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Voilà donc tout ce qui restait de ce cher malade que j'avais tant disputé à la mort! Pendant que je luttais moi-même contre elle, elle s'était emparée de lui. Je ne l'avais pas su…, à moins que mon rêve de fièvre n'eût été une vision de ce qui se passait réellement à ce moment-là.

Je retournai chez moi brisée et j'eus encore un accès de fièvre, mais sans gravité. Les larmes vinrent et me soulagèrent physiquement; mais mon cœur était brisé de n'avoir pu recueillir le dernier adieu et la bénédiction suprême de mon pauvre cher ami.

Quand je fus tout à fait remise, on se décida à m'apprendre les détails de sa mort. Il avait succombé à son mal après un mieux apparent et avec un grand calme.

Ce malheur nous était arrivé au moment où j'étais au plus mal. Il m'avait beaucoup demandée, on lui avait caché mon état, mais il avait bien fallu lui dire que j'étais indisposée; alors il avait appelé Dumont et s'était entretenu avec lui de ses dernières volontés.

– À présent, ajouta Dumont, si vous vous sentez bien et de force à supporter une nouvelle émotion qui ne fera, je le sais, qu'ajouter à vos regrets, écoutez-moi. M. le prieur, à qui vous supposiez de très petites ressources et que vous entreteniez de tout par votre travail sans lui permettre de rien dépenser, sachant combien il tenait à son argent, était riche d'une somme de vingt-cinq mille francs que je lui avais rapportée de Guéret, son pays, où il m'envoya, il y a quatre ans, pour toucher son héritage. Je lui avais promis le secret, je le lui ai gardé; je connaissais aussi ses intentions, et, quand il s'effrayait tant des bandits, je savais aussi que ce n'était pas à cause de lui-même qu'il tenait à conserver son bien; c'était à cause de vous, Nanette, de vous, son héritière, car vous voilà riche, grâce à lui, très riche pour Émilien, que vous ne vous ferez pas scrupule d'épouser.

«- Ces enfants m'ont sauvé, m'a dit le prieur. Ils m'ont tiré d'un cachot où j'ai laissé ma santé, mais où, sans eux, j'aurais laissé ma vie. Voilà maintenant que la vie aussi me quitte, ne laissez pas les prêtres venir me tourmenter. J'en sais aussi long qu'eux. Je me confesse à Dieu directement, à Dieu auquel je crois, tandis que, pour la plupart, ils en doutent. J'espère mourir en paix avec lui, et, si j'ai fait des fautes en ma vie, je les répare par une bonne action. J'enrichis deux enfants qui m'ont aimé, soigné, consolé, fait durer le plus qu'ils ont pu, Nanette surtout. Elle a été un ange pour moi, un véritable ange gardien! Elle s'est imposé, pour moi, les plus grands sacrifices, elle mérite bien ce que je fais pour elle. C'est elle seule que j'institue mon héritière, sachant bien qui elle aime et qui elle épousera. Elle a une bonne tête, elle tirera bon parti de mon argent. Dès que vous m'aurez fermé les yeux, prenez mon portefeuille qui est sous mon oreiller. Il contient un mandat payable à vue pour la somme que je vous ai dite, et qui est déposée chez le banquier frère de Costejoux, à Limoges. Mon testament, qui date du jour où vous m'avez apporté cette somme, a été déposé entre les mains de Costejoux lui-même, qui en ignore les dispositions. Vous conduirez Nanette chez lui et il la mettra en possession de son héritage.

«J'objectai au prieur, continua Dumont, qu'il avait une famille qu'il n'avait peut-être pas le droit de frustrer de cet héritage. Il me répondit qu'il était en règle: que ses frères et sœurs, ayant joui de ses revenus pendant les quarante années qu'il avait passées au couvent, lui avaient offert très honnêtement de les lui restituer, en même temps que sa légitime, et qu'il avait refusé, moyennant qu'ils renonceraient à son héritage, à quoi ils avaient consenti. Il avait cet acte en bonne forme, et la moralité de ses parents était une garantie de plus. Enfin, je devais trouver et j'ai trouvé en effet toutes les pièces dans le portefeuille. Je n'ai pas attendu votre guérison pour écrire à M. Costejoux, qui m'a répondu et qui sera ici ce soir pour vous mettre en possession de vos titres, après toutes les formalités qu'il s'est chargé de remplir. Il vous demandera quel emploi vous voulez faire de votre capital, c'est à vous d'aviser.

