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— Vous appréciez la simplicité, je dirais presque la rudesse, de mon protégé, susurra Épaulard.

La maquerelle lui jeta un regard de biais. Ça, c’était un véritable homme du monde. Elle se détendit.

— J’offre le premier verre, dit-elle et elle s’apprêtait à passer derrière le comptoir quand l’agent Ricardo leva discrètement les yeux de son pocket book pour considérer les arrivants, remarqua la bosse que faisait la poche de Buenaventura, estima aussitôt que le jeune homme portait une arme et plongea la main dans son veston.

Épaulard empoigna un pied du tabouret et le renversa. L’agent Ricardo tira à travers sa poche, la balle se logea dans le plafond, la détonation étouffée par le tissu pouvait se confondre avec le départ d’un bouchon de champagne. Épaulard assomma aussitôt l’Américain d’un coup de crosse sur le crâne. Simultanément, Buenaventura avait tiré son propre 7,65 dont le canon se braqua sur le barman.

— N’essaie pas de plonger sous le comptoir, dit le Catalan. Tourne-toi, mets les mains contre les bouteilles, le poing fermé. Ne déplie pas les doigts.

Le barman obéit. Mme Gabrielle se tenait absolument immobile.

— Il n’y a pas d’argent ici, dit-elle.

— Vous êtes une menteuse, chère petite dame, lui dit Épaulard en reculant vivement vers la porte d’entrée du bar, et au moment où la soubrette surgit, attirée par le bruit, il lui décocha un coup de poing dans la mâchoire et la fille tomba comme un sac.

Deux minutes et demie.

Épaulard continua à reculer, franchit le seuil du bar, tendit la main, arracha les tentures de l’entrée, revint dans la salle. Il déchira les tentures. La noiraude, l’agent Ricardo et le barman (préalablement assommé d’une manchette à la nuque) se trouvèrent bientôt ligotés et bâillonnés. Il se retourna vers la maquerelle.

Trois minutes et demie.

— Combien de personnes à l’intérieur de votre palace, en ce moment ?

La maquerelle ne répondit rien. Épaulard saisit le couteau dont le barman se servait pour tailler les citrons. Il s’approcha de la femme.

— Je suis pressé. Répondez-moi ou bien je vous élargis la bouche avec ce couteau.

— Trois clients et trois filles, dit très vite la maquerelle. Il est encore très tôt, expliqua-t-elle.

— Tu en attends d’autres ?

— Oui.

— Quand ?

La maquerelle regarda le couteau.

— Ils vont arriver. Tu ferais mieux de laisser tomber, mon gars.

— Dans quelle chambre se trouve l’ambassadeur Poindexter ?

— C’est pour lui que vous êtes venus ? Vous êtes des gauchistes ?

— Ta gueule. Dans quelle chambre ?

— La chambre bleue, soupira la maquerelle.

— Où est-ce, cette chambre bleue ?

Quatre minutes.

— Premier étage. Deuxième porte à droite.

— Bon, dit Épaulard en ramassant ce qui restait de tentures.

— Vous ne vous en tirerez pas, dit la maquerelle. Je suis protégée. Personne ne peut me faire ça et s’en tirer. Vous feriez mieux de… Oh, je vous en prie, ne me bâillonnez pas, je suis très nerveuse, j’ai peur d’étouffer.

— Ta gueule.

Épaulard attacha la femme, lui entortilla la tête dans les draperies, fit des nœuds. La maquerelle gémissait confusément.

Cinq minutes.

Meyer sonna à la porte de la maison de rendez-vous. Dans la Triumph Dolomite, l’agent Bunker se pencha en avant.

— Encore un jeune type avec des chaussures de sport, observa-t-il d’un Ion pressant. Nous ferions mieux d’aller voir. Ça pue.

— Oh, enfer, jura distraitement l’agent Lewis qui mit le contact.

Là-bas, la porte du bordel s’ouvrit, Meyer pénétra à l’intérieur, Épaulard l’accueillit.

— Tu montes avec moi, dit le quinquagénaire. Buen reste au bar à surveiller.

