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Ils approuvent. Il fera donc arrêter Moreau.

Il retient Régnier. On fera juger Moreau par le tribunal criminel de la Seine, et non par un Conseil de guerre.

- On dirait que j'ai voulu me débarrasser de Moreau et de le faire assassiner juridiquement par mes propres créatures.

Un pli amer cerne sa bouche. On l'accusera de toute façon de craindre en Moreau un rival.

Il dort peu. Le matin du 15 février, il se rend dans la chambre de Joséphine. Il commence à jouer avec Napoléon-Charles, le fils de Louis et d'Hortense. Il caresse l'enfant. Il a cette lucidité un peu lasse qui succède aux nuits sans sommeil.

- Sais-tu ce que je viens de faire ? dit-il. Je viens de donner l'ordre d'arrêter Moreau ; cela va faire un beau bruit, n'est-ce pas ? On ne manquera pas de dire que je suis jaloux de Moreau, que c'est une vengeance, et mille pauvretés de ce genre ! Moi, jaloux de Moreau !

» Il me doit la plus grande partie de sa gloire... Je l'ai empêché vingt fois de se compromettre, je l'ai averti qu'on nous brouillerait, il le sentait comme moi, mais il est faible et orgueilleux, les femmes le dirigent.

Napoléon a une moue de mépris.

Les partis l'ont pressé.

L'aide de camp apporte une dépêche. On a arrêté Moreau sur la route, non loin de sa propriété de Grosbois. On l'a conduit au Temple. Le général est resté calme.

Napoléon froisse la dépêche.

Moreau n'imagine pas les charges qui pèsent contre lui, les témoignages dont je dispose.

Il faut avertir l'armée, prévenir la calomnie.

Il dicte.

« Au général Soult :

« Moreau a été arrêté ; quinze ou seize brigands ont été également arrêtés. Les autres sont en fuite. On a saisi une quinzaine de chevaux et des uniformes dont on devait se servir pour m'attaquer sur la route de Paris à la Malmaison, ou de la Malmaison à Saint-Cloud, avec mon piquet, qui est de vingt hommes, comme vous savez. »

Il convoque Murat.

Il faut guider la main de cet homme courageux mais tête vide. Il flatte Murat, lui demande des nouvelles de Caroline son épouse, le félicite pour la tenue des troupes de Paris, ville dont il est le gouverneur.

Murat se rengorge. Il faut, lui dit Napoléon, que Paris se couvre d'affiches expliquant le complot et annonçant l'arrestation des brigands et de Moreau.

- Je veux que Paris soit fermé, ajoute-t-il.

Napoléon, tout en prisant et en jetant de temps à autre un regard à Murat, détaille les mesures à prendre. Tout le monde peut entrer dans Paris, mais personne ne peut en sortir. La garde à pied sera placée aux portes de la capitale. La garde à cheval fera des patrouilles continuelles le long des murs d'octroi, les matelots de la Garde stationneront sur la Seine, jour et nuit. Et la peine de mort pour qui recèlera Georges ou Pichegru.

Une guerre, implacable.

Il lit tous les rapports de police. Pour vaincre, il faut tout voir, tout savoir, n'être dupe de rien.

Il s'est assis. Il a ouvert devant lui le dossier comportant les rapports du 18 février 1804. Il s'efforce de garder son calme. Il lit le texte d'une affiche collée dans la nuit.

Moreau innocent, l'ami du peuple et le père des soldats aux fers !

Bonaparte un étranger, un Corse devenu usurpateur et tyran !

Français, jugez !

Sur les murs, on trouve aussi l'anagramme de Bonaparte :

NABOT A PEUR.

Il se dresse. Peur ? La fureur l'emporte. De Moreau ? De ces brigands ? De Cadoudal et de Pichegru ?

Il quitte son cabinet de travail. C'est jour de réception diplomatique. Dans les rapports transmis par la police, il a appris que parmi les personnes arrêtées se trouve un Suisse attaché à l'ambassade de Russie et dont M. de Markof a demandé la libération.