– Mon pauvre Dumont, lui répondis-je, je n'y ai vraiment pas la tête, tu vois! Je ne fais que pleurer. Je ne peux songer qu'à ce pauvre cher homme qui n'est plus là et que je n'ai pas seulement pu remercier de son amitié pour moi!

– Tu le remercieras dans tes prières, reprit Dumont, qui, me regardant déjà comme la femme d'Émilien ne voulait plus me tutoyer, mais qui y retombait de temps en temps, ce qui me faisait plaisir. Je n'ai jamais été grand dévot, ajouta-t-il, mais je crois que les âmes nous entendent, et, la nuit, je m'imagine que je cause encore avec ce cher prieur et qu'il me répond.

– C'est comme moi, Dumont, je le vois et je l'entends toujours, et ma seule consolation est d'espérer qu'il me voit et m'entend aussi. J'espère qu'il sait bien que, si je n'ai pas reçu son dernier soupir, ce n'est pas ma faute, qu'il voit comme je le pleure, comme je l'aime, et combien j'aurais été plus contente de le conserver que d'être riche!

– Moi, dit Dumont, je suis sûr que son âme se réjouit d'avoir assuré l'avenir de ses chers enfants. Croiriez-vous qu'il m'a embrassé, une heure avant de s'endormir de son dernier sommeil, et qu'il m'a dit: «Voilà ma bénédiction pour Nanette et pour Émilien!»

Comme chaque parole de Dumont me faisait pleurer, il craignit de me rendre malade et m'emmena au jardin. Il commençait à faire beau, et nous vîmes bientôt M. Costejoux, qui me fit appuyer sur son bras pour rentrer et me témoigna beaucoup d'intérêt. Il m'apportait le testament et les pièces qui me mettaient en possession des vingt-cinq mille francs.

Quand je fus en état de parler d'affaires, je répondis à ses questions que je souhaitais lui payer tout de suite la propriété qu'il m'avait vendue.

– Vous auriez tort, me dit-il; votre argent vous rapporte six pour cent chez mon frère; vous feriez mieux de me payer deux pour cent et d'utiliser le reste de vos revenus pour de nouvelles acquisitions.

– Je ferai ce que vous me conseillerez, lui répondis-je. Je n'ai plus de volonté.

– Ça reviendra, reprit-il, vous reconnaîtrez que je vous donne un bon conseil. Avec votre économie et votre activité, vous arriverez à vous libérer avec moi sans vous en apercevoir, tout en arrondissant peu à peu votre domaine qui, dans vingt ans, aura triplé de valeur, sinon quadruplé. Remarquez que l'intérêt que vous me servirez ira toujours en diminuant avec le chiffre de la dette. Nous en reparlerons demain. Causons aujourd'hui d'Émilien. Comptez-vous l'avertir de votre nouvelle situation?

– Non, non, monsieur Costejoux! Je veux lui laisser le mérite de me prendre pauvre. Qui sait si ce ne serait point à son tour d'avoir des scrupules?

– Non! il n'en aura pas! Je le connais bien. Son âme vit dans une région plus élevée que le positif. L'argent n'a pas de valeur pour lui. C'est une espèce de saint des temps évangéliques; mais il est heureux que vous soyez pratique, et il faut continuer à l'être pour deux. Épousez-le et dirigez les affaires, c'est ainsi qu'il sera heureux.

J'insistai pour qu'Émilien ne fût pas informé. Je prenais plaisir à le surprendre à son retour, car je savais bien que, s'il ne se souciait pas de l'argent, il avait de l'affection pour le moutier et serait content de s'y voir établi pour toujours. Il fut donc convenu qu'il serait averti seulement de la mort du prieur et de la tendre bénédiction qu'il lui avait envoyée à sa dernière heure.

M. Costejoux, me trouvant très éprouvée par la maladie et le chagrin, m'engagea à venir voir Louise à Franqueville: