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Finalement, Joseph s'est dédit. Il ne sera pas roi d'Italie.

L'amertume saisit Napoléon.

Il a reçu Louis et Hortense, pour leur proposer une nouvelle fois d'adopter leur fils, d'en faire le souverain italien.

Souvenir douloureux que cette scène de la jalousie de Louis.

Je serai le père de l'enfant, a prétendu Louis que j'ai chassé.

Quant à Lucien, il n'a pas voulu divorcer, préférant ce jupon à la couronne !

Voilà ce que sont mes frères !

Et c'est moi qui vais devenir roi d'Italie.

Empereur des Français, roi d'Italie.

La Fortune le veut ainsi. Ce que je ne fais pas, personne ne le fait pour moi.

J'avais rêvé d'une dynastie.

Je voulais voir mes frères autour de moi comme souverains. Je ne peux que donner une principauté, celle de Piombino, à ma sœur Élisa. Quant à ma descendance...

D'un geste brutal, du talon de sa botte, il repousse au cœur du foyer l'une des bûches. Et des centaines d'étincelles jaillissent du bois.

Le 17 mars, comme prévu, les députés italiens le proclament roi d'Italie. Le 24, il se rend au Conseil d'État. Il écoute, impassible, les dithyrambes des sénateurs qui saluent sa nouvelle couronne.

Combien d'entre eux pensent, comme Fouché, qui ose le lui dire, que cette royauté italienne qu'il a acceptée provoquera une guerre sur le continent ?

Comme si les rois avaient besoin de ce prétexte pour tenter de m'étouffer et d'effacer la Révolution de la carte !

- La mer peut me manquer mais pas la terre, répond Napoléon à Fouché.

Il est entouré de ministres et de conseillers d'État respectueux, et pourtant il lit dans leurs yeux, il en est sûr, l'attente de sa défaite, de sa chute.

Parfois il se demande si ces hommes ne la souhaitent pas, même si elle va à l'encontre de leurs intérêts.

Ils ne supportent pas ma réussite.

« Les têtes à perruque n'y entendent rien, dit-il, et les rois n'ont ni activité ni caractère. »

Il fixe, les uns après les autres, les conseillers et les ministres.

À l'exception de Fouché, ils baissent tous la tête.

« Je ne crains pas la vieille Europe », dit-il.

33.

Napoléon entend d'abord une rumeur confuse que le bruit des roues sur la route crevée d'ornières écrase.

Mais, peu à peu, des voix surgissent, claires et distinctes. « Vive l'Empereur ! » La berline ralentit. Il se penche à la fenêtre. La voiture des fourriers qui roule devant, avance au pas, tant la foule des paysans sur les bas-côtés est grande.

« Vive l'Empereur ! »

Des enfants et des femmes courent. Il les salue de la main. C'est la première fois depuis le départ de Fontainebleau, où il a dormi la nuit du 1er avril, que l'enthousiasme est si grand. Il y a quelques heures, à Troyes, la foule était surtout curieuse. Elle semblait en même temps intimidée. Il a expliqué aux autorités qu'il se rendait à Milan pour recevoir la couronne de fer de roi d'Italie. Et qu'il allait visiter les principales villes de ce royaume, qu'il avait créé de toutes pièces. Il parcourrait aussi les champs de bataille de Castiglione, de Marengo.

Quelqu'un a dit, dans la salle au plafond bas où était organisée la réception : « L'École militaire de Brienne où, Sire... »

Il n'a plus écouté.

Ce voyage vers l'Italie, il en avait eu la certitude dès que la berline s'était ébranlée, quittant la cour du château de Fontainebleau, était aussi une sorte de pèlerinage vers les premières années de gloire. Et si Joséphine avait tant insisté pour l'accompagner, c'était aussi à cause du souvenir de l'Italie, du début de la réussite et du temps de la passion qu'avait pour elle un jeune général.

Du temps de ma jalousie.

