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Il monte dans la berline. Il va dormir.

Le 2 décembre 1805, lorsqu'il se lève, il voit le brouillard. Il ne pleuvra donc pas. Il est aussitôt à cheval, avec son escorte, parcourant le front des troupes encore immobiles.

À huit heures, le soleil se lève et dissipe le brouillard. Le grand disque rouge monte lentement cependant que les troupes de Soult, de Davout et de Bernadotte commencent à prendre d'assaut le plateau de Pratzen.

Il va vers l'aile droite, se place à la tête de la réserve, suit à la lorgnette les mouvements des troupes. Il voit les cavaliers immenses de la Garde impériale russe dans leurs uniformes blanc et vert se faire tailler en pièces. Il voit les corps s'amonceler par milliers. Les Russes contre-attaquent plusieurs fois. Il fait donner la cavalerie de la Garde. Au bout de quelques minutes, le général Rapp, blessé, revient vers l'Empereur, accompagnant un prisonnier, le colonel des gardes russes, le prince Repnine.

Le plateau de Pratzen est conquis. Les Austro-Russes n'ont plus qu'à mourir ou à se rendre. Échec et mat dans quelques coups.

Napoléon regarde les troupes russes qui s'aventurent au sud de l'aile droite sur les étangs gelés. Il donne l'ordre de tirer sur la glace, qui s'ouvre. L'eau est peu profonde. Il y aura peu de noyés, mais l'artillerie russe est engloutie, et les hommes se rendent ou périssent de froid.

La nuit est tombée si vite ! Il pleut et il grêle. Il parcourt à cheval le champ de bataille.

Il faut qu'il voie cela, ces morts, ces blessés qui agonisent, ces masses sombres des chevaux enchevêtrés les uns sur les autres, éventrés par les boulets.

Qu'on se taise autour de lui. Il faut entendre les plaintes des blessés. Il faut qu'on les secoure.

Il retrouve son bivouac, mais ne peut dormir.

À six heures du matin, il est à nouveau à cheval, dans la nuit encore tenace. Il chevauche sur la route qui va vers Olmütz et où, de part et d'autre de la chaussée, les morts et les blessés sont étendus. Ici, Lannes et Murat ont écrasé les troupes du général russe Bagration.

Il prend l'embranchement qui conduit à Austerlitz. Partout des morts, des pièces d'artillerie russes.

À Austerlitz, il s'installe dans le château du prince de Kaunitz.

La victoire est conforme à ce qu'il avait prévu, mais il ne ressent aucune jubilation. Les événements se sont déroulés comme il l'avait imaginé. Mais il est glacé. Il s'installe devant la cheminée de la grande salle d'apparat, et il écrit à Joséphine, le dos aux flammes.

« J'ai battu l'armée russe et autrichienne commandée par les deux Empereurs. Je me suis un peu fatigué, j'ai bivouaqué huit jours en plein air par des nuits assez fraîches. Je couche ce soir dans le château du prince Kaunitz, où je vais dormir deux ou trois heures. L'armée russe est non seulement battue mais détruite.

« Je t'embrasse. »

Peu à peu la chaleur pénètre son corps. La fatigue glisse hors de lui mais ses yeux brûlent, comme ceux de nombreux soldats. Le vent, le froid, les cavalcades les ont irrités.

Il se lève, plonge son visage dans l'eau chaude, puis, les yeux toujours douloureux, il commence à dicter. Les mots doivent conclure cette victoire.

Il marche dans la grande pièce. Il songe à ces soldats qui ont crié lorsqu'il passait près d'eux qu'il pourrait se contenter de voir la bataille de loin. Il pense aux torches dans la nuit du 1er décembre, aux cris de « Vive l'Empereur ! ».

Il commence à dicter.

