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Rien d'austère, donc, dans cette école militaire, et Bonaparte, quand il aura vu les salles d'armes, admiré les soixante chevaux du manège - des coursiers fins, espagnols, dont quelques-uns coûtent huit cents et mille livres -, se convainc qu'on le traite comme un fils de grand seigneur.

Pourtant, il se cabre de nouveau. Il lui faut ne pas se laisser corrompre par ce luxe dont il sait, avec lucidité, qu'il n'est que passager.

Il connaît les ressources de sa famille. Le statut de boursier l'a fait accéder à une situation inespérée. Maintenant, il faut arracher plus par le travail, le talent, parce que tout ce luxe disparaîtra dès qu'il aura quitté l'école.

Bonaparte a compris cela.

Il s'écarte de ceux de ses condisciples que la dissipation saisit.

- Monsieur, dit-il à Laugier de Bellecourt, vous avez des liaisons que je n'approuve pas. Vos nouveaux amis vous perdront. Choisissez entre eux et moi. Je ne vous laisse pas de milieu. Il faut être homme et vous décider. Prenez mes paroles pour un premier avis.

Mais Laugier de Bellecourt ne résiste pas aux tentations, sa conduite confirme les soupçons que Napoléon Bonaparte avait eus à Brienne.

- Monsieur, lui dit-il sèchement, vous avez méprisé mes avis. C'était renoncer à mon amitié, ne me parlez plus jamais.

Il travaille avec une détermination farouche. Certains, et d'abord les pensionnaires de haute lignée, se moquent. Ce petit jeune homme fort brun « est raisonneur et grand parleur ».

Napoléon Bonaparte n'accepte pas ces remarques. Dans la cour de l'école, il se précipite, poings fermés. Il donne des « roufflées » à ces fils de grands seigneurs. Il est, comme il le dit, « un petit noble », mais il sort vainqueur de ces affrontements physiques.

Parfois l'antipathie tourne à la haine.

À chaque mot, à chaque regard, un noble vendéen, Le Picard de Phélippeaux, provoque Bonaparte. Il a deux ans de plus que lui. Il est entré à l'école en 1781. Leur rivalité n'est pas scolaire. Ils se haïssent d'instinct, comme si l'un voyait dans le boursier l'incarnation de ces hommes nouveaux qui vont bousculer le monde monarchique et stable, et l'autre devinait dans le Vendéen l'adversaire déterminé du mouvement, le noble décidé à réprimer et à interdire tout changement.

Ils se défient. Ils se battent. Leur sergent-major, Picot de Peccaduc, se place entre eux, à l'étude, pour qu'ils ne se frappent pas, mais ils se lancent des coups de pied sous la table, si bien que le sergent-major en a les jambes meurtries.

Souvent, dans la salle d'armes, entre les leçons des maîtres d'escrime, Bonaparte se promène les bras croisés dans le dos, et tout à coup il se fige. D'un groupe une voix lance un mot, une phrase. On se moque de la Corse, on le provoque. Il bondit, saisit son fleuret, charge le groupe au milieu des éclats de rire.

Mais il ne rit pas.

Il s'indigne quand certains cadets prétendent que, lors de la conquête de l'île, les Français étaient peu nombreux. Ce sont les calomnies du collège d'Autun et de l'école de Brienne qui renaissent et qu'il lui faut dénoncer. « Vous n'étiez pas six cents, comme vous le prétendez, leur répond-il, mais six mille contre de malheureux paysans. »

Pourquoi un grand peuple avait-il dû faire la guerre à une petite nation ? Il a fait preuve « d'infériorité ».

- Viens, lance-t-il enfin à son ami Des Mazis, laissons ces lâches.

Mais il ne peut se taire longtemps, d'autant plus qu'à chaque instant, un détail, une phrase lui rappellent ses origines.

Quand il s'agenouille pour recevoir la confirmation des mains de Mgr de Juigné, celui-ci s'étonne de ce prénom, Napoleone, qui n'est pas l'un des saints du calendrier.

L'adolescent dresse la tête, fixe l'ecclésiastique, puis dit avec vivacité qu'il y a une foule de saints et seulement trois cent soixante-cinq jours dans l'année.

On ne le fera jamais taire.

Même dans un confessionnal, il répond vertement si on l'attaque.