Il se dirige vers l'ambassadeur, l'interpelle.

- Est-ce que la Russie croit avoir sur nous une supériorité qui lui permette de tels procédés ?

Il fait un pas en arrière, élève encore la voix.

- Est-ce qu'elle nous croit tombés en quenouille jusqu'au point de supporter de telles choses ? Elle se trompe.

Il lance en s'éloignant :

- Je ne souffrirai rien d'inconvenant d'aucun prince sur la terre !

Puis il quitte le salon, rentre dans son cabinet de travail. Il reprend la lecture des rapports.

On dit qu'il refait le Comité de salut public, que les temps de la Terreur sont revenus.

Il hausse les épaules. S'il le faut, contre les Princes, pourquoi pas ?

« Tout le monde parle de l'arrestation du général Moreau, note l'un de ces rapports. Tous les militaires qui ont servi sous ses ordres le disent incapable d'entrer dans une conspiration, qu'il est aussi honnête homme, affable, populaire, bienfaisant, que bon général ; qu'ils le regarderaient comme leur père et qu'ils verseraient volontiers jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour lui, enfin, que cette arrestation est une affaire de parti plus que de justice... »

Il repousse le rapport.

La colère est tombée.

La raison doit toujours l'emporter. Moreau est encore une force dans l'opinion. S'il acceptait ma clémence, je pourrais dire comme Auguste : « Soyons ami, Cinna ».

Il convoque le Grand Juge Régnier. Est-ce l'homme qui convient ? Si Fouché était encore ministre de la Police, tout serait plus efficace. Peut-être Pichegru et Cadoudal seraient-ils déjà pris.

- Allez interroger Moreau dans sa prison, dit Napoléon à Régnier. Amenez-le dans votre voiture aux Tuileries, qu'il convienne de tout avec moi, et j'oublierai les égarements produits par une jalousie qui était plutôt celle de son entourage que la sienne même.

Régnier paraît effaré.

Vous m'entendez, vous m'entendez, répète plusieurs fois Napoléon.

Puis il attend.

Ce qui compte, c'est de briser Moreau, et peu importe qu'il soit condamné ou soumis.

Les heures passent.

Voici le Grand Juge de retour. Moreau n'a pas demandé à voir le Premier consul, explique-t-il. Napoléon se détourne. Moreau est un imbécile. Il tombera quand Pichegru et Cadoudal seront pris.

Il a donné l'ordre qu'on l'avertisse immédiatement d'une arrestation.

Dans la nuit du 26 au 27 février, on le réveille.

Pichegru a été empoigné dans son lit, 39, rue Chabanais. Dénoncé comme il se doit pour cent mille francs, Pichegru s'est battu plusieurs minutes avant d'être emporté, lié, enveloppé dans des couvertures, présenté à Réal et emprisonné aussitôt au Temple.

A-t-on le temps de se souvenir du général Pichegru, brillant, placé au sommet des honneurs, président du Conseil des Cinq-Cents, qui fut répétiteur de mathématiques au collège de Brienne et proscrit en 1797 quand, en fructidor, j'envoyai Augereau servir Barras ? !

Mais le temps manque pour penser au destin de Pichegru. Cadoudal reste libre.

Dans les heures qui suivent, on arrête MM. Armand et Jules de Polignac, et M. de Rivière.

Les voilà donc pris, ces représentants des aristocrates que pourtant j'ai tenté de rallier ! Et les chouans arrêtés prétendent dans leurs aveux qu'un prince est attendu pour, après ma mort, rallier le pays.

Un prince ? Un Bourbon ? Le comte d'Artois ? Le duc de Berry ? Qui d'autre ?

Napoléon lance à Talleyrand :

- Les Bourbons croient qu'on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu'ils veulent m'inspirer. Je pardonne à Moreau sa faiblesse, et l'entraînement d'une sotte jalousie.