D’Arcy lança en avant le break Consul.
Le truand Bouboune saisit sa caméra.
— Amenez-vous ! Amenez-vous ! Amenez-le ! cria Épaulard à l’adresse de ses compagnons car il voyait arriver la Consul ; simultanément l’agent Lewis descendit de sa Triumph côté chaussée et braqua un S&W Bodyguard Airweight sur l’ancien FTP. Aussitôt, Épaulard fit feu. Le pare-brise de la Triumph éclata. L’agent Lewis plongea sur la chaussée. D’Arcy qui arrivait, au lieu de stopper, donna un brusque coup d’accélérateur et écrasa l’homme.
— Pour la discrétion, on est marrons, déclara-t-il en arrêtant la Consul.
Le truand Bouboune avait mis sa caméra en marche et filmait la rue avec excitation.
Au bruit du coup de feu, des fenêtres s’ouvrirent, deux ou trois, aux façades des immeubles. Et dans un grand bruit de moteur, deux policiers motocyclistes débouchèrent d’une porte cochère, à l’autre bout de la rue, et foncèrent vers le claque d’où Meyer, Buenaventura et Épaulard sortaient en traînant l’ambassadeur raide de frousse.
— Barre-toi ! cria Épaulard à D’Arcy car il venait de décider de se rendre pendant qu’il en était temps encore, pendant qu’il n’y avait pas encore mort d’homme (espérait-il).
— Au cul la vieille ! répliqua D’Arcy en descendant de la Consul et il ouvrit le feu sur les motards.
La première balle passa trop haut. La seconde fracassa l’épaule du premier flic qui dégringola bruyamment avec sa machine. Sur ce, le pistolet s’enraya.
— Ma foi, tant pis, dit Épaulard en braquant son arme.
— Ma foi feu, ajouta Buenaventura qui avait le sens de la citation, et les deux hommes tirèrent en direction du second motard qui sauta en voltige de son engin.
À sa fenêtre, le truand Bouboune jubilait et filmait.
La moto du flic rebondit d’un bord à l’autre de la rue en cabossant les voitures en stationnement, puis s’effondra sur le côté.
Neuf minutes et demie.
Le motard à l’épaule fracassée se tortillait au milieu de la rue. Le second flic était étendu sans connaissance sur le capot d’une 404. Le blessé tira son arme. Meyer et Épaulard chargeaient sans ménagement l’ambassadeur à l’arrière de la Consul. Debout près de l’auto que Buenaventura contournait dare-dare pour prendre place à droite du conducteur, D’Arcy remarqua les mouvements convulsifs du flic blessé qui semblait bien décidé à envoyer la purée. Empochant son automatique enrayé, l’alcoolique tira de sa veste un lance-pierre Manufrance à corps d’aluminium, le chargea d’une bille d’acier, banda le caoutchouc. Impossible, pensa le motard, ce type me vise avec une fronde et il entendit le caoutchouc se détendre brutalement et la bille d’acier l’atteignit en plein milieu du casque, perfora le casque, perfora la tête, le motard ahuri tomba sur la figure, mort.
D’Arcy remonta dans la Consul. Tout le monde était à bord.
— Pitié ! Pitié ! continuait à geindre l’ambassadeur, ce qui emmerdait les ravisseurs mais pas plus que ça.
D’Arcy fit marche arrière à toute vitesse. L’agent Lewis, qui se trouvait sous le break, à moitié mort, poussa un hurlement lamentable quand les pneus avant passèrent de nouveau sur lui. La voiture alla jusqu’au coin de l’avenue Kléber, puis repartit en marche avant, virant dans l’avenue, filant vers l’Étoile à grande allure. Il était 10 heures moins 20 du soir.
— Je suis un assassin, à présent, dit D’Arcy.
— Calme-toi, dit Épaulard. Tu as renversé un agent américain et assommé un flic. C’est tout.
— J’ai tué ce flic.
— Avec un lance-pierre ?
— Je l’ai tué, répéta D’Arcy d’une voix tranquille. Je voudrais me soûler jusqu’à perdre conscience.
— C’est pas le moment, dit Buenaventura.
