Выбрать главу

Addio, mio dolce amore.

« Tout à toi.

« Nap. »

Il fait rentrer Maret. Il l'écoute évoquer les propositions de Bernadotte qui tergiverse, hésite à engager la Suède aux côtés de la France, ménage les Russes et, en fait, laisse passer le temps pour choisir de se ranger aux côtés du vainqueur.

Napoléon donne un coup de pied dans une chaise, la renverse.

- Le misérable ! L'occasion d'abaisser la Russie est unique, et cette occasion négligée, il ne la retrouvera plus, car on ne verra pas deux fois un guerrier tel que moi marchant avec six cent mille soldats contre le formidable empire du Nord... Le misérable, il manque à sa gloire, à la Suède, à sa patrie ; il n'est pas digne qu'on s'occupe de lui.

Il donne à nouveau un coup de pied.

- Je ne veux plus qu'on m'en parle et je défends qu'on lui fasse arriver aucune réponse, ni officielle, ni officieuse.

Il sort, chevauche une heure, accompagné d'une faible escorte, puis, rentré, il essaie de dormir. Mais, à 3 heures du matin, il donne le signal du départ. Dans l'aube qui se lève, il observe les troupes en marche. Beaucoup de traînards. Il faudra que des unités de gendarmerie les rassemblent, les conduisent à leurs régiments.

À l'entrée de Thorn, la voiture s'immobilise. Il descend. Les rues sont encombrées par les troupes de Jérôme et d'Eugène. Il passe au milieu des soldats. La plupart parlent allemand ou italien, ne prêtent aucune attention à lui. Il entre dans le couvent où Caulaincourt a préparé son quartier général. Les salles voûtées sont pleines d'officiers alliés, d'Allemands.

- Que ces messieurs sortent, qu'ils ne me suivent pas d'aussi près, qu'ils restent en arrière à plusieurs journées de marche, dit-il.

Il commence à travailler. Où a-t-on prévu d'installer les hôpitaux ? Les équipages de pont sont-ils parvenus jusqu'ici ? Il dicte, il ordonne. Il passe la Garde et l'artillerie en revue. Il sort au milieu de la nuit pour une inspection des cantonnements.

Parce qu'il a besoin de respirer cet air plus frais de la nuit et d'entendre les voix des soldats, de retrouver l'atmosphère des veilles de bataille. Il rentre au quartier général. Il ne peut pas dormir. Mais il se sent bien. Il fredonne, puis sa voix éclate, tonnante.

Et du nord au midi la trompette guerrière

a sonné l'heure des combats

Tremblez, ennemis de la France...

Il s'interrompt. D'avoir chanté ainsi l'a apaisé, enfin. Il aime ce Chant du départ. Il en murmure pensivement les dernières paroles.

Rois ivres de sang et d'orgueil

Le peuple souverain s'avance

Tyrans, descendez au cercueil.

Je ne suis que le roi du peuple.

Il s'endort quelques instants. Lorsqu'il se réveille, il s'installe aussitôt à sa table.

« Ma bonne amie,

« Il fait une bien grande chaleur, comme en Italie. Tout est extrême dans ce climat. J'étais ce matin à cheval à 2 heures du matin. Cela me réussit fort bien. Je pars dans une heure pour Dantzig, tout est fort tranquille sur la frontière. La Garde que j'ai vue hier était fort belle.

« L'on m'a dit que tu avais des vomissements. Cela est-il vrai ? Mille choses à toute ta famille ainsi qu'à ton père et à l'impératrice.

« Je désire autant que toi te voir et j'espère que ce sera bientôt : trois mois d'absence et toujours avec toi.

« Mille baisers.

« Ton Nap. »

La nuit, la route.

Peut-être Marie-Louise est-elle enceinte ?

La poussière, puis les rues pavées de Dantzig, et le général Rapp, gouverneur de la place, qui s'avance, qui commence à se plaindre.

Napoléon écoute son ancien aide de camp, ce général valeureux, ancien compagnon de Desaix et de Kléber, couturé de blessures, et qui se sent à Dantzig comme un « enfant perdu ».