« Soldats, je suis content de vous. Vous avez, à la journée d'Austerlitz, justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire... Ce qui a échappé à votre fer s'est noyé dans les lacs... Quarante drapeaux, les étendards de la Garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers, sont le résultat de cette journée à jamais célèbre... Soldats, mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire : "J'étais à la bataille d'Austerlitz" pour que l'on vous réponde : "Voilà un brave." »

Le 4 décembre au matin, Napoléon quitte le château d'Austerlitz avec son état-major et son escorte.

Au moulin de Paleny, à mi-chemin des avant-postes autrichiens et français, il descend de cheval et s'approche du grand feu qu'ont allumé les grenadiers. Il tend les mains au-dessus des flammes. Il va accueillir l'Empereur François II, le descendant des Habsbourg, venu solliciter l'armistice après avoir été défait.

Il voudrait être étonné, et pourtant cet événement lui semble aussi naturel que la victoire d'Austerlitz.

La voiture de l'Empereur d'Autriche, escortée de ses officiers, arrive, et Napoléon s'avance, embrasse François II, l'entraîne à quelques pas des états-majors dont il sent les regards.

Il montre le feu de bois, le moulin :

- Ce sont là les palais que Votre Majesté me force d'habiter depuis trois mois, dit-il.

Il sourit.

- Ce séjour vous réussit assez bien, répond François II. Vous n'avez pas le droit de m'en vouloir.

Napoléon essaie de convaincre. Il faut que l'Autriche sépare son sort de celui de la Russie. Tout en marchant près de François II, il se souvient des propos de Talleyrand, qui voulait d'une alliance autrichienne, et de ceux de l'envoyé autrichien Giulay, qui évoquait la possibilité d'un mariage avec l'archiduchesse Marie-Louise. Puisqu'il est victorieux, tout est possible. Il a forcé la porte.

Il raccompagne François II à sa voiture, l'embrasse à nouveau et l'appelle « mon frère ».

N'est-il pas, lui, Napoléon, le fondateur d'une dynastie qui vient de vaincre deux Empereurs ?

Alexandre signera lui aussi un armistice, et le roi de Prusse se félicitera de ne pas avoir eu le temps d'entrer dans la bataille.

Tout est si simple, lorsqu'on détient la force et qu'on est victorieux.

Il rentre à cheval à Austerlitz. Les soldats qu'il croise crient : « Vive l'Empereur ! » Des prisonniers entassent sur des charrettes les morts qu'ils ramassent au bord de la route, dans les champs détrempés.

Il faut qu'il adopte et assure leur avenir aux orphelins des soldats et des officiers tombés à Austerlitz. Il ferme les yeux qui continuent d'être irrités.

Mais, au château du prince Kaunitz, il écrit lui-même à Joséphine :

« J'ai conclu un armistice : avant huit jours, la paix sera faite. Les Russes s'en vont. La bataille d'Austerlitz est la plus belle de toutes celles que j'ai données : quarante-cinq drapeaux, plus de cent cinquante pièces de canon, les étendards de la garde russe, vingt généraux, trente mille prisonniers, plus de vingt mille tués : spectacle horrible ! L'Empereur Alexandre Ier est au désespoir et s'en va en Russie. J'ai vu à mon bivouac l'Empereur d'Allemagne : nous causâmes deux heures, nous sommes convenus de faire vite la paix.

« J'ai trois mille blessés et sept à huit mille morts.

« J'ai un peu mal aux yeux ; c'est une maladie courante et très peu de chose.

« Adieu, mon amie, je désire bien te revoir.

« Je vais coucher ce soir à Vienne.

« Napoléon »

C'est le 7 décembre 1805.

Le 26, Napoléon signe avec l'Autriche le traité de paix de Presbourg.

Et le 30 décembre 1805, le Tribunat se réunit dans l'enthousiasme. Il neige sur Paris. Mais pas un tribun ne manque à la réunion de l'Assemblée. À l'unanimité, le Tribunat propose d'appeler l'Empereur, qui l'a accepté, Napoléon le Grand.

Biographies

Maximilien Robespierre, histoire d'une solitude, Librairie académique Perrin, 1968, 2001 (et Pocket).

Garibaldi, la force d'un destin, Fayard, 1982.