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Cependant, debout à la fenêtre de la cuisine, Épaulard, plongé soudain dans un état d’indécision et de torpeur extraordinaire, voyait le Catalan tournoyer, tomber, se redresser, l’entendit s’écraser contre la porte. Le quinquagénaire empoigna un torchon et l’agita.

— Cessez le f…

Cash traversa la chambre comme un boulet, défonça la lucarne du couloir avec le canon de la Sten et pressa la détente dans le même instant, lâchant tout son chargeur au petit bonheur. Les balles s’égaillèrent, cinglant les branches noires des arbres noirs.

— Feu ! cria Goémond de toute la force de ses poumons.

Électrisés par le cri, la rafale, les bouts de bois cassé qui leur dégringolaient sur le casque, les gendarmes obéirent comme un seul homme. Les vitres explosèrent autour d’Épaulard. Étonné de n’être pas touché, le quinquagénaire pivota pour se ruer vers la porte de la cuisine, et quelqu’un parut lui donner une grande claque dans le dos. Épaulard ferma les yeux et tomba à plat ventre sur le carrelage. Au-dessus de lui, les balles s’enfonçaient dans les murs, ricochaient à travers la cuisine, massacraient un bateau à voile sur le calendrier des postes, perforaient le réfrigérateur.

— Où est mon flingue ? demanda Épaulard d’une voix pâteuse et personne ne lui répondit.

Simultanément, le feu des gendarmes ravageait les clapiers installés contre l’arrière de la fermette, et l’on vit des lapins sauter en l’air et tournoyer, et éclater quasiment, et on les entendait crier, ce qui ajoutait encore au foutu pandémonium.

En même temps, l’officier de gendarmerie, blanc de rage, fit trois pas de côté en hurlant de cesser le feu et la moitié du second chargeur de Cash arriva sur lui en voltigeant et la plupart des balles s’écrasèrent contre le gilet de protection de l’homme, mais d’autres lui rentrèrent dans la tête. Il tomba sur le côté et se mit à hurler de douleur. Ses cris étaient pénibles, insupportables. Les gendarmes redoublèrent leur feu pour ne plus les entendre et pour venger leur chef, encouragés par le mégaphone de Goémond. Le commissaire se replia légèrement avec ses adjoints, rejoignant le flanc gauche des gendarmes. Le radio, cependant, à plat ventre, s’approchait de l’officier blessé. Il le retourna sur le dos, ce qui accrut encore les cris horribles. Il le prit sous les bras pour le remorquer hors de portée des anarchistes. L’officier s’évanouit et ses hurlements cessèrent.

À quatre pattes, le bras gauche douloureux, Buenaventura gagna le pied de l’escalier. Les fenêtres de la façade dégringolèrent comme des lustres. L’autre détachement de gendarmes, sur l’avant de la fermette, entrait dans la danse conformément aux instructions. Les projectiles criblèrent le mur du fond et l’escalier. Une bouteille à bière vide explosa sur la table.

— Y a-t-il quelqu’un ici en bas ? cria Buenaventura.

— Oui, répondit Épaulard dans la cuisine et sa voix était trop faible pour que le Catalan l’entende.

— Envoyez les grenades, on va les faire sortir de leur trou à rats ! commandait Goémond d’une voix vibrante.

Plonk ! firent les fusils lance-grenades. Deux projectiles passèrent par la fenêtre de la cuisine, rebondirent sur le carrelage.

— Je dois avoir la colonne vertébrale brisée, déclara Épaulard, les lèvres contre le sol. Je n’arrive pas à bouger les bras ni les jambes. Ne venez pas me chercher, vous ne pourriez pas me transporter de toute façon.

Il ne savait pas si quelqu’un l’écoutait ou non. Les deux grenades explosèrent alors. Ce n’étaient pas des grenades offensives, elles provoquaient seulement un choc à courte distance et un dégagement de gaz CB. Le corps d’Épaulard tressauta et des éclats se plantèrent dans ses flancs, ses jambes et son dos. Il se mit à tousser avec difficulté. La cuisine fut pleine de gaz qui s’échappait assez lentement par la fenêtre.

