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1. Il s'appelait Marin. Voir les intéressants détails publiés dans le Progrès du Centre, par M. le docteur Fauconneau-Dufrène.

Au sortir du temple, je vis une scène plus significative. La marquise, au moment de remonter sur son char de déesse, avisa parmi les curieux un bourgeois de la ville que l'on soupçonnait de royalisme. Elle l'appela par son nom que j'ai oublié aussi, et lui dit effrontément:

– Viens ici me servir de marchepied!

Il avait peur, il approcha et mit un genou en terre. Elle plaça son pied sur lui et sauta lestement dans le char.

Je jugeai que tout le monde était devenu fou, et, après avoir vendu quelques paniers, je revins dire à Émilien ce que j'avais vu, en lui portant son dîner, auquel je joignis furtivement quelque chose de mieux que l'ordinaire de la prison. Le vieux prêtre n'y voulut pas toucher, malgré mes instances; il était si affaibli, que j'aurais voulu lui servir un peu de vin.

– Je n'ai pas besoin de me donner des forces, dit-il; ce que vous venez de raconter m'en donne de reste pour mourir avec joie.

Peu de temps après la fête burlesque vint la tragédie atroce. Ce pauvre homme marcha à la mort avec une admirable tranquillité. Son échafaud fut dressé sur la promenade. Cette fois, je voulus vaincre mon épouvante et voir l'affreuse guillotine. Je me faisais, d'ailleurs, un devoir de suivre ce malheureux et de rencontrer son regard si je pouvais, pour qu'il lût dans le mien un grand élan de respect et d'amitié. Mais il eût craint de compromettre ceux qui le plaignaient, car il y en avait bien d'autres que moi, il ne regarda personne. Des prisonniers espagnols assistaient à son exécution. Je les vis sortir des fleurs de dessous leurs habits blancs et les lui jeter. Alors, je fermai les yeux. J'entendis tomber le couperet, je restai comme paralysée, comme décapitée moi-même un instant. Je me disais:

– J'entendrai peut-être demain tomber cela sur la tête d'Émilien!

Dumont me tira par le bras et m'emmena. Je ne me sentais pas marcher. Je ne savais pas où j'étais.

Quand je pus entrer chez Émilien, je le trouvai seul, accablé de douleur. Il avait pris pour ce prêtre un grand attachement. Je le soulageai et je me sentis soulagée moi-même en pleurant avec lui, et, comme j'avais besoin d'exhaler mon indignation, ce fut lui qui m'apaisa.

– Ne maudissons pas la République, me dit-il, pleurons-la, au contraire! Ces férocités, ces injustices sont des attentats contre elle; c'est elle que l'on tue en sacrifiant des innocents et en démoralisant le peuple, qui ne la comprend plus!

– À présent, lui dis-je, il faut fuir, il faut fuir cette nuit! Vous voyez bien que votre tour viendra demain, et, quand vous serez condamné, on vous surveillera tant que je ne pourrai rien.

– Non, répondit-iclass="underline" il faut attendre encore…

Et, comme nous nous disputions, j'entendis monter l'escalier et je courus me placer à la porte avec mon panier et mon balai comme si je finissais mon service; mais je me trouvai en face de M. Costejoux et j'étouffai un cri de joie; le geôlier le suivait. Il le renvoya sans avoir l'air de me connaître, et me dit:

– Va me chercher de quoi écrire. Je veux interroger moi-même ce prisonnier.

J'obéis bien vite, et, quand je remontai:

– Referme la porte, dit-il, et parlons bas. J'ai vu le représentant Lejeune, et, comme on allait interroger Émilien et le juger une seconde fois comme étant du ressort de Limoges, que vous dirai-je? je l'ai réclamé au nom de Pamphile, qui veut sa proie! J'ai pris sur moi de le lui conduire et je l'emmène. Nous partons ce soir. Il ne faut pas se dissimuler que Pamphile est plus influent que moi. Il faut donc qu'Émilien s'évade durant le voyage. Ce ne sera pas très difficile, mais où ira-t-il? où sera-t-il en sûreté? voilà ce que je ne sais pas.