Il n'avait pas pensé que la route passerait si près de Brienne, de ces années de solitude et d'amertume souvent. Il y a vingt-cinq ans.

Il était quatorze heures, ce mercredi 3 avril 1805.

Il dit qu'il allait se rendre à Brienne, que Joséphine continuerait avec le gros du convoi vers Lyon. Et c'est ainsi qu'en cette fin d'après-midi la berline avance parmi les paysans qui crient : « Vive l'Empereur ! »

On a dû, depuis Troyes, envoyer des courriers pour préparer l'étape.

Il regarde. Il aperçoit le château de Brienne où, une fois, il fut convié, alors qu'il n'était qu'un enfant taciturne qui rêvait à son île natale.

Sur des charrettes dont on a dételé les bœufs, des grappes de femmes et d'enfants agitent des foulards. Des feux brûlent au milieu des groupes, car il fait froid et le ciel est bas.

Il lui semble reconnaître ces bois, ces haies, ce temps des premières marches et des manœuvres. Il se souvient de chaque détail et des visages surgissent.

Les voici qui s'avancent dans la grande salle du château.

L'école n'est plus qu'un champ de ruines, lui dit-on. La Révolution, soupire-t-on, est passée comme une tornade. Les bâtiments ont été saccagés, vendus, abandonnés, détruits.

Il se tient dans l'embrasure d'une fenêtre. Mme de Brienne va le conduire à la chambre qu'occupait autrefois, lors de ses séjours, le duc d'Orléans.

Il cherche à distinguer, dans l'obscurité qui tombe, les ruines de l'école. Il s'y rendra demain matin, à l'aube.

Puis il dit :

- Le temps de la Révolution est fini, il n'y a plus en France qu'un seul parti.

Il fait nuit encore.

Mais l'hiver, enfant, il était debout, à cette heure-là, dans le dortoir de l'école. Il avait froid, toujours froid. Et peut-être ce froid ne l'a-t-il jamais quitté.

Il marche dans les ruines de l'école, sur les gravats, en compagnie de son écuyer, Louis de Canisy, neveu de Mme de Brienne.

Ici était peut-être le dortoir. Là, près de cette haie, il avait élevé son ermitage, où il lisait, seul.

On avait tiré un feu d'artifice, des caisses de pétards ou de munitions avaient explosé. Et les élèves, ce jour de frayeur, dans leur fuite, avaient saccagé cet ermitage qu'il avait mis des saisons à construire.

Il se tait tout à coup, monte à cheval. Et, avant que sa suite ait pu s'élancer, il chevauche seul sur la route de Bar-sur-Aube.

Il va au hasard de sa mémoire, d'un bouquet d'arbres à une maison isolée. Il saute haies et ruisseaux. Le jour est clair, l'odeur de la terre l'enivre. Et ce passé qu'il parcourt le trouble et l'exalte.

Des paysans, à son passage, se redressent. Il lit dans leur attitude effrayée et surprise l'étonnement devant ce cavalier qui, à francs étriers, traverse les champs et s'enfonce dans les bois.

Il est libre. Libre. Rien ni personne ne peut le contraindre. Il choisit seul sa route.

Il entend une détonation. Ses aides de camp le cherchent, l'apellent. Il chevauche encore, puis peu à peu retient son cheval et, au trot, rentre au château de Brienne où Caulaincourt, Canisy et les officiers de sa suite se précipitent à sa rencontre.

Il saute de cheval.

Il ne fera pas reconstruire l'école de Brienne. Le passé ne sert qu'à inventer l'avenir.

Il retourne à Troyes et, le 5 avril, repart pour Semur, Chalon, Mâcon, Bourg.

Il n'avait plus parcouru depuis des années ces paysages qu'il a tant de fois traversés. On l'acclame avec enthousiasme. Les ouvriers du Creusot tirent le canon pour le saluer.

Cette vieille femme qui s'avance vers lui à Chalon, il la reconnaît. Elle l'avait reçu chez elle autrefois, quand il était lieutenant en second au régiment de La Fère.