Buenaventura était tapi au pied de l’escalier. Il se palpait le bras gauche. Il trouva le trou de son chandail par où était entrée la balle. Il mit le doigt dedans et déchira la laine, du trou d’entrée au trou de sortie, afin d’examiner sa blessure. Son biceps transpercé était déjà tout enflé et pourpre et sanguinolent et lui faisait un mal de chien.

Quelqu’un se mit à dégringoler l’escalier.

— Ne descends pas ! cria Buenaventura.

Meyer ne tint aucun compte de l’injonction. Côté façade, les flics continuaient à tirailler. Sur la sixième marche de l’escalier, Meyer reçut une balle dans le cœur. Il s’assit mort sur les marches et acheva sa descente en glissant. Il tomba sur Buenaventura.

— Tu es touché ? Meyer ! Est-ce que tu es touché ? demanda le Catalan au cadavre.

À l’étage, Cash ne tirait plus car elle n’arrivait pas à extraire son chargeur vide de son arme. Elle avait vu Meyer sortir en trombe de la chambre de l’ambassadeur.

— Ça suffit comme ça ! lui avait-il crié au passage. On est foutus ! Je vais me rendre ! J’ai une femme !

Il avait disparu. Cash surveillait à présent la porte de la chambre. Elle se demandait si Meyer, dans son émoi, avait laissé son pistolet sur place. Elle se demandait où était Épaulard. Elle se demandait si Buenaventura était blessé. Elle se demandait ce que faisait D’Arcy.

Des grenades, lancées par le détachement du devant, pénétrèrent dans la salle commune et dans les trois chambres de l’étage et elles explosèrent. Cash entendit un cri dans la chambre de l’ambassadeur, et l’homme sortit, en caleçon, se protégeant la figure avec une main ; l’autre était vide.

— Ne me tirez pas dessus, je vous prie ! lui cria le diplomate sur qui elle braquait le canon de sa Sten inutilisable.

— Ça va. Allonge-toi à plat ventre le long du mur, gros con. Ne bouge pas.

— Vous devriez vous rendre, dit l’ambassadeur. Vous voyez bien que vous ne pouvez rien faire. Ils n’ont pas du tout l’intention de négocier avec vous.

— Ta gueule.

Au pied de l’escalier, Buenaventura profita des nuages de gaz qui avaient envahi la salle commune. Il s’empara de l’automatique de Meyer et courut sa chance. Il se rua dans l’escalier, ne reçut pas de balle, se retrouva à l’étage. Cash braqua sur lui la Sten avant de le reconnaître. L’ambassadeur était couché à plat ventre le long du mur. Le visage de Buenaventura était complètement blanc. Sa main gauche était couverte de sang qui dégouttait sur le plancher.

— Buen, qu’est-ce que tu as ? demanda Cash. Qu’est-ce que tu fais ! hurla-t-elle.

Le Catalan la bouscula, mit un genou en terre près de Richard Poindexter et tira une balle dans la tête de l’homme. Cash poussa un cri de dégoût. Le crâne de l’ambassadeur était écrasé à l’arrière, ses cheveux brûlés par la poudre, le sang sourdait sur le plancher autour de sa figure. Buenaventura se releva. Il regarda Cash qui demeurait immobile, les yeux larges ouverts, la bouche tordue par la nausée.

— Ils tirent pour tuer, dit le Catalan. Ils sont venus pour nous massacrer, pas pour nous prendre.

Il avait l’air rêveur.

— Ça fait un diplomate de moins, en tout cas, ajouta-t-il d’une voix absente.

Cash laissa tomber la Sten sur le plancher.

— Je vais me rendre.

— Ne fais pas ça. Ils vont te tuer.

Cash demeurait appuyée au mur, l’esprit vide. Le Catalan ramassa la mitraillette, désengagea le chargeur coincé, le remplaça par un autre.

Les grenades continuaient à arriver par les fenêtres ouvertes et à exploser dans les chambres et au rez-de-chaussée, faisant beaucoup de bruit. Le gaz s’épanchait dans le couloir de l’étage, sortant en nuage des chambres, environnant l’escalier.