- Que font vos marchands de tout leur argent ? l'interrompt Napoléon. De celui qu'ils gagnent, de celui que je dépense pour eux ?

- Ils sont aux abois, Sire.

- Cela changera. C'est une chose convenue. Je les garderai pour moi.

Il passe en revue les troupes, retrouve Murat, Berthier.

- Qu'avez-vous, Murat ? Vous êtes jaune, vous n'avez pas votre belle mine. Auriez-vous du chagrin ? N'êtes-vous plus content d'être roi ?

- Ah, Sire ! je ne le suis guère.

- Voilà ce que c'est, vous voulez à toute force voler de vos propres ailes et vous embrouillez votre position. Croyez-moi, laissez là la petite politique qui sent le terroir de Naples, et soyez français avant tout. Votre métier de roi sera bien plus simple et bien plus facile que vous ne pensez.

Il quitte Murat, fait quelques pas avec Caulaincourt.

Murat ? « Un Pantaleone italien, murmure-t-il. Il a bon cœur ; au fond il m'aime encore plus que ses lazzaroni. Quand il me voit, il m'appartient, mais loin de moi il est, comme les gens sans caractère, à celui qui le flatte et l'approche. S'il fût venu à Dresde, sa vanité et son intérêt lui eussent fait faire mille sottises pour se ménager les Autrichiens. »

Il regarde longuement Caulaincourt. Les hommes ne sont-ils pas tous ainsi ?

Il s'est assis en face de Rapp dans la grande salle de la forteresse de Dantzig. Il chipote. Il observe Murat et Berthier, assis à sa droite et à sa gauche.

- Je vois bien, messieurs, commence-t-il, que vous n'avez plus envie de faire la guerre : le roi de Naples ne veut plus sortir de son beau royaume ; Berthier voudrait chasser à Grosbois, et Rapp habiter son superbe hôtel de Paris.

Murat et Berthier baissent les yeux.

- J'en conviens, Sire, répond Rapp. Votre Majesté ne m'a jamais gâté ; je connais fort peu les plaisirs de la capitale.

Il doit les convaincre. Les entraîner encore. Oublier que lui aussi aimerait sentir près de lui le corps de Marie-Louise et prendre son fils dans ses bras.

Est-elle enceinte une seconde fois ? Elle ne parle plus, dans ses lettres, de ses nausées.

- Nous touchons au dénouement, reprend-il en regardant l'un après l'autre Rapp, Murat et Berthier. L'Europe ne respirera que quand ces affaires de Russie et d'Espagne seront terminées. Alors seulement on pourra compter sur une paix profonde. La Pologne renaissante s'affermira. L'Autriche s'occupera plus de son Danube, et beaucoup moins de l'Italie. Enfin, l'Angleterre se résignera à partager le commerce du monde avec les vaisseaux du Continent.

Il se lève.

- Mon fils est jeune, dit-il, il faut bien lui préparer un règne tranquille.

Puis il s'attarde. Il a besoin de ses généraux, de ses maréchaux, dit-il.

- Mes frères ne me secondent pas. Ils n'ont des princes que la sotte vanité et aucun talent, point d'énergie. Il faut que je gouverne pour eux. Mes frères ne pensent qu'à eux.

Il hausse la voix.

- Je suis le roi du peuple, car je ne dépense que pour encourager les arts et pour laisser des souvenirs glorieux et utiles à la nation. On ne dira pas que je dote des favoris et des maîtresses. Je récompense les services rendus à la patrie et rien de plus.

Il sort d'un pas rapide. Il veut voir les troupes, les fortifications, parcourir la rade en canot. Puis il s'enferme dans son cabinet pour étudier les dépêches, les cartes, les états de situation des armées.

Il s'interrompt, se fait apporter sa plume.

« Ma bonne Louise, je n'ai pas de lettre de toi. Je suis à cheval dès 2 heures du matin, je rentre à midi, je dors deux heures et je vois des troupes le reste du jour. Ma santé est fort bonne. Le petit roi se porte bien ; il va être sevré. J'espère que tu en as reçu des nouvelles.