— Bien sûr que oui, Chao-Li. Et le capitaine Wendel aussi. Elle a signé le rapport, en tant que témoin.
— Comme vous. Et je pense que le capitaine a tort de vouloir explorer la Galaxie. Elle pourrait visiter une centaine d’étoiles sans voir un monde aussi étrange que celui-là. Pourquoi chercher la quantité alors qu’on a la qualité sous la main ?
— Personnellement, dit Blankowitz, je pense que ce qui l’ennuie, c’est la gamine de Fisher. Et s’il la trouvait ?
— Et alors ? Il peut la ramener sur Terre. Qu’est-ce que cela pourrait faire ?
— Il y a aussi une épouse, vous savez.
— Vous en a-t-il parlé ?
— Cela ne veut pas dire qu’il … »
Elle referma la bouche en entendant un bruit, à l’extérieur ; Crile Fisher entra et les salua d’un hochement de tête.
Blankowitz s’empressa de prendre la parole, comme pour effacer la conversation précédente : « Henry a-t-il terminé sa spectroscopie ?
— Je n’en sais rien, répondit Fisher. Le pauvre garçon est inquiet. Je pense qu’il a peur de mal interpréter les données.
— Allons, intervint Wu. C’est l’ordinateur qui fait l’interprétation. Il peut s’abriter derrière lui.
— Non, il ne peut pas, répliqua Blankowitz avec véhémence. Cela m’amuse. Vous, les théoriciens, vous pensez que nous, les observateurs, nous nous contentons de surveiller un ordinateur, de le caresser un peu en lui disant ‘‘C’est un bon chien, ça’’, et puis de lire les résultats. Les choses ne se passent pas comme cela. Ce que l’ordinateur dit dépend de ce qu’on met dedans, et j’ai toujours entendu les théoriciens faire des reproches aux observateurs lorsque l’observation ne leur plaisait pas. Je n’en ai jamais entendu un seul dire : ‘‘Il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond avec l’ordinateur’’ …
— Attendez, dit Wu. Ne laissez pas libre cours à vos récriminations. M’avez-vous entendu faire des reproches aux observateurs ?
— Vous n’avez pas beaucoup apprécié les remarques d’Henry …
— Je les ai acceptées tout de même. Je n’ai aucune théorie sur ce monde.
— Et c’est pour cela que vous avalez tout ce qu’il vous raconte. »
A ce moment, Henry Jarlow entra avec Tessa Wendel. Il avait l’air d’un nuage sur le point de se décider à pleuvoir.
« Bon, Jarlow, dit Wendel, nous voilà tous réunis. Alors, dites-nous. A quoi ce satellite ressemble-t-il ?
— L’ennui, c’est qu’il n’y a pas assez d’ultra-violets dans la lumière de cette mauviette d’étoile pour donner un coup de soleil à un albinos. Il a fallu que je me contente des micro-ondes et elles viennent de me révéler qu’il y avait de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. »
Wendel écarta cette donnée d’un haussement d’épaules plein d’impatience. « Nous n’avions pas besoin de vous pour dire cela. Un monde de la taille de la Terre qui a une température permettant l’existence de l’eau à l’état liquide a forcément de la vapeur d’eau. Cela rend son habitabilité plus probable, mais rien qu’un peu.
— Oh, non, dit Jarlow d’un air gêné. Elle est habitable. Il n’y a aucun doute là-dessus.
— A cause de la vapeur d’eau.
— Non. J’ai quelque chose de mieux.
— Quoi ? »
Jarlow regarda les quatre autres d’un air résolu, et dit : « Diriez-vous qu’un monde est habitable s’il est effectivement habité ?
— Oui, je pense que je me résoudrais à le dire, répondit calmement Wu.
— Vous prétendez que vous avez vu, à cette distance, qu’il était habité ? demanda sèchement Wendel.
