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Maintenant, il ne s'agit plus que de laisser sa pensée se dérouler.

Il dit à Berthier : « Je ne veux pas plus de quatre cents voitures. Mais je n'entends pas que la moitié soient des caissons d'outils ou des effets d'artillerie des compagnies. J'entends que ce soient des cartouches d'infanterie, des cartouches de canon, pour réparer des pertes et pour avoir vingt ou trente pièces de canons de plus en batterie le jour de la bataille. »

Il dit au maréchal Soult : « Je débouche avec toute mon armée sur la Saxe par trois débouchés. Vous êtes à ma droite, ayant à une demi-journée derrière vous le corps du maréchal Ney... Le maréchal Bernadotte est à la tête de mon centre... Il a derrière lui le corps du maréchal Davout, la plus grande partie de la réserve de la cavalerie de ma Garde... Avec cette immense supériorité de forces réunies sur un espace si étroit, vous sentez bien que je suis dans la volonté de ne rien hasarder et d'attaquer l'ennemi partout où il voudra tenir, avec des forces doubles... Vous sentez bien que ce serait une belle affaire que de se porter autour de cette place, Dresde, en un bataillon carré de deux cent mille hommes, cependant tout cela demande un peu d'art et quelques événements. »

Ce sont les derniers plans avant que les armées ne se mettent vraiment en mouvement. Et il sait qu'alors tout peut dépendre d'une circonstance imprévue, que les projets les plus précis peuvent être bouleversés, et que seules comptent, sur le terrain, l'acuité du regard et la rapidité de la décision.

Et c'est pourquoi il doit être au milieu de ses troupes, c'est pourquoi il doit courir aux avant-postes, essuyer les coups de feu de l'ennemi, pour voir de plus près le dispositif de l'adversaire.

C'est pourquoi il va devoir quitter Paris, le château de Saint-Cloud.

À cette idée, il est à nouveau saisi par un sentiment de lassitude, qu'il refoule, en voyant les cartes, en organisant une diversion au nord, puisqu'il compte avancer au sud.

« Comme mon intention n'est pas d'attaquer de votre côté, écrit-il à Louis, roi de Hollande, je désire que vous entriez en campagne le premier pour menacer l'ennemi. Les remparts de Wesel et le Rhin vous serviront de refuge à tout événement... » Et, parce qu'il sait que son frère manque d'énergie, hésite, il le rassure : « J'écraserai tous mes ennemis. Le résultat de tout ceci accroîtra vos États et sera une paix solide ; je dis solide parce que mes ennemis seront abattus et dans l'impuissance de remuer de dix ans. »

Peut-être la dernière guerre, pense-t-il.

Il parcourt les galeries du château. Joséphine vient à sa rencontre. Elle insiste pour partir avec lui s'il rejoint l'armée, si la guerre éclate comme elle le craint. Elle s'installera à Mayence, elle l'attendra dans cette ville. Il donne son accord. Il a du mal à partir, et c'est la première fois.

Il convoque Cambacérès. C'est lui, durant l'absence de l'Empereur, qui sera chargé de présider la réunion des ministres chaque mercredi.

Mais - Napoléon lève la main - les ministres correspondront directement avec l'Empereur, quel que soit le lieu où il se trouve. Il veut continuer de gouverner la France comme s'il était à Paris.

Combien de temps sera-t-il absent ? Il chevauche seul dans la forêt de Saint-Cloud. Il a besoin de cette solitude pour que se mettent en place dans sa tête tous les rouages de cette machine militaire qui va broyer l'ennemi. Il rentre, commence aussitôt à dicter plus de dix lettres qui précisent la marche des différents corps de la Grande Armée.

Puis il reçoit un aide de camp du général Augereau, qui rentre de Berlin. Napoléon tourne autour du lieutenant Marbot, l'examine, le questionne.

Marbot a été reçu dans les salons berlinois. Que pense-t-il de cette reine Louise, qui insulte l'Empereur ? Belle ? Elle veut, dit-on, assister à la guerre ? Blonde, n'est-ce pas ? demande Napoléon.

Il sourit en écoutant le jeune lieutenant qui dit d'abord que la reine Louise a défilé à Berlin à la tête du régiment des dragons de la reine, et que, selon le général von Blücher, elle entrera avec ses dragons à Paris.