Lorsqu'il écoute, au mois de janvier 1785, le prêtre auquel il vient se confesser - comme tout cadet doit le faire chaque mois -, il ne peut étouffer un rugissement. Le prêtre l'admoneste, lui parle de la Corse, de la nécessité d'obéir au roi, dont il est le boursier et le sujet reconnaissant. Les Corses, d'ailleurs, poursuit le prêtre, sont souvent des bandits au caractère trop fier.

- Je ne viens pas ici pour parler de la Corse, s'écrie Bonaparte, et un prêtre n'a pas mission de me chapitrer sur cet article !

Puis il brise d'un coup de poing la grille qui le sépare du confesseur, et les deux hommes en viennent aux mains.

Cette intrépidité dans la défense de sa patrie, cette rage même qu'il met à vanter les exploits de Pascal Paoli, montrent qu'il n'est pas l'un de ces prudents qui calculent chacun de leurs actes. Cet adolescent est d'abord une énergie qui se déploie sous le coup de l'émotion.

Son professeur de belles-lettres, Domairon, est d'ailleurs frappé par « ses amplifications bizarres ». « C'est du granit chauffé par un volcan », conclut-il. Et le professeur d'histoire, De Lesguille, ajoute que ce jeune cadet est « corse de caractère comme de nation » et « qu'il ira loin si les circonstances le favorisent ».

Mais M. Valfort, le directeur des études de l'école, s'inquiète.

On lui rapporte que ce cadet, boursier du roi, déclame des vers de sa composition où il décrit sa patrie surgissant dans un songe, lui remettant un poignard et lui prédisant : « Tu seras mon vengeur. »

Des dessins circulent où on le voit caricaturé par ses camarades sous les traits d'un jeune cadet vigoureux marchant d'un pas altier, alors qu'un vieux professeur s'accroche en vain à sa perruque, tentant de le retenir. Et la légende commente : « Bonaparte, cours, vole au secours de Paoli pour le tirer des mains de ses ennemis. »

Situation étrange : ce cadet-gentilhomme, futur officier de l'armée du roi, se veut en même temps le « vengeur » de Paoli que les troupes du roi ont vaincu !

Et cet élève ne cache ni ses opinions, ni sa détermination.

M. Valfort et les administrateurs de l'école le convoquent. Il est bien jeune, ce patriote corse ! Son enthousiasme imprudent est d'une certaine manière garant de la pureté de son caractère.

D'ailleurs, pour ces officiers, le patriotisme est une vertu. Ils jugent cependant que l'amour de la Corse ne doit pas l'emporter sur la reconnaissance due aux bontés du monarque. Bonaparte les écoute, raidi dans un garde-à-vous.

Il porte l'habit bleu à collet rouge et à doublure blanche avec des galons d'argent. Il tient à la main son chapeau brodé d'argent.

Il ne sent aucune hostilité chez Valfort et les autres officiers. Et lui-même a l'impression d'être compris.

- Monsieur, lui dit-on, vous êtes élève du roi. Il faut vous en souvenir et modérer votre amour pour la Corse, qui après tout fait partie de la France.

Il accepte la remontrance. Mais rien ne change dans son comportement.

Il est inébranlable, et d'autant plus qu'il est sûr de lui-même. Ce n'est pas le luxe de l'école qui lui donne cette assurance. Il confie comme un reproche : « Nous sommes nourris, servis magnifiquement, traités en tout comme des officiers jouissant d'une grande aisance, plus grande que celle de la plupart de nos familles, plus grande que celle dont la plupart de nous jouirons un jour. »

Il est un roc parce qu'il sait ce qu'il veut et qu'il est persuadé qu'il a les qualités nécessaires à la réalisation de son but.

Dans la chambre, il explique à Des Mazis qu'il veut sauter les étapes, obtenir au bout d'un an le grade d'officier, être nommé sous-lieutenant dans un régiment.

Pour cela, dit Bonaparte, visage contracté, corps penché en avant vers son camarade, il faut en une seule fois réussir le concours qui fait accéder le cadet-gentilhomme à une école d'artillerie et celui qui permet d'obtenir le grade d'officier. Point de séjour alors dans une école d'artillerie en tant qu'élève, mais promotion directe de cadet-gentilhomme à sous-lieutenant.