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Les gens comme Marlène n’ôtaient pas leurs vêtements en public. C’était peut-être pour cela qu’on en avait. Pour cacher son corps.

Pourquoi les esprits n’avaient-ils pas une forme qu’on puisse montrer ? En fait, ils en avaient une, mais les gens ne l’aimaient pas. Ils se plaisaient à regarder des corps bien faits et faisaient les dégoûtés devant des esprits bien faits. Pourquoi ?

Mais ici, sur Erythro où il n’y avait personne, elle pouvait ôter ses vêtements s’il faisait bon. Il n’y aurait personne pour la montrer du doigt ou se moquer d’elle.

En fait, elle pouvait faire ce qu’elle voulait ; elle avait un monde pour elle toute seule, un monde agréable, vide, qui l’entourait et l’enveloppait comme une immense et douce couverture et … rien que le silence.

Elle pouvait se détendre. Rien que le silence. Elle chuchota ces mots intérieurement afin de le troubler le moins possible.

Le silence.

Alors elle se redressa. Le silence ?

Mais elle était sortie pour entendre de nouveau la voix. Cette fois, elle ne crierait plus. Elle n’aurait plus peur. Où était la voix ?

Ce fut comme si elle l’avait appelée, comme si elle l’avait sifflée …

« Marlène ! »

Son cœur se mit à battre plus vite. Mais elle ne faiblit pas. Il ne fallait montrer aucun signe de peur ou de trouble. Elle se contenta de regarder lentement autour d’elle et de dire, très calmement : « Où êtes-vous, je vous prie ?

— Ce n’est pas … indis … indispensable de fai … faire vibrer l’air … pour parler. »

C’était la voix d’Aurinel, mais elle ne parlait pas du tout comme Aurinel. Elle semblait avoir du mal à s’exprimer, mais comme si cela allait s’améliorer.

« Cela va s’améliorer », dit la voix.

Marlène n’avait pas parlé. Elle ne dit rien, mais se contenta de penser … « Je n’ai pas besoin de parler. Je n’ai qu’à penser.

— Il suffit de régler le pattern. C’est ce que vous faites.

— Mais je vous entends parler.

— Je règle votre pattern. C’est comme si vous m’entendiez. »

Marlène s’humecta les lèvres. Elle ne devait pas s’abandonner à la peur, il fallait rester calme.

« Il n’y a pas de qui … de quoi … avoir peur, dit la voix qui n’était pas tout à fait celle d’Aurinel.

— Vous entendez tout, n’est-ce pas ? pensa-t-elle.

— Cela vous ennuie ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Je ne veux pas que vous sachiez tout. Je veux garder certaines pensées pour moi. » (Elle essaya de ne pas se dire que c’était comme cela que les autres réagissaient devant elle lorsqu’ils voulaient garder leurs pensées pour eux, mais Marlène savait que cette pensée-là lui échappait, au moment même où elle s’efforçait de ne pas penser.)

« Mais votre pattern ne ressemble pas à celui des autres.

— Mon pattern ?

— Le pattern de votre esprit. Ceux des autres sont … embrouillés … enchevêtrés. Le vôtre est … splendide. »

Marlène se lécha de nouveau les lèvres et sourit. Quand on percevait son esprit, on le trouvait splendide. Elle triompha et pensa avec mépris aux filles qui avaient seulement … une apparence.

La voix reprit : « Était-ce une pensée personnelle ? »

Marlène faillit répondre tout haut. « Oui.

— Je peux détecter la différence. Je ne réagirai plus à vos pensées personnelles. »

Marlène avait faim de louanges. « Avez-vous vu beaucoup de patterns ?

— Beaucoup depuis que les choses hu … maines sont arrivées. »

Elle n’est pas sûre du mot, pensa Marlène. La voix ne répondit pas et la jeune fille en fut étonnée. Cette surprise avait été une émotion intime, mas elle n’y avait pas pensé. Peut-être qu’une pensée personnelle était personnelle même si l’on n’en avait pas conscience. L’esprit savait qu’il pouvait détecter la différence, et c’était vrai. Cela se voyait dans le pattern.

