Выбрать главу

Napoléon assiste à ses côtés à la signature du contrat de mariage, le 3 janvier 1802, aux Tuileries.

Le lendemain, il se rend rue de la Victoire. À vingt-trois heures, le cardinal Caprara célèbre, dans le grand salon où a été dressé un autel, le mariage religieux.

Napoléon regarde droit devant lui, alors qu'à ses côtés Joséphine renifle et soupire bruyamment. Elle a souhaité qu'à cette occasion son mariage civil avec Napoléon fût béni par le cardinal. Murat et Caroline, qui n'étaient mariés que civilement, se préparent, à la suite d'Hortense et de Louis, à recevoir la bénédiction du cardinal.

Joséphine tente de prendre la main de Napoléon. Il la retire. Il ne cédera pas. Qu'elle pleure. Il veut garder dans sa destinée la porte encore ouverte d'une autre union, avec une autre femme, dans le sein de l'Église.

Certes, on peut toujours rompre un mariage religieux. Mais pourquoi multiplier les difficultés ? La rupture d'un mariage civil par le divorce, s'il l'envisage, sera si facile.

Il sort l'un des premiers du salon.

Murat plastronne dans un uniforme chatoyant. Caroline, pour une fois, paraît satisfaite. Talleyrand chuchote. « Caroline Murat, dit le ministre, a une tête de Cromwell sur les épaules d'une jolie femme. »

C'est elle qui mène ce couple, qui vient de décider l'achat d'un grand domaine, celui de La Motte Saint-Héraye. Elle, qui a acquis l'hôtel de Thélusson, pour cinq cent mille francs. Elle, qui a supplié, exigé qu'on accorde à Murat avant son retour à Milan à son poste de commandement, la somme de trente mille francs par mois pour ses dépenses extraordinaires...

Napoléon a cédé. N'est-ce pas sa famille ?

Le lendemain, aux Tuileries, il préside le grand dîner de mariage en l'honneur des nouveaux époux. Ni Hortense ni Louis n'ont l'air heureux. Louis est songeur, absent. Hortense paraît ne pas le voir, seule Joséphine est éclatante de bonheur. Elle donne l'impression d'avoir oublié sa tristesse de la veille et son mariage religieux manqué. Cette union de Louis et d'Hortense est sa première grande victoire. Au contraire, Letizia Bonaparte, les frères et les sœurs paraissent sombres.

Est-il donc dit qu'on ne peut jamais unir les hommes dans un même mouvement ? La fusion des factions est-elle impossible, et faut-il seulement que tous, opposés entre eux, se haïssant même, ne se retrouvent que par la reconnaissance d'un chef unique ?

Ne peut-on « vaincre la nécessité que par un pouvoir absolu » ?

Il se penche vers Joséphine, lui annonce qu'il part dans quelques jours pour Lyon, où va se tenir une Consulte composée de délégués italiens.

- On assure que tu vas te faire élire roi d'Italie, dit Joséphine.

Il rit. Il se souvient de cette tragédie de Voltaire, Œdipe, qu'il avait lue autrefois. Il récite :

« J'ai fait des souverains et n'ai point voulu l'être. »

Trois jours plus tard, le 8 janvier 1802, alors qu'il vient de quitter les Tuileries pour Lyon, il pense encore à ce repas nuptial, à ces personnes rassemblées autour de lui, frères, sœurs, officiers, dignitaires.

Il a dû, dans les heures qui ont suivi, sermonner Louis qui, comme un quelconque citoyen, avait envoyé des faire-part de mariage.

Quand donc comprendront-ils qui je suis ? Ce qu'ils me doivent ? Le respect de leur situation, du nom et des titres qu'ils portent ? Ils n'ont aucune gratitude.

Il a proposé à Joseph la présidence de la République cisalpine, et celui-ci a refusé avec arrogance, répondant qu'il ne voulait pas supporter le « joug » de son frère et n'être qu'un « mannequin politique ».

Il a exigé, pour accepter, qu'on retire les troupes françaises, que Murat quitte Milan, qu'on réunisse le Piémont à la République cisalpine.

Mais que croit-il, ce frère aîné, qu'il a conquis cela lui-même ?

