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Il écoute et il s'impatiente.

Pourquoi faut-il qu'il se cache ainsi ? Il en veut à Joséphine de l'obliger à ces petitesses qui sont indignes de lui, de son titre et surtout de son être. Il ne peut pas être contraint. Il a bousculé toutes les hiérarchies, fait plier les rois et même le pape, qui, il en est sûr, va venir le sacrer Empereur ici, à Paris, et il n'est dans cet appartement, cette nuit, qu'un mari qui attend sa maîtresse et se dissimule pour éviter les foudres et les jalousies de sa femme.

Insupportable !

Il a parfois, comme à cet instant, envie de céder aux sollicitations de sa famille.

Depuis qu'il a été proclamé Empereur, les frères et les sœurs ne cessent de l'inciter au divorce. Il a eu beau cent fois les inviter à se taire, les couvrir de titres carolingiens, de pensions - sept cent mille francs à Élisa ! -, ses frères et ses sœurs continuent de répéter qu'il doit abandonner Joséphine avant le sacre, auquel il serait scandaleux qu'elle soit associée, elle qui n'est même pas capable de donner un enfant à son mari !

Il ouvre la porte. Pas un glissement furtif, pas une ombre dans l'escalier. Il va à nouveau vers la fenêtre. Peut-être Marie-Antoinette Duchâtel passera-t-elle par les jardins. Mais elle doit encore s'attarder dans le salon de Joséphine pour donner le change, attendre un moment d'inattention pour s'éloigner. Joséphine n'est pas facile à duper. Elle est aux aguets. Il ne supporte pas qu'elle souffre ainsi. Et pourtant, de quel droit devrait-il renoncer au plaisir d'une nuit avec une jeune femme ? Et pourquoi faudrait-il qu'il ne songe pas au divorce ?

Il a beau donner à cette dynastie qu'il fonde toutes les apparences et les formes nécessaires, elle restera précaire et menacée tant qu'il n'aura pas d'héritier en ligne directe, un fils à lui que ne peut pas lui apporter Joséphine.

Il le sait.

Et puis, il a besoin d'une autre femme. Cette Marie-Antoinette Duchâtel, qu'il attend, a à peine un peu plus de vingt ans. Elle est mariée à un barbon, comte distingué emprisonné sous la Terreur et bon directeur de l'enregistrement, qui ne peut pas répondre aux désirs de son épouse.

Et Joséphine ne peut plus donner ce que j'attends.

Marie-Antoinette a la fougue de son âge. Et elle n'est pas sotte. Elle n'a pas les « abattis canailles » de Georgina, mais au contraire une silhouette fine.

Il ouvre à nouveau la porte de l'escalier.

Il faudra que Constant loue une maison, peut-être aux Champs-Élysées, où je pourrai me rendre à ma guise, et ne pas craindre d'être surpris comme ici. Et Mme Duchâtel peut l'être à chaque instant par un domestique, ou pire, par Joséphine.

Il a tout à coup la tentation de rompre avec elle, brutalement, avant le sacre.

Puis il se reprend. Il entend le frottement d'une robe, d'un pied ou d'une épaule dans l'escalier. Il fait un pas. Il aperçoit les cheveux blonds de Marie-Antoinette Duchâtel. Il la saisit par les poignets, l'attire. Elle est essoufflée. Elle se confond en excuses. « Sire », commence-t-elle.

Il ne l'écoute pas. Ils ont si peu de temps. Elle doit retourner auprès de Joséphine, puisque Napoléon l'a nommée dame du Palais.

Il rit. Au moins, il a ce pouvoir.

Il se sent si puissant si jeune.

C'est à peine l'année de ses trente-cinq ans, et il est Empereur des Français.

Empereur ?

Il veut tout de ce titre. Les armoiries, les costumes, les fastes.

Il réunit les membres du Conseil d'État.

Il dit, en se tournant vers Cambacérès : « Monsieur l'archichancelier. » Et Cambacérès s'incline : « Sire », murmure-t-il.