À 10 heures moins le quart, la Consul entra au parking des Champs-Élysées. On changea de voiture au troisième sous-sol. Attaché et bâillonné, un sac sur la tête, l’ambassadeur Poindexter prit place dans le coffre de la Jaguar verte. Cependant Épaulard briquait soigneusement le volant et les commandes de la Consul, ainsi que les poignées des portières. Il rejoignit ensuite les autres à bord de la Jaguar, qui quitta le parking par la sortie de l’avenue George-V. Utilisant la voie express rive droite, la voiture atteignit le boulevard périphérique peu de minutes après 22 heures. Elle quitta Paris par la porte de Bercy, quelques instants seulement avant que la porte soit bouclée par des forces de police qui, à présent partout alertées, se dressaient et sillonnaient la nuit.
Ensuite, les choses furent moins tangentes, quoique plus compliquées. La banlieue était un lacis de rues à travers quoi Épaulard avait élaboré un itinéraire minutieux. Au-delà de Chelles, à travers la campagne qui commençait, foisonnaient les petites routes. Les forces de l’ordre n’étaient nullement en état de tout barrer. Un peu après minuit, ayant mis plus de deux heures pour couvrir moins de soixante kilomètres à vol d’oiseau (mais plus du double au compteur), la Jaguar verte atteignait la fermette de Couzy. À ce moment, il se mit à neiger.
13
Le vendredi après le déjeuner, le ministre de l’intérieur était parti passer un grand week-end dans son château d’Indre-et-Loire. À 22 h 10, il était en train de regarder à la télévision, avec un certain dégoût, un débat sur l’avortement, quand on l’appela au téléphone pour le prévenir de l’enlèvement de Richard Poindexter. Son chef de cabinet déjà convoquait place Beauvau des représentants de la police, de l’armée, de la gendarmerie et des renseignements généraux. Il avait donné l’ordre qu’on établisse des barrages urbains et routiers conformément au plan dressé pour de semblables circonstances. Le Premier ministre, l’Élysée et les Affaires étrangères étaient alertés. Le ministre de l’intérieur dit que cela était bien et réclama un hélicoptère. Sur les pelouses du château, il fit allumer les projecteurs adéquats, et un SA 316 ne tarda pas à surgir de la voûte des cieux. À 11 heures et demie du soir, le ministre se trouvait en son ministère, ayant été entre-temps tenu au courant par radio des développements de la situation, lesquels étaient d’ailleurs à peu près nuls.
Dans le même moment, Marcel Treuffais, à bout de nerfs, ayant écouté les informations de onze heures qui ne disaient rien d’un enlèvement, fuma sa dernière Gauloise et sortit en acheter d’autres. Il se rendit à pied au carrefour Convention où il trouva un tabac ouvert et acheta quatre paquets de cigarettes. Comme il sortait du débit, deux motards passèrent l’intersection à vive allure, filant vers l’ouest. Treuffais ressentit un pincement à l’estomac, il les suivit du regard et découvrit ainsi qu’un barrage était en place à quelques centaines de mètres, à l’intersection de la rue Lecourbe et de la rue de la Convention. Se retournant, il lui apparut qu’il y en avait un autre rue de Vaugirard, à un demi-kilomètre vers le nord. Sa gorge se serra, son cœur battit plus vite, il se dépêcha de rentrer chez lui. Il ouvrit de nouveau son vieux Radialva, juste à temps pour entendre un communiqué du ministère de l’intérieur interrompant le Pop Club : « Ce soir à Paris, alors qu’il sortait d’un club où il avait dîné, Richard Poindexter, ambassadeur des États-Unis en France, avait été attaqué et enlevé par un commando inconnu qui avait ouvert le feu sur l’entourage de l’ambassadeur. Le chauffeur de l’ambassadeur était grièvement blessé, ainsi qu’un policier français, et un autre policier français avait été tué. Le gouvernement était décidé à faire toute la lumière sur cet acte révoltant et à en découvrir à bref délai les auteurs, afin qu’ils subissent un châtiment exemplaire, conformément à la loi. Les premières constatations des enquêteurs permettaient d’ores et déjà d’affirmer que cet attentat était l’œuvre de ceux qui, par folie et par calcul, ont décidé coûte que coûte de provoquer le désordre. Ceux-là ne devaient attendre de l’État aucune faiblesse, et ne pouvaient espérer la moindre clémence que s’ils renonçaient immédiatement à poursuivre leur mauvais coup qui ne pouvait susciter que la réprobation et le mépris du peuple français. »