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Le dessin se précisa tandis que Marlène le contemplait, fascinée. Il devint un vrai visage qui la regardait de ses yeux vides, un visage assez réel pour qu’elle le reconnaisse.

C’était celui d’Aurinel Pampas.

75

Siever Genarr dit, pensivement et lentement, en s’efforçant de parler calmement : « Et alors, tu es partie. »

Marlène hocha la tête. « Je suis partie aussi la fois où j’ai entendu la voix d’Aurinel. Aujourd’hui, je suis partie quand j’ai vu le visage d’Aurinel.

— Je te comprends …

— Vous me ménagez, oncle Siever.

— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Te donner des coups de pied ? Laisse-moi te ménager … si cela me plaît. L’esprit, comme tu l’appelles, a trouvé la voix et le visage d’Aurinel dans le tien, c’est évident. Ils doivent y être très net. Vous étiez très intimes, Aurinel et toi ? »

Elle le regarda d’un air soupçonneux. « Que voulez-vous dire ? Très intimes ?

— Je ne sous-entends rien d’extraordinaire. Êtiez-vous amis ?

— Oui, bien entendu.

— Tu avais le béguin ? »

Marlène se tut et pinça les lèvres. Puis elle dit : « Je pense que oui.

— Et maintenant ?

— Eh bien, à quoi bon ? Il me traitait comme une petite fille. Comme une petite sœur, peut-être.

— Cela n’a rien de bizarre, étant donné les circonstances. Mais tu penses toujours à lui … c’est pourquoi tu as évoqué sa voix, puis son visage.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par ‘‘évoqué’’ ? C’était une voix réelle et un vrai visage.

— En es-tu certaine ?

— Bien sur que oui.

— As-tu parlé de cela à ta mère ?

— Non. Pas un mot.

— Pourquoi ?

— Oh, oncle Siever. Vous la connaissez. Je ne pourrais pas supporter toute cette … nervosité. Je sais. Vous allez me dire que c’est parce qu’elle m’aime, mais cela ne rend pas les choses plus faciles.

— Tu es d’accord pour m’en parler, Marlène, et je t’aime beaucoup.

— Je le sais, oncle Siever, mais vous n’êtes pas du genre nerveux. Vous considérez les choses d’un point de vue logique.

— Dois-je prendre cela pour un compliment ?

— C’est comme cela que je l’ai dit.

— Dans ce cas, examinons ce que tu as découvert et faisons-le logiquement.

— D’accord, oncle Siever.

— Bien. Pour commencer, il y a quelque chose de vivant sur cette planète.

— Oui.

— Et ce n’est pas la planète elle-même.

— Non, pas du tout. Il a dit que non.

— Mais c’est, apparemment, une chose vivante.

— C’est l’impression que j’ai eue. L’ennui, oncle Siever, c’est que cela ne s’est pas passé comme la télépathie est censée marcher. Ce n’est pas comme de lire dans les pensées et de parler. Il y a aussi des impressions qui vous viennent d’un coup, comme quand on regarde globalement une image et non les petits morceaux d’ombres et de lumière qui la composent.

— Cette impression, c’était celle d’une chose vivante.

— Et intelligente.

— Très intelligente.

— Mais pas technologique. Nous n’avons rien trouvé de technologique sur cette planète. Cette chose vivante qui n’est pas visible, pas apparente, plane sur la planète … pense … raisonne … mais ne fait rien. Est-ce exact ? »

Marlène hésita. « Je ne peux pas vraiment dire, mais peut-être as-tu raison.

— Et alors, nous sommes arrivés. Crois-tu que la chose s’est aperçue que nous arrivions ?

Marlène secoua la tête. « Je ne peux pas dire.

— Allons, ma chérie, elle était consciente de ton existence alors que tu étais encore sur Rotor. Elle a dû s’apercevoir qu’une intelligence envahissait le système de Némésis quand nous étions encore loin. As-tu eu cette impression ?

— Je ne crois pas, oncle Siever. Je pense que cet esprit ne savait rien sur nous avant que nous atterrissions sur Erythro. Cela a attiré son attention et alors, il a regardé autour de lui et a découvert Rotor.

— Tu as peut-être raison. Alors il a fait des expériences sur les nouveaux esprits qu’il sentait sur Erythro. C’était la première fois qu’il rencontrait un esprit autre que le sien. Depuis combien de temps vit-il, Marlène ? Tu en as une idée ?

— Pas vraiment, oncle Siever, mais j’ai l’impression qu’il vit depuis longtemps, peut-être depuis aussi longtemps que la planète.

— Peut-être. En tout cas, quel que soit son âge, c’était la première fois qu’il se retrouvait plongé dans autant d’esprits très différents du sien. Ça va jusque-là, Marlène ?

— Oui.

— Aussi a-t-il fait des expériences sur ces nouveaux esprits et parce qu’il ne savait rien d’eux, il les a endommagés. Ce fut la Peste d’Erythro.

— Oui, répondit Marlène, s’animant soudain. Il n’a pas parlé explicitement de la Peste, mais l’impression était forte. La maladie est la conséquence de cette première expérimentation.

— Et quand il s’est aperçu qu’il provoquait des dégâts, il s’est arrêté.

— Oui, c’est pour cela que nous n’avons plus la Peste.

— Et à partir de là, semble-t-il, cet esprit est devenu bienveillant, il a acquis un sens moral que nous pouvons ratifier, il ne veut pas nuire aux autres esprits.

— Oui ! s’exclama Marlène ravie. Ça, j’en suis sûre.

— Mais quelle forme de vie est-ce ? Est-ce un esprit ? Quelque chose d’immatériel ? Quelque chose que nos sens ne peuvent capter ?

— Je l’ignore, oncle Siever, soupira Marlène.

— Alors, laisse-moi te répéter ce qu’il t’a dit. Arrête-moi si je me trompe. Il a dit que son pattern se ‘‘disperse’’ ; qu’il est ‘‘simple en chacun de ses points, et complexe seulement quand on le prend dans son ensemble’’ ; qu’il n’est pas ‘‘fragile’’. C’est bien ça ?

— Oui.

— Et la seule vie que nous ayons jamais trouvée sur Erythro, ce sont les procaryotes, les minuscules cellules qui ressemblent à des bactéries. Si cette chose n’est pas spirituelle et immatérielle, il ne me reste plus que ces procaryotes. Est-il possible que ces petites cellules, qui semblent séparées, soient en réalité les composantes d’un organisme planétaire ? Le pattern de son esprit serait alors dispersé. Il serait simple en chacun de ses points et complexe lorsqu’on le prendrait dans son ensemble. Et il ne serait pas fragile, car même si une grande partie en était détruite, l’organisme planétaire serait à peine touché dans son ensemble. »

Marlène regardait fixement Genarr. « Alors, j’ai parlé à des microbes ?

— Je n’en suis pas sûr, Marlène. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle cadre bien avec les faits et je n’en trouve pas d’autre qui puisse les expliquer aussi bien. En outre, si nous considérons les centaines de milliards de cellules qui composent notre cerveau, chacune d’elles, prise séparément, ne compte pas beaucoup. Tu es un organisme dans lequel toutes les cellules cérébrales sont agglutinées. Si tu parles à un autre organisme dans lequel toutes les cellules cérébrales sont à la fois séparées et liées, disons, par de minuscules ondes radio, est-il tellement différent du tien ?

— Je ne sais pas, dit Marlène, visiblement troublée.