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Il passe en revue le troisième corps, celui du maréchal Davout, le duc d'Auerstedt. Il distribue plus de cinq cents croix, s'attarde longuement pour parler aux soldats. Il élève au grade supérieur de nombreux officiers.

- Les braves qui sont morts, dit-il, sont morts avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans des circonstances si glorieuses.

Les troupes l'acclament, et Davout lance :

- Sire, nous sommes votre Dixième Légion ! Le troisième corps sera partout et toujours pour vous ce que cette Légion fut à César !

Il écoute.

Il se sent César en ce siècle.

Il se rend à l'hôtel de ville, parle avec violence aux notables prussiens rassemblés, assure qu'il a vu, dans la chambre à coucher de la reine Louise, le portrait du tsar Alexandre.

- Ce n'est pas vrai, Sire, lance une voix.

Des officiers se précipitent. Napoléon les arrête, pardonne au pasteur Erhmann qui a osé l'interrompre. Il reconnaît la sincérité, la franchise de cet homme, mais, rentré au palais royal où il va loger, il s'indigne lorsque le général Savary lui remet une lettre du prince Hatzfeld, celui-là même qui lui a présenté les clés de Berlin. Les agents de Savary ont intercepté cette correspondance de Hatzfeld au prince de Hohenlohe. Elle contient une énumération précise des forces françaises à Berlin, corps par corps, et donne même le nombre de leurs caissons de munitions.

Napoléon dicte aussitôt, d'une voix étranglée par la colère, l'ordre par lequel on doit traduire le prince Hatzfeld devant une commission militaire pour y être jugé comme traître et espion. Qu'on l'arrête, qu'on le fusille. Il lit la consternation dans les yeux de Berthier, de Ségur, mais n'ont-ils pas compris qu'on ne peut régner que sévèrement ? N'a-t-on pas fusillé, le 26 août 1806, un éditeur de Nuremberg qui diffusait un pamphlet antifrançais ?

Quelques instants plus tard, alors qu'il rentre d'une revue, que les tambours battent, une femme enceinte s'évanouit à la porte de son cabinet. La princesse Hatzfeld vient solliciter la grâce de son mari.

Napoléon regarde la jeune femme, lui tend la lettre, lui demande de la lire. Elle bégaie, pleure.

Être empereur, c'est aussi disposer du droit de grâce, jouir de cet émoi, rendre à la vie celui qu'on destine à la mort.

Napoléon regarde la princesse éplorée, assise devant la cheminée.

- Eh bien, dit-il, puisque vous tenez entre vos mains la preuve du crime, anéantissez-la et désarmez ainsi la sévérité des lois de la guerre.

Elle jette la lettre dans le feu.

Peu après, le prince Hatzfeld est libéré.

Il se retire, il écrit à Joséphine. Il est 2 heures du matin, le 1er novembre 1806.

« Talleyrand arrive et me dit, mon amie, que tu ne fais que pleurer. Que veux-tu donc ? Tu as ta fille, tes petits-enfants, et de bonnes nouvelles, voilà bien des moyens d'être contente et heureuse.

« Le temps ici est superbe, il n'a pas encore tombé de toute la campagne une seule goutte d'eau. Je me porte bien et tout va au mieux.

« Adieu, mon amie, j'ai reçu une lettre de Napoléon, je ne crois pas qu'elle soit de lui mais d'Hortense.

« Mille choses à tout le monde.

« Napoléon »

En effet, il se porte bien. Chaque jour, il assiste à la parade devant le palais royal. Il passe en revue la cavalerie. Il fait manœuvrer la Garde dans la plaine de Charlottenburg. Le reste de la journée, il travaille dans ce cabinet qu'il s'est fait aménager dans le palais royal. On y a transporté sa bibliothèque et ses cartes. Il suit les mouvements de troupes qui traquent les dernières forces prussiennes. Kustrin, Magdebourg, Stettin, Lübeck - ville libre où pourtant Blücher s'est réfugié - tombent.

« Tout a été pris, dit Napoléon, tué, ou erre entre l'Elbe et l'Oder. »

Lübeck a été mise à sac. « Elle ne doit s'en prendre qu'à ceux qui ont attiré la guerre dans ses murs, commente-t-il. Tout va aussi bien qu'il est possible de se l'imaginer », dit-il encore.

