Выбрать главу

Enfin, j'entendis comme le trot de plusieurs chevaux et je courus voir ce que c'était. Je vis venir une grosse charrette couverte en manière de coche, escortée de quatre cavaliers qui étaient habillés en espèce de militaires, armés de sabres et de mousquetons. La route montait, ils se mirent au pas. Je sentis au battement de mon cœur que ce devait être l'escorte et la voiture des prisonniers. J'avais résolu de la laisser passer si je la voyais avant la diligence, mais l'espoir l'emporta sur la prudence, et j'allai droit à un des cavaliers pour lui demander, avec une feinte simplicité, si c'était la voiture publique pour Châteauroux.

– Sotte que tu es! répondit-il, tu ne vois pas que c'est le carrosse des aristocrates?

Je fis semblant de ne pas comprendre.

– Eh bien! repris-je, est-ce qu'en payant ce qu'il faut, on ne peut pas voyager dessus ou derrière?

Et j'ajoutai en prenant la bouche de son chevaclass="underline"

– Ah! sans moi, votre bête perdait sa gourmette.

Je la rattachai pendant que la voiture passait, ce qui me permit de retenir le cavalier.

– Où vas-tu donc comme cela? me dit-il.

– Je vas en condition dans un pays que je ne connais pas. Faites-moi donc monter sur votre chariot!

– Tu n'es pas trop laide, toi! Est-ce que ça te fâche quand on te le dit?

– Mais non, répondis-je avec une effronterie d'autant mieux jouée que j'y portais plus d'innocence.

Il piqua son cheval et alla dire au conducteur de la voiture d'arrêter. Il échangea quelques mots avec lui, me fit monter sur la banquette qui servait de siège, et je l'entendis qui disait aux autres cavaliers:

– C'est une réquisition!

Et les autres de rire, et moi de trembler.

– N'importe, pensais-je, je suis là, je voyage avec Émilien, je saurai où il va, comment on le traite, et, si ces gens veulent m'insulter, je saurai bien prendre la fuite en quelque endroit favorable.

Le conducteur était un gros, à barbe grisonnante, le teint rouge, l'air doux. Il ne demandait qu'à causer. En moins d'une heure, je sus qu'il était le conducteur de la diligence, mais qu'on l'avait requis pour mener les prisonniers, et que c'était Baptiste, son neveu, premier garçon d'écurie, qui conduisait la diligence ce jour-là. Il ne savait pas le nom des prisonniers, cela lui était parfaitement égal.

– Moi, disait-il, la république, la monarchie, les blancs, les rouges, les tricolores, tout ça, je n'y comprends rien. Je connais mes chevaux et les auberges où l'eau-de-vie est bonne, il ne faut pas m'en demander plus. Quand le gouvernement me commande, je suis pour obéir. Avec moi, le plus fort, celui qui paye a toujours raison.

Je feignis d'admirer sa haute philosophie, et il parla à tort et à travers, de tout ce qui ne m'intéressait pas; mais j'écoutais quand même, et j'enregistrais dans ma mémoire les moindres détails sur le pays et les personnes. Entre autres choses, il me parla de son pays à lui. Il était du Berry, et d'un bourg appelé Crevant, dont je n'avais jamais entendu parler.

– Ah dame! disait-il, c'est un pays bien sauvage et, dans les terres, je suis sûr qu'il y a des gens qui n'ont jamais vu une ville, une grande route, une voiture à quatre roues. C'est tout châtaigniers et fougère, et on y peut faire une lieue et plus sans rencontrer seulement une chèvre. Ma foi, si j'étais resté chez nous, je serais plus tranquille que je ne suis. On ne s'inquiète pas de la république par là! On ne sait peut-être pas seulement qu'il y en a une. Mais c'est un pays de misère où on ne dépense rien parce qu'on ne gagne rien.

Je lui demandai de quel côté se trouvait ce désert. Il me fit une espèce d'itinéraire que je gravai dans ma tête, tout en ayant l'air de l'écouter par complaisance, et sans savoir s'il me serait utile d'être si bien renseignée; mais j'étais sur le qui-vive pour toute chose, me disant que toute chose pouvait me servir à un moment donné.

Je sus aussi de lui que les gens qui nous escortaient n'étaient point des gendarmes, mais des patriotes de la ville, qui faisaient volontairement plus d'un genre de corvées pour être bien notés. Encore des féroces qui avaient peur!

Je dus les quitter à Bessines, où on relaya pour changer de chevaux. J'avais fait mon possible pour apercevoir les prisonniers ou tout du moins pour entendre leurs voix. Ils étaient si bien enfermés, qu'à moins de me trahir, je ne pouvais m'assurer de rien. Malgré ma prudence, il paraît que ces cavaliers se méfièrent de moi ou qu'ils craignirent d'être blâmés, car ils me dirent qu'ils ne pouvaient me garder plus longtemps et que la diligence ne pouvant tarder à passer, je n'avais qu'à l'attendre. Je l'attendis plus d'une heure. Elle relaya aussi. Je mourais d'impatience, craignant de perdre la trace des prisonniers. J'abordai le conducteur, je l'appelai «citoyen Baptiste» et lui dis que son oncle m'avait autorisée à lui demander une place à côté de lui sur le siège, ce qu'il m'accorda sans peine. Je tenais à pouvoir causer avec quelqu'un. J'étais contente quand cette diligence fut enfin en route.

Pourtant, j'avais une inquiétude pour la suite de mon voyage. La manière dont on me regardait et me parlait était nouvelle pour moi, et je m'avisais enfin de l'inconvénient d'être une jeune fille toute seule sur les chemins. À Valcreux, où l'on me savait sage et retenue, personne ne m'avait fait souvenir que je n'étais plus une enfant, et je m'étais trop habituée à ne pas compter mes années. Je songeai à ce que M. Costejoux m'avait dit à ce sujet.

Je voyais enfin dans mon sexe un obstacle et des périls auxquels je n'avais jamais songé. La pudeur se révélait sous la forme de l'effroi. Dans un autre moment, j'aurais peut-être eu du plaisir en apprenant que j'étais devenue jolie. Dans ce moment-là, j'en étais désolée. La beauté attire toujours les regards, et j'aurais voulu me rendre invisible. Je roulai plusieurs projets dans ma tête: je m'arrêtai à celui de ne pas me montrer à Châteauroux sans m'être assuré une protection, et de retourner la chercher à Valcreux, dès que je me serais assurée de la présence d'Émilien dans le convoi.

Je dis le convoi, parce qu'une autre charrette fermée, débouchant d'un chemin, vint bientôt se placer devant nous, se hâtant de nous dépasser.

– Ah! me dit le conducteur Baptiste, voilà les mauvaises bêtes du bas pays que l'on mène joindre les autres. Il paraît que les prisons sont toutes remplies. On est bien sot dans notre pays de tant se gêner avec les aristocrates, quand on pourrait faire comme on fait à Nantes et à Lyon quand on en a trop.