La voix ne répondit pas non plus à cela. Il fallait que Marlène pose explicitement la question, pour montrer que ce n’était pas une pensée personnelle.

« S’il vous plaît, est-ce que ça se voit dans le pattern ? » Elle n’avait pas besoin de préciser. La voix saurait de quoi elle parlait.

« Oui. Tout se voit dans votre pattern parce qu’il est très bien conçu. »

Marlène ronronnait presque. Elle avait eu son compliment. Il était juste de le retourner. « Le vôtre doit être tout aussi bien conçu.

— Il est différent. Mon pattern se disperse. Il est simple en chacun de ses points, et complexe seulement quand on le prend dans son ensemble. Le vôtre est complexe en tous points. Il n’y a pas de simplicité en lui. Vous n’êtes pas comme les autres membres de votre espèce. Ils sont enchevêtrés. Ce n’est pas possible de s’entre-atteindre avec eux … non, de communiquer. On peut essayer de les réarranger, mais cela leur fait du mal, car leur pattern est fragile. Je ne le savais pas. Le mien ne l’est pas.

— Et le mien, il l’est ?

— Non. Il se règle de lui-même.

— Vous avez essayé de communiquer avec les autres, n’est-ce pas ?

— Oui. »

La Peste d’Erythro. (Il n’y eut pas de réponse. Cette pensée était personnelle.)

Marlène ferma les yeux et essaya de tendre son esprit, de localiser la source de la voix. Elle le fit sans savoir comment ; peut-être n’était-ce pas comme cela qu’il fallait opérer, peut-être qu’elle ne faisait rien. L’esprit allait rire de sa maladresse … s’il savait ce que c’était que de rire.

Il n’y eut pas de réponse.

« Pensez à quelque chose.

Aussitôt, la pensée revint « Que dois-je penser ? »

Elle ne venait pas de quelque part. Elle ne venait pas d’ici ou de là. Elle venait de l’intérieur de son esprit.

Elle pensa (furieuse de son incapacité) : « Quand avez-vous senti le pattern de mon esprit ?

— Dans le nouveau conteneur d’être humains.

— Sur Rotor ?

— Sur Rotor. »

Brusquement tout s’éclaira. « Vous vouliez que je vienne. Vous m’avez appelée.

— Oui. »

Bien sûr. Sinon, pourquoi aurait-elle eu envie de se rendre sur Erythro ? Pour quelle autre raison aurait-elle regardé cette planète avec un tel désir le jour où Aurinel était venu lui dire que sa mère la cherchait ?

Elle serra les dents. Il fallait qu’elle continue à le questionner. « Où êtes-vous ?

— Partout.

— Êtes-vous la planète ?

— Non.

— Montrez-vous.

— Je suis là. » Et brusquement, la voix vint d’une certaine direction.

Marlène regarda fixement le petit ruisseau et, soudain, elle s’aperçut que pendant tout le temps où elle avait communiqué mentalement avec la voix, c’était la seule chose qu’elle avait perçue. Elle n’avait eu conscience de rien d’autre autour d’elle. C’était comme si son esprit s’était fermé afin d’être plus sensible à la chose qui l’avait rempli.

Et maintenant, le voile se soulevait. L’eau courait le long des rochers, bouillonnait autour d’eux, formait un petit tourbillon marqué par des bulles. Elles tournaient et éclataient, tandis que de nouvelles bulles naissaient, formant un dessin dont l’essence ne changeait pas, mais qui ne se répétait jamais vraiment.

Une par une, les bulles éclatèrent sans aucun bruit, et l’eau devint lisse, mais continua à tourner. Comment pouvait-elle savoir que l’eau tournait puisque rien n’apparaissait à sa surface ?

Parce qu’elle scintillait très légèrement à la lumière rose de Némésis. Marlène la voyait tourner car les miroitements formaient, en tourbillonnant et en se combinant, les arcs de cercle d’une spirale. Ses yeux captivés suivaient lentement leurs mouvements tandis qu’ils se rassemblaient pour former le schéma d’un visage, avec deux trous sombres pour les yeux et une balafre pour la bouche.