Et cependant Frédéric-Guillaume rejette les conditions de paix transmises par Duroc, espère toujours l'arrivée des Russes. Ils sont plus de cent mille en marche, sous le commandement des généraux Bennigsen et Buxhoewden.

La guerre est donc encore là et l'hiver approche. Il faut des hommes. Qu'on m'envoie des conscrits, dit-il à Berthier, même s'ils n'ont que huit jours d'instruction, pourvu qu'ils soient armés, avec culotte, guêtres, chapeau d'uniforme et une capote. Tant pis s'ils n'ont pas de costume. Cela suffira.

Il se penche sur les cartes, dit au maréchal Mortier :

- Il est possible que dans quelques jours je me porte de ma personne au milieu de la Pologne.

Puis, marchant les mains derrière le dos, il ajoute :

- Les froids vont devenir vifs et l'eau-de-vie peut sauver mon armée. On m'assure qu'on trouve beaucoup de vin à Stettin ; il faut tout prendre, y en eût-il pour vingt millions. C'est le vin qui dans l'hiver me vaudra la victoire ; il faut le prendre en règle et on donnera des reçus.

Il sait qu'il lui faudra à nouveau combattre, donner une leçon définitive aux Russes, comme il vient de l'administrer aux Prussiens. Il a reçu de Murat une lettre triomphante après la prise de Magdebourg, le 7 novembre. « Sire, a écrit le grand-duc de Berg, le combat finit faute de combattants. » Mais il en surgit toujours de nouveaux. Les Russes seront-ils les derniers ? Il faudrait pour cela que la grande inspiratrice des coalitions, l'Angleterre, soit vaincue.

Dans le palais royal de Berlin, tout au long de ce mois de novembre 1806, Napoléon médite. Il lit le mémoire que lui a adressé Talleyrand, qui démontre que l'Angleterre a attenté au droit des gens en établissant un blocus des ports européens et qu'il faut lui répondre, que l'occasion est bonne puisque, après la défaite de la Prusse, l'Empereur contrôle les côtes de l'Europe, de Dantzig jusqu'à l'Espagne et de celle-ci à l'Adriatique.

Napoléon convoque son secrétaire, commence à dicter un décret qui, le 21 novembre 1806, institue le blocus continental. Il s'agit de vaincre la mer par la domination de la terre. « Tout commerce et toutes correspondances avec les îles Britanniques sont interdits », dit-il. Les îles sont donc déclarées en état de blocus, puisque Londres se conduit comme aux « premiers âges de la barbarie ». Les Anglais trouvés en France et dans les pays alliés sont prisonniers de guerre et leurs propriétés confisquées. Tous les produits anglais sont décrétés de bonne prise.

Il faut que l'Angleterre étouffe sous ses marchandises, qu'elle implore la paix pour dégorger ce qu'elle produit, sinon ce sera chez elle le chômage et le désordre.

Napoléon relit le décret. Il le sait, le blocus ne peut réussir que s'il est vraiment continental. Il faut que tout le monde en Europe se plie à ce principe. Mais n'a-t-il pas les moyens d'imposer à tous cette politique, qui, d'ailleurs, il en est convaincu, est dans l'intérêt de l'Europe ?

C'est un défi ? Mais n'en a-t-il pas déjà tant relevé, et avec succès ?

Il se détend. Il se distrait. Il écrit à Joséphine qui a été choquée par la manière dont il a traité, dans les bulletins de la Grande Armée, la reine Louise.

« Tu me parais fâchée du mal que je dis des femmes. Il est vrai que je hais les femmes intrigantes au-delà de tout... J'aime les femmes bonnes, naïves et douces, mais c'est que celles-là seules te ressemblent. »

Il pose la plume. Le pense-t-il vraiment ? Dans le passé, Joséphine... Mais il préfère ne pas se souvenir de ses trahisons, de sa duplicité. Elle est aujourd'hui le plus souvent triste, inquiète, jalouse.

« Sois contente, heureuse de mon amitié, de tout ce que tu m'inspires, lui écrit-il le 22 novembre à 10 heures du soir. Je me déciderai dans quelques jours à t'appeler ici ou à t'envoyer à Paris.