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« Tout est fort tranquille, le temps s'est un peu mis à la pluie, ce qui fait du bien. Je serai demain à Königsberg.

« Il me tarde bien de te voir. Malgré mes occupations et les fatigues, je sens quelque chose qui me manque : la douce habitude de te voir plusieurs fois dans le jour. Addio, mio bene. Porte-toi bien, sois gaie, contente, c'est le moyen de me faire plaisir.

« Ton fidèle époux.

« Nap. »

Il est si impatient de reprendre la route qu'il n'attend pas que les voitures soient prêtes, monte à cheval et part à franc étrier. Il est à Marienburg, à Königsberg. Il reçoit Prévôt, le secrétaire de l'ambassade de France à Saint-Pétersbourg. Alexandre Ier a refusé, explique ce diplomate, d'accorder une audience à l'ambassadeur, le général Lauriston.

- C'en est fait, dit Napoléon. Les Russes, que nous avons toujours vaincus, prennent un ton de vainqueurs, ils nous provoquent, et nous aurons sans doute à les remercier. Nous arrêter sur un tel chemin, ce serait manquer le moment le plus opportun qui se soit jamais présenté.

Il reste silencieux quelques minutes.

- Acceptons comme une faveur l'occasion qui nous fait violence et passons le Niémen.

Il a tout à coup froid. Il sort. La campagne est couverte de neige. Une nuit de juin a suffi à transformer le paysage de printemps en un horizon hivernal.

Mais le soleil se lève. La neige fondra.

Un courrier arrive, porteur des lettres de Marie-Louise. Il les parcourt, répond aussitôt.

« Tu sais combien je t'aime. Je veux te savoir bien portante et bien gaie. Dis-moi que tu n'as plus ton vilain rhume. Ne souffre jamais que l'on dise devant toi rien d'équivoque sur la France et la politique.

« Je suis souvent à cheval, cela me réussit. L'on me dit du bien du roi, il grandit, marche et se porte bien.

« Je vois avec peine que ce que j'espérais n'a pas eu lieu. Enfin, il faut donc remettre cela à l'automne. J'espère recevoir de tes nouvelles demain... »

Elle n'est pas enceinte.

Où sera-t-il à l'automne ?

Le dimanche 21 juin 1812, il arrive à Wilkowiscki. La bourgade est envahie par les troupes du maréchal Davout. Au-delà des maisons, il aperçoit les bois, les collines sableuses derrière lesquelles coule le Niémen.

La chaleur, dès le matin, est étouffante. La neige d'une nuit a été comme un mirage.

Dans la pièce d'une maison au toit de chaume, il commence à dicter.

C'est la source des années de guerre qui resurgit en lui avec la même force. Elle pousse les mots, cependant qu'il arpente le sol de terre battue, les mains derrière le dos.

« Soldats, la seconde guerre de Pologne est commencée ; la première s'est terminée à Friedland et à Tilsit. À Tilsit, la Russie a juré éternelle alliance à la France et guerre à l'Angleterre. Elle viole aujourd'hui ses serments !

« La Russie est entraînée par la fatalité ; ses destins vont s'accomplir. Nous croirait-elle donc dégénérés ? Ne serions-nous donc plus les soldats d'Austerlitz ? Elle nous place entre le déshonneur et la guerre : le choix ne saurait être douteux.

« La seconde guerre de Pologne sera glorieuse aux armées françaises comme la première. Marchons donc en avant : portons la guerre sur son territoire. Passons le Niémen ! »

Il dort quelques heures. Lorsqu'il se réveille, le lundi 22 juin 1812, il commence à écrire.

« Ma bonne Louise, je suis ici, je pars dans une heure. La chaleur est excessive, c'est la canicule. Ma santé est bonne... Fais-moi connaître quand tu as le projet de partir. Aie soin de marcher la nuit, car la poussière, la chaleur sont bien fatigantes et pourraient altérer ta santé, mais en allant la nuit, à petite journée, tu supporteras bien la route.

« Adieu, ma douce amie, sentiments sincères d'amour.

« Nap. »

Il sort de la pièce. L'air est immobile. Il suffoque. Il regarde devant lui la forêt de pins que recouvre une brume grise.

- À cheval, dit-il, vers le Niémen.