- Belle femme ? questionne à nouveau Napoléon.

Marbot le confirme. Mais une seule chose la dépare, dit-il. Elle porte toujours une grosse cravate, afin, dit-on, de cacher un goitre assez prononcé qui, à force d'être tourmenté par les médecins, s'est ouvert et répand une matière purulente, surtout lorsque la reine danse, ce qui est son divertissement de prédilection.

Napoléon baisse la tête. Ce n'est donc que cette femme-là, la reine Louise, elle dont on dit qu'elle a fasciné le tsar Alexandre ?

- Et les Prussiens ? demande Napoléon.

Ce maréchal Brunswick, qui a commandé l'armée qui voulait punir Paris en 1792, et qui a été battu à Valmy, que vaut-il ?

Marbot hésite, puis rapporte simplement que les gendarmes de la Garde noble ont parcouru les rues de Berlin en criant qu'il n'y avait pas besoin de sabres pour ces chiens de Français, qu'il suffisait de gourdins. Ils sont allés affûter leurs sabres sur les marches de l'ambassade de France...

Napoléon porte la main à la poignée de son épée.

- Fanfarons ! lance-t-il. Insolents !

Puisque le duc de Brunswick commande à nouveau l'armée prussienne, comme il y a quatorze ans, il va découvrir que les armes françaises sont en bon état. Napoléon souhaite au lieutenant Marbot une guerre glorieuse.

Il se souvient de sa jeunesse d'officier. Il se sent soldat de la Révolution.

À 16 h 30, le jeudi 25 septembre 1806, il monte dans sa voiture et quitte Saint-Cloud. Joséphine est dans l'une des voitures qui suivent la berline de l'Empereur. La nuit tombe. On dîne à Châlons puis on repart dans l'obscurité et l'on roule jusqu'à Metz, le lendemain vendredi à 14 heures. Puis ce seront Saint-Avold, Sarrebruck, Kaiserslautern, et enfin Mayence, tôt le dimanche 28 au matin, alors que le jour pointe seulement.

Il est las. Il consulte les dépêches. La Grande Armée est déjà concentrée autour de Bamberg. Il vérifie la position de chaque corps, le nombre des hommes : il doit disposer de près de cent soixante-six mille soldats. Mais est-ce la guerre ?

Tout est prêt pour le déclenchement. Les Prussiens, commandés par le maréchal duc de Brunswick et le prince de Hohenlohe, se sont rassemblés autour d'Iéna. Et cependant le conflit n'a pas encore éclaté.

« La guerre n'est pas encore déclarée, dit Napoléon à Berthier le 29 septembre. On ne doit commettre aucune hostilité. »

Mais il ne faut jamais se laisser surprendre. Il ordonne l'achat de milliers de chevaux, fait reconnaître les chemins de Leipzig et de Dresde. Il examine minutieusement les rapports des officiers qu'il a envoyés en reconnaissance en Thuringe et en Saxe. La guerre est bien là. Les intentions prussiennes sont claires. Brunswick avance par la vallée du Main vers le Rhin. Napoléon dicte des ordres pour Berthier, écrit à Fouché.

« Les fatigues ne sont rien pour moi, dit-il. Je regretterais la perte de mes soldats si l'injustice de la guerre que je suis obligé de soutenir ne faisait retomber tous les maux que l'humanité va encore éprouver sur les rois faibles qui se laissent conduire par de brouillons vendus. »

Il est tendu. « Il est possible que les événements actuels ne soient que le commencement d'une grande coalition contre nous, et dont les circonstances feront éclore tout l'ensemble », écrit-il à Louis.

Il faut faire face. Dans la journée du 1er octobre, il donne ses dernières directives. Il va lui-même partir pour Würzburg en fin de journée. L'armée doit achever de converger vers cette ville et Bamberg.

Il voit s'avancer vers lui Joséphine en compagnie de Talleyrand, qui a rejoint lui aussi Mayence. Il s'approche d'eux en marchant lentement. Il va quitter la ville, dit-il, il roulera de nuit, traversera Francfort pour atteindre Würzburg.