— Oui, c’est exactement ce que je dis, capitaine. Il y a de l’oxygène libre dans l’atmosphère … et en grande quantité. Comment serait-ce possible sans photosynthèse ? Comment pourrait-il y avoir photosynthèse en l’absence de vie ? Et comment une planète serait-elle inhabitable, si elle abrite de la vie productrice d’oxygène ? Dites-le moi. »
Un profond silence tomba sur regroupe, puis Wendel répliqua : « C’est tellement improbable, Jarlow. Êtes-vous sûr de ne pas avoir semé la pagaille dans la programmation ? »
Blankowitz haussa les sourcils en regardant Wu, comme pour dire : « Vous voyez ? »
Jarlow répondit froidement : « Je n’ai jamais semé la pagaille, comme vous dites, dans une programmation, pourtant je suis prêt à me soumettre au contrôle de quelqu’un d’autre qui en saurait plus long que moi sur l’analyse des infrarouges atmosphériques. Ce n’est pas mon domaine, mais je me suis consciencieusement servi du livre de Blanc et Nkrumah sur ce sujet. »
Crile Fisher, qui avait pris de l’assurance depuis l’incident avec Wu, n’hésita pas à énoncer son point de vue.
— Écoutez, dit-il, ce fait sera confirmé ou infirmé lorsque nous nous rapprocherons, mais pourquoi ne pas présumer que l’analyse du Dr Jarlow est correcte et voir où cela nous mène ? S’il y a de l’oxygène dans l’atmosphère de cette planète, pourquoi ne pas supposer qu’on pourrait la terraformer ? »
Tous les yeux se tournèrent vers lui.
« La terraformer ? répéta Jarlow d’un air ébahi.
— Oui, la terraformer. Pourquoi pas ? Prenons une planète qui pourrait être habitable, sauf qu’elle possède l’atmosphère de gaz carbonique et d’azote de mondes sans vie comme Mars et Vénus ; vous jetez des algues dans ses océans et bientôt, on peut dire : ‘‘Adieu, gaz carbonique’’ et ‘‘Salut, oxygène.’’ Ou peut-être faire autre chose. Je ne suis pas un expert. »
Ils le regardaient tous fixement.
« Si je suggère cela, poursuivit-il, c’est que je me souviens d’en avoir entendu parler dans les fermes de Rotor. Il y avait même des séminaires sur le terraforming, auxquels j’ai assisté parce que je croyais que cela avait quelque chose à voir avec le programme de l’hyper-assistance. Hélas non, mais j’ai entendu pas mal de choses là-dessus.
— Dans tout ce que vous avez entendu sur le terraforming, dit enfin Jarlow, vous souvenez-vous du temps que cela prend ?
— Je n’en sais rien. Cela en gagne, j’en suis sûr.
— D’accord. Il a fallu deux ans à Rotor pour arriver là … s’ils y sont. Cela veut dire qu’ils sont ici depuis treize ans. Supposons que ceux de Rotor soient des algues solides jetées dans les océans, qu’elles aient survécu et qu’elles se soient multipliées en produisant de l’oxygène ; eh bien pour arriver au niveau actuel, c’est-à-dire à dix-huit pour cent d’oxygène pour quelques traces de gaz carbonique, j’estime qu’il aurait fallu plusieurs milliers d’années. Peut-être quelques centaines seulement … si les conditions étaient extraordinairement favorables. Cela prendrait certainement plus de treize ans. Et puis, les algues de la Terre sont adaptées aux conditions terrestres. D’autre part, les algues peuvent ne pas se reproduire, ou le faire très lentement, jusqu’à ce qu’elles se soient adaptées. Treize ans n’auraient rien changé. »
Fisher ne semblait pas découragé. « Ah, mais il y a beaucoup d’oxygène et pas de gaz carbonique, et si cela n’est pas le résultat de l’action de Rotor, d’où cela provient-il ? Ne croyez-vous pas qu’il faut supposer l’existence d’une vie extra-terrestre sur ce monde ?
— C’est ce que j’ai supposé, dit Jarlow.
— C’est peut-être le cas, intervint Wendel. Une végétation indigène effectue la photosynthèse. Cela ne veut pas dire, pour le moment, que les Rotoriens sont sur ce monde, ou qu’ils ont jamais atteint ce système. »