ce serait moi, et non elle, qui recevrais le blâme en cas de malheur.

— Dans ce cas, Siever, il ne faut pas laisser Marlène sortir. Pourquoi faire le jeu de Pitt ?

— Au contraire, Eugenia. Ce n’est pas si simple. Il faut l’envoyer à la surface d’Erythro.

— Quoi ?

— Elle ne craint rien. Je crois que tu avais raison en suggérant qu’une forme de vie imprègne cette planète et exerce une sorte de pouvoir sur nous. J’ai bien vu ce qui est arrivé à Ranay. Elle a tenté d’imposer la scanographie cérébrale à Marlène et elle s’est pliée en deux. J’ai persuadé Marlène d’accepter l’examen et Ranay s’est aussitôt trouvée mieux.

— Alors, tu te rends, Siever. S’il y a une forme de vie malveillante sur cette planète …

— Attends, Eugenia. Cette forme de vie a peut-être provoqué la Peste, mais la maladie n’a pas continué. Bien sûr, nous nous sommes contentés de rester dans le Dôme, mais si la forme de vie était vraiment malveillante, elle nous aurait tous tués et n’aurait pas accepté ce qui me semble être un compromis civilisé.

— S’il y a vraiment une intelligence étrangère, il n’est pas raisonnable de déduire ses intentions de ses actes. Ce qu’elle pense peut être totalement hors de notre portée.

— Elle n’a fait aucun mal à ta fille.

— Alors pourquoi Marlène a-t-elle eu peur, pourquoi s’est-elle mise à courir vers le Dôme en criant ?

— Cette panique s’est rapidement calmée. Le temps que ses soi-disant sauveteurs l’atteignent, elle semblait parfaitement normale. Je suppose que la forme de vie a fait quelque chose qui a effrayé Marlène — peut-être a-t-elle autant de mal à comprendre nos émotions que nous les siennes — qu’elle a vu les conséquences et s’est mise à l’apaiser. Ce qui démontrerait, une fois de plus, ‘‘l’humanité’’ de cette forme de vie. »

Insigna fronçait les sourcils. « L’ennui avec toi, Siever, c’est que tu as terriblement tendance à penser du bien de tout le monde … et de tout. Je ne peux pas me fier à ton interprétation.

— Tu verras que nous ne pouvons pas nous opposer à Marlène. Quoi qu’elle veuille faire, elle le fera, et ceux qui s’opposeront à elle gémiront de douleur ou tomberont inconscients.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette forme de vie ?

— Je ne sais pas, Eugenia.

— Il y a une autre question, qui me fait encore plus peur : Qu’est-ce qu’elle veut obtenir de Marlène ? »

Genarr secoua la tête. « Je n’en sais rien, Eugenia. »

Et ils se regardèrent, impuissants.

Chapitre 32

Perdus

71

Crile Fisher contemplait pensivement la brillante étoile.

Tout d’abord, elle avait été trop aveuglante pour qu’on la regarde, du moins sans l’intermédiaire d’un instrument. Il lui avait, de temps à autres, jeté un coup d’œil, dont il gardait une image rémanente. Tessa Wendel, qui se désespérait des conséquences de ce qui venait de leur arriver, lui avait parlé de lésion rétinienne et il avait opacifié le hublot d’observation et ramené la brillance de l’étoile à un niveau supportable. Ce qui estompa les autres étoiles et ternit leur éclat.

La brillante étoile, c’était le Soleil, bien entendu.

Aucun être humain ne l’avait vu de si loin (sauf les Rotoriens lorsqu’ils avaient quitté le système solaire). Le Supraluminal était à deux fois la distance de Pluton et l’astre n’apparaissait plus comme une sphère et scintillait comme une étoile. Néanmoins, il brillait cent fois plus que la pleine Lune vue de la Terre, et cette lumière était condensée en un seul point. Pas étonnant qu’on ne puisse pas le regarder directement au travers d’une vitre non opacifiée.

Cela changeait tout. Ordinairement, on ne s’émerveillait pas du Soleil. Il était trop éclatant pour qu’on le regarde, trop unique en son genre. La petite part de sa lumière qui, éparpillée, bleuissait l’atmosphère, était suffisante pour masquer les autres étoiles, et même là où elles apparaissaient (sur la Lune, par exemple), il l’emportait tellement sur elles que nul n’aurait eu l’idée de faire des comparaisons.

Ici, loin dans l’espace, sa lumière avait assez diminué pour qu’on puisse en faire. Wendel avait dit qu’à cet endroit même, le Soleil était cent soixante mille fois plus brillant que Sirius, le corps céleste le plus lumineux après lui. Il scintillait peut-être vingt millions de fois plus que les étoiles les plus faibles qu’on pouvait voir à l’œil nu. Cela rendait le Soleil plus merveilleux que lorsqu’il était seul à briller dans le ciel de la Terre.

Fisher n’avait pas grand-chose d’autre à faire que de regarder le ciel, car le Supraluminal se contentait de dériver dans l’espace. Il faisait cela depuis deux jours … à la vitesse d’une fusée à réaction.

A cette allure, il faudrait trente-cinq mille ans pour atteindre l’Étoile voisine … s’ils allaient dans la bonne direction. Ce qui n’était pas le cas.

C’était cela qui, deux jours plus tôt, avait donné au visage de Wendel ce teint cireux.

Jusqu’alors, tout s’était bien passé. Au moment prévu pour entrer dans l’hyper-espace, Fisher s’était crispé, craignant une douleur fugitive mais atroce, le déferlement soudain des ténèbres éternelles.

Rien de tout cela. La chose avait été trop rapide. Ils avaient pénétré dans l’hyper-espace et en avaient émergé simultanément. Les étoiles avaient brusquement formé un pattern différent.

Fisher avait été doublement soulagé. D’abord, il était encore vivant, et puis, si quelque chose avait mal tourné, il ne se serait même pas rendu compte qu’il mourait.

Le soulagement avait été si vif qu’il avait à peine entendu Tessa pousser un gémissement d’angoisse et se précipiter dans la chambre des machines en protestant.