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MAX GALLO

NAPOLÉON

* * *

L'Empereur des rois

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© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 1997

EAN 978-2-221-11914-3

Ce livre a été numérisé avec le soutien du Centre national du Livre

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo

Pour Marielle.

Mon maître n'a pas d'entrailles et ce maître, c'est la nature des choses.

Napoléon à Joséphine, 3 décembre 1806.

Il portait en lui le besoin de transformer la confusion en ordre comme tous les hommes de l'Histoire qui ne sont pas des hommes de théâtre.

André Malraux, Les chênes qu'on abat.

Première partie

Tout a été comme je l'avais calculé

Janvier 1806 - 25 novembre 1806

1.

Il est le Maître.

Depuis ce 2 décembre 1805, ce soleil d'Austerlitz qui s'est levé sur les étangs glacés, là où vont périr noyés les soldats russes, alliés inutiles des troupes autrichiennes déjà vaincues, Napoléon se répète qu'il est le Maître.

Ce samedi 28 décembre 1805, il vient de quitter le château de Schönbrunn, à Vienne, et il se dirige vers Munich. Dans la berline qui roule vers l'abbaye de Melk où il compte passer la nuit, il a enveloppé ses jambes dans une pelisse, mais il ne dort pas.

Il est le Maître.

De temps à autre, il aperçoit par les fenêtres de la voiture les silhouettes des cavaliers de l'escorte. Et les mots de la proclamation qu'il a lancée au jour de la victoire lui reviennent en mémoire, scandent chaque tour de roue : « Soldats, je suis content de vous : vous avez à la journée d'Austerlitz justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire... Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire : J'étais à la bataille d'Austerlitz, pour que l'on vous réponde : Voilà un brave. »

Il est le Maître.

Il lui semble qu'il peut tout. Il a, comme il l'a dit à ses soldats, coupé ou dispersé une armée de cent mille hommes commandée par les empereurs de Russie et d'Autriche. Et le roi de Prusse n'a évité d'être étrillé que parce que la victoire d'Austerlitz l'a convaincu qu'il valait mieux se soumettre sans combattre.

Napoléon est le Maître.

Il a reçu Talleyrand au château de Schönbrunn. Le ministre des Relations extérieures est venu apporter les actes du traité de Presbourg qui chasse l'Autriche d'Allemagne et sanctionne sa défaite.

- Sire, a dit Talleyrand de sa voix aiguë, tout ce que la conquête vous a donné vous appartient, mais vous êtes généreux.

En consultant les clauses du traité, Napoléon a constaté que Talleyrand a, de sa propre initiative, diminué les contributions financières qu'il avait exigées de Vienne.

- Vous m'avez fait, à Presbourg, monsieur de Talleyrand, un traité qui me gêne beaucoup, a lancé Napoléon en jetant le texte du traité sur le sol.

Il est le Maître, voilà ce que Talleyrand aurait dû comprendre. Le ministre, comme souvent, s'est dérobé derrière sa politesse, sa rouerie, ses flatteries, ses arguments.

- Je jouis de l'idée, a-t-il dit, que cette dernière victoire de Votre Majesté la met en état d'assurer le repos de l'Europe et de garantir le monde civilisé contre les invasions des Barbares.

Napoléon a écouté tout en regardant le feu qui, dans les grandes cheminées de Schönbrunn, éclaire les boiseries et les immenses tapisseries.

- Votre Majesté peut maintenant briser la monarchie autrichienne, a repris Talleyrand. Ou la relever. Une fois brisée, il ne serait pas au pouvoir de Votre Majesté d'en rassembler les débris épars et d'en recomposer une seule masse. Or, l'existence de cette masse est nécessaire. Elle est indispensable au salut futur des nations civilisées. Elle est contre les Barbares un boulevard suffisant, comme elle est un boulevard nécessaire.

Napoléon n'a pas répondu. Il est le Maître.

Plus tard, dans sa berline, il songe qu'il n'a pas eu depuis plusieurs années un tel sentiment de souveraineté, de domination de son destin, de pouvoir sur le sort des hommes et la vie des empires. Austerlitz est son vrai sacre impérial, comme, cinq années auparavant, le 14 juin 1800, après la victoire de Marengo, il avait eu la conviction que c'était cette bataille qui lui assurait son pouvoir de Premier consul, que tout eût été compromis s'il avait été vaincu dans les plaines d'Italie. Et qu'eût valu sa couronne d'empereur si, à Austerlitz, les Autrichiens et les Russes avaient défait la Grande Armée ?

Sa couronne eût roulé à terre.

Mais il a remporté la victoire. Il est le Maître. Et, à l'égal d'un Charlemagne, il peut, s'il le veut, modeler l'Europe à sa guise.

Il rêve. Il imagine. La voiture l'emporte vers Munich.

Il arrive dans la capitale de la Bavière le 31 décembre 1805. Il fait froid. Il pleut. La berline longe la façade austère du palais royal, que ne décore qu'une statue de la Vierge. Des soldats de la Garde ouvrent les portes de bronze et, à 1 h 45, la voiture pénètre dans le palais. Elle roule lentement, traverse les quatre cours, contourne les fontaines et s'arrête devant le perron qui donne accès aux appartements.

Des officiers se précipitent. Les dames de compagnie de l'Impératrice se tiennent au haut des marches.

Napoléon descend, regarde autour de lui. Il se souvient de la dernière lettre qu'il a écrite à Joséphine. C'était au palais de Schönbrunn, le 20 décembre. Tout était encore en suspens. L'Autriche examinait les clauses du traité. Napoléon avait tracé pour Joséphine quelques lignes de son écriture hachée :

« Je ne sais ce que je ferai : je dépends des événements ; je n'ai pas de volonté ; j'attends tout de leur issue. Reste à Munich, amuse-toi ; cela n'est pas difficile lorsqu'on a tant de personnes aimables et dans un si beau pays. Je suis, moi, assez occupé. Dans quelques jours je serai décidé.

« Adieu, mon amie, mille choses aimables et tendres. »

Les événements ont tranché. Le traité est signé. Il est le Maître. Il monte l'escalier. On s'incline devant lui. Il saisit dans les regards ce mélange d'admiration et de servilité, et aussi, peut-être, pour la première fois, une sorte d'effroi. Comme si sa victoire si éclatante sur la coalition de Vienne et de Saint-Pétersbourg avait révélé qu'il appartenait à une race sacrée, celle à qui rien ne résiste.

Il parcourt rapidement l'antichambre, la salle d'audience, il emprunte la galerie décorée de tableaux italiens et flamands aux couleurs sombres, puis il entre dans la chambre à coucher. Debout, appuyée au grand lit doré, se tient Joséphine.

Cela fait plusieurs semaines qu'il ne l'a vue. Elle ne lui a même pas écrit. Il l'avait tancée : les belles fêtes de Bade, de Stuttgart, de Munich, lui avaient-elles « fait oublier les pauvres soldats qui vivent couverts de boue, de pluie, de sang ? » lui avait-il écrit. « ... Grande Impératrice, pas une lettre de vous... Daignez, du haut de vos grandeurs, vous occuper un peu de vos esclaves. »