– Je le sais, moi, répondis-je.

– Eh bien, ne me le dis pas et allez à la grâce de Dieu. Peux-tu être sur la route d'Argenton à quatre lieues d'ici, sur les onze heures du soir?

– Parfaitement.

– Eh bien, souviens-toi d'un endroit qui s'appelle les Taupins. Dumont doit le connaître, c'est la seule bicoque au milieu d'une très vaste lande. Je serai en chaise de poste, j'ai une escorte de deux hommes, mais ceux-là, ce sont des amis, je suis sûr d'eux. Le prisonnier s'évadera en cet endroit, ils ne s'apercevront de rien et ne constateront l'évasion qu'aux environs de Limoges, c'est-à-dire quand vous serez assez loin pour ne rien craindre. Allons, préparez-vous, voilà de l'argent; vous ne savez pas combien de temps il faudra vous cacher, et sans argent on est perdu.

Nous nous embrassâmes tous trois avec effusion. Émilien lui recommanda sa sœur, dont il promit de s'occuper, et je courus avertir Dumont et charger l'âne. Nous ne devions rien à Mouton, nous avions payé le mois d'avance. Nous ne fîmes pas mystère de notre départ. Dumont disait avoir reçu une lettre de son frère qui l'appelait pour affaire pressante, et nous étions censés aller à Vatan pour quelques jours. Nous laissâmes quelques objets pour marquer l'intention de revenir.

Quand nous fûmes en pleine campagne, protégés par la nuit, et avec la joie dans le cœur, nous pleurions, Dumont et moi, sans pouvoir nous rien dire. Mais bientôt ce brave homme, rompant le silence et me parlant à demi-voix, m'exprima des sentiments dont je fus touchée, bien que j'eusse préféré marcher vite et ne pas trop m'émouvoir, pour avoir bien ma présence d'esprit.

– Nanon, me disait-il, nous sommes bénis de Dieu, cela est bien sûr; mais c'est à cause de toi qui as un si grand cœur et un courage d'homme. Pour moi je ne vaux rien, et j'ai mille fois mérité l'échafaud! Quand je pense qu'au lieu d'économiser et de pouvoir laisser une petite rente à mon pauvre enfant (il parlait d'Émilien), je me suis comporté comme une brute, buvant tout, oui tout! Ah! je suis comme ce prêtre, je suis dégoûté de la vie, et je ne veux plus que tu me parles, si je recommence à m'enivrer.

– Vous ne devez pas craindre cela, lui répondis-je. Vous êtes guéri, car c'était comme une maladie, et c'est votre bon cœur qui vous l'a fait surmonter. Vous avez été mis à l'épreuve, car, pour avoir la confiance de ce geôlier, vous avez été forcé de trinquer souvent et avez si bien veillé sur vous-même, que vous l'avez souvent grisé sans jamais perdre la raison.

– Ah! c'était difficile, oui, je n'ai jamais rien fait de si difficile et je ne m'en serais jamais cru capable! mais ça n'empêche pas le passé et je crois bien que j'aurai beau faire, je n'en serai pas moins damné… Oui, Nanon, damné comme un chien!

– Pourquoi voulez-vous que les chiens soient damnés? lui dis-je en souriant: ils ne font rien de mal. Mais ne vous mettez pas de pareilles idées dans la tête, et marchons plus vite, père Dumont; la voiture de M. Costejoux va plus vite que nous et il nous faut être au rendez-vous à onze heures.

– Oui, oui, répondit-il, marchons vite. Ça n'empêche pas de causer. Je peux bien t'ouvrir mon cœur. Qu'est-ce qui peut empêcher un honnête homme d'ouvrir son cœur? Voyons! Est-ce que je dis des choses déraisonnables? J'ai été un ivrogne, je mérite une punition. J'ai été averti, j'ai fait une chute de trente pieds, et, quand je me suis vu au fond… tout au fond du trou, comme ça, vois-tu…