La voiture roule dans la campagne couverte de neige. Il est deux heures du matin. Napoléon a décidé de coucher à la poste de Lucy-le-Bois, dans le département de la Côte-d'Or, puis de déjeuner à Autun et de faire étape à Chalon. Le 11, il s'arrêtera à Tournus et arrivera à Lyon dans la soirée.

Un peu avant Lucy-le-Bois, il aperçoit de grands feux allumés sur le bord de la route.

Quand la voiture approche, les paysans se précipitent, crient : « Vive Bonaparte ! » À l'étape, une petite foule s'est rassemblée devant le relais de poste et manifeste avec enthousiasme. Les mêmes scènes se reproduisent tout au long du parcours.

Est-ce qu'on l'aime vraiment ? « Qu'est-ce que la popularité ? La débonnaireté ? Qui fut plus populaire, plus débonnaire que le malheureux Louis XVI ? Pourtant, quelle a été sa destinée ? Il a péri. Et, cependant, tout ce qui est fait sans le peuple est illégitime. »

Napoléon se rencogne dans la voiture qui, à nouveau, s'est élancée, dépassant Tournus, approchant de Lyon.

En qui avoir confiance ?

« L'amitié n'est qu'un mot : je n'aime personne. Non, je n'aime pas mes frères. Joseph, peut-être un peu : encore, si je l'aime, c'est par habitude, c'est parce qu'il est mon aîné. Duroc ? Ah ! oui, je l'aime... Quant à moi, cela m'est bien égal ; je sais bien que je n'ai pas de vrais amis. Tant que je suis ce que je suis, je m'en ferai tant que je voudrai en apparence. Il faut laisser pleurnicher les femmes, c'est leur affaire, mais moi, pas de sensibilité ! Il faut être ferme, avoir le cœur ferme ; autrement, il ne faut se mêler ni de guerre ni de gouvernement. »

Il s'assoupit.

Le 11 janvier 1802, à vingt heures, il arrive à Lyon.

Il se penche. La ville est illuminée. La voiture avance au pas dans les rues qui conduisent à l'hôtel de ville. Il regarde le lion endormi qu'on a placé au sommet d'un arc de triomphe, sous lequel la voiture passe au pas.

Il commence aussitôt à recevoir les délégués italiens, qui, au nombre de quatre cent cinquante, constituent la Consulte de la République cisalpine.

Il a, au fil des jours, le sentiment qu'il change le sort de ses hommes, celui de l'Italie et de l'Europe. Il s'adresse à eux en italien, dans l'église désaffectée où la Consulte s'est réunie. On l'acclame. On salue en lui le président de la République italienne. L'Italien Melzi est nommé vice-président.

On l'appelle « l'immortel Bonaparte, le héros du siècle ». Il est le libérateur d'un peuple. Il se sent porté par une grande force.

Le 25 janvier 1802, sur la place Bellecour, il passe en revue les troupes rentrées d'Égypte.

Le temps est superbe, le soleil étincelant dans un ciel lumineux. Ce jour d'hiver sec et froid résonne des cris d'enthousiasme de la foule et des soldats qui lèvent leur bonnet ou leur casque au bout de leur fusil. Il y a parmi eux des Mamelouks, des coptes, des Syriens, et surtout ces vieux grenadiers dont il reconnaît les visages et dont il se rappelle parfois les noms, combattants d'Italie et d'Égypte, survivants de Saint-Jean-d'Acre et d'Aboukir.

Il leur serre la main. Il pince leur oreille.

« Qui est plus peuple qu'une armée ? »

Il s'attarde longuement. Il a du mal à quitter ces hommes en armes qui l'acclament.

Que serait-il sans eux ?

Si peu.

14.

Dès son retour à Paris, le 31 janvier 1802, à dix-huit heures trente, Napoléon a commencé à lire les dépêches de Joseph, qui, à Amiens, conduit la négociation avec lord Cornwallis.

Il est irrité, ne réussit pas à rester assis à sa table de travail.

Ces Anglais veulent-ils vraiment la paix ou bien jouent-ils habilement pour étirer les pourparlers, se renforcer durant cette trêve et la rompre à leur convenance ?

Il cesse de lire.

Le voyage depuis Lyon a été fatigant et ennuyeux. La route entre Lyon et Roanne était battue par la pluie mêlée de neige. Le froid était vif, dans les relais, à Roanne, à Nevers, à Nemours.