Chaque chose doit être réglée avec minutie, choisie après réflexion. Il laisse parler chacun des conseillers d'État. Cambacérès souhaiterait qu'on retienne l'abeille comme symbole de l'Empire. Un autre évoque le lion. Pourquoi pas le coq ? dit un troisième. L'éléphant est un symbole de puissance, murmure Portalis.

On rédige déjà le décret réglant le grand sceau de l'Empire : « lion au repos sur un champ d'azur ».

Napoléon raye le mot « lion », le remplace par « aigle déployé ». L'aigle, c'est Rome et c'est Charlemagne. Voilà son ascendance. Et, pour les armées, ce seront les aigles comme ceux des légions et des cohortes romaines.

Quant à l'abeille ? Cambacérès, de sa voix douce, rappelle qu'on trouva des abeilles d'or dans le tombeau de Childéric Ier et dans les armoiries de plusieurs rois de France de la première race. Lors de l'entrée de Louis XII à Gênes, en 1507, poursuit Cambacérès, le roi de France portait une robe sur laquelle se trouvaient des abeilles d'or en grand nombre. L'aigle déployé, l'abeille ?

Napoléon donne son accord. Ainsi il s'inscrit dans la lignée des souverains, les rassemble dans sa dynastie. Et chaque cérémonie, chaque costume, chaque geste, dit-il, a son importance.

Le 13 juillet, par décret, il fixe l'ordre des « honneurs et des préséances ». Il ne veut plus, dit-il à l'archichancelier, de cette « petite guerre de l'étiquette ».

Il tranche, fixe la préséance des généraux de division sur les préfets, crée les gardes d'honneur, qui seront recrutés parmi les jeunes gens issus des meilleures familles. Et, plume à la main, luimême, il indique que la garde impériale comptera plus de neuf mille hommes, dont deux mille huit cents cavaliers.

Il dit à Berthier : « Des hommes grands, de un mètre soixante-dix au moins, qui ont cinq ans de service et ont participé à deux campagnes composeront la garde. »

Le ministre de la Guerre s'incline.

Puis Napoléon murmure d'une voix rêveuse, en regardant le général :

- Qu'est-ce que le mot Empereur ? Un mot comme un autre ! Si je n'avais d'autre titre que celui-là pour me présenter devant la postérité, elle me rirait au nez.

Il sourit devant le visage effaré de Berthier.

Il reprend :

- Il faut pour les hommes un jour favorable comme pour les tableaux.

Qu'en pense Berthier ?

Berthier balbutie.

Les hommes ont besoin de mots simples, d'idées fortes et claires, de cérémonies éclatantes.

Napoléon va jouer son rôle.

Il est l'Empereur.

Le 15 juillet 1804, dimanche, jour où l'on célèbre la fête anniversaire de la prise de la Bastille, il quitte le Carrousel à midi.

Devant lui, il voit les soldats alignés formant la haie et les quatre carrosses de Joséphine, de ses dames, des princesses et de leurs officiers, qui roulent déjà vers l'hôtel des Invalides.

Ce matin, dans sa robe de tulle rose semée d'étoiles d'argent, il a trouvé Joséphine belle et digne. Et il s'en est senti ragaillardi, heureux. Ce serait si simple si elle était ce qu'elle devrait être : une jeune épouse auréolée de son titre et de sa beauté, fidèle, attentive, et féconde. Et épousée vierge ! Mais elle n'a jamais été cela !!!

Constant et Roustam ont aidé Napoléon à revêtir l'uniforme de colonel de la Garde. Il a mis son chapeau noir et, maintenant, il est en tête du cortège, caracolant sur un cheval blanc. Derrière lui, les colonels généraux de la Garde, les grands officiers civils de la Couronne, les aides de camp et, fermant la marche, les grenadiers à cheval.

À l'hôtel des Invalides, le maréchal gouverneur lui offre les clés, puis Napoléon, conduit par le clergé, va jusqu'au trône qui a été érigé pour lui à gauche de l'autel.

Il se tient debout d'abord, tête nue, regardant l'immense nef, les tribunes, cette foule en uniforme rangée par catégories, là les élèves de l'École polytechnique, ici les invalides, là les ambassadeurs, les grands officiers civils, et ici les militaires.