En face de la maison de rendez-vous, au numéro 2 de la rue, au premier étage, un pâle truand nommé Bouboune, surnuméraire d’une fraction interne du SDECE, s’emmerdait ferme à côté de sa caméra Sankyo et de son litron de Corbières vdqs. Il nota tout de même avec intérêt que la Triumph de l’ambassadeur américain déboîtait et s’amenait à petite vitesse à la hauteur du Club Zéro.

Au premier étage du claque, seconde porte à droite, Épaulard et Meyer, l’arme au poing, firent silencieusement irruption dans la chambre bleue. L’ambassadeur Poindexter fut très surpris. Il n’était pas encore passé à l’acte. Assis dans un fauteuil, tout habillé, congestionné, une fine à la main, il regardait sa call-girl favorite à peu près complètement nue qui ôtait lentement ses bas. C’était une blonde superbe et laiteuse, aux joues creuses, à l’expression généralement méprisante. Elle étouffa un petit cri et se tint tranquille, sourcils haussés. Meyer pointa son automatique sur Poindexter.

— Personne ne bouge, commanda Épaulard à mi-voix.

Il passa derrière la fille.

— Ne t’inquiète pas, nous ne sommes ni des gangsters, ni des sadiques, murmura-t-il. Décontracte-toi, je vais t’assommer mais ça ne se verra pas.

La fille se décontracta avec philosophie. Épaulard lui assena une manchette à la nuque et comme elle tombait la retint, touchant avec plaisir son sein ferme. Il l’allongea sur le lit, l’attacha avec ses vêtements, lui mit un bas entre les dents et lui enfila l’autre sur la tête.

— Pitié ! dit Poindexter.

— Ta gueule. On ne te fera pas de mal si tu obéis. Tu comprends le français ?

— Oui, oui, bien entendu.

L’ambassadeur chevrotait.

— Pitié, répéta-t-il. J’ai une femme.

— Ta gueule. Lève-toi. Meyer, sors devant lui. Suis-le, toi. Allez, avance. Obéis et tout ira très bien. Si tu n’obéis pas, je te tuerai. C’est compris ?

— Oui. Pitié.

— Ta gueule. Allez. Plus vite.

Huit minutes.

Le groupe atteignait le rez-de-chaussée. On sonna à la porte d’entrée. Épaulard poussa Poindexter dans le bar.

— Meyer, garde-le. Arrache les fils du téléphone. Je vais ouvrir. Reste là, Buen.

Sa main droite tenant son automatique derrière son dos, Épaulard alla entrouvrir la porte. L’agent Bunker se tenait sur le seuil. Il considéra Épaulard.

— Monsieur ? demanda le quinquagénaire.

— Voulez-vous dire à Mme Gabrielle qu’il y a un message extrêmement urgent pour l’Américain, dit l’agent Bunker avec un fort accent.

— Avec plaisir, dit Épaulard. (Par-dessus l’épaule de l’agent Bunker, il voyait la Triumph arrêtée en double file, moteur en marche, un homme au volant.) Veuillez entrer, il va vous falloir attendre un instant au bar.

Huit minutes quarante.

D’Arcy achevait son second parcours avec un peu d’avance. Il s’arrêta sur le passage pour piétons, à l’angle de l’avenue Kléber. De là, il apercevait la porte de la maison de rendez-vous, le battant entrouvert, l’homme debout sur les marches. Il fronça les sourcils.

— Non, merci, dit Bunker qui fit un pas en arrière.

Prenant le risque que le coup parte, Épaulard frappa sauvagement l’homme à l’épigastre avec le canon de son arme. Bunker poussa un soupir terrible et tomba en arrière. Épaulard voulut le saisir au collet pour l’attirer à l’intérieur comme si de rien n’était ; il n’en eut pas le temps, sa main se referma sur la cravate rayée de l’agent qui n’en bascula pas moins, pendit un instant au bout de la cravate, puis Épaulard lâcha prise et Bunker tomba sur le dos sur le trottoir et perdit son chapeau.