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« Vous ai-je déplu, Madame ? lui écrit-il le 4 janvier. J'avais cependant le droit d'espérer le contraire. Me suis-je trompé ? Votre empressement s'est ralenti tandis que le mien augmente. Vous m'ôtez le repos ! Oh, donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre cœur tout prêt à vous admirer. Est-il si difficile d'envoyer une réponse ? Vous m'en devez deux.

« N. »

Cette impatience en lui se transforme en colère dans l'attente de ces réponses qui ne viennent pas.

Il rabroue Constant qui, le matin, essaie de faire sa toilette, de l'aider à s'habiller. Il va d'un bout de la pièce à l'autre, s'assoit, la main de Constant qui le touche lui est insupportable et il se lève à nouveau.

Il se souvient que deux de ses aides de camp se sont montrés empressés auprès de Marie Walewska lors de la soirée au palais de Blacha. Il convoque Berthier, ordonne que ces deux officiers soient mutés loin de Varsovie : Bertrand, à Breslau, que les troupes commandées par Jérôme Bonaparte viennent de prendre ; et Louis de Périgord, au front, dans l'une des unités qui poursuivent les Russes sur la rivière Passarge.

Il n'accepte pas l'idée que Marie Walewska puisse lui préférer un autre homme ou bien qu'elle se refuse à lui.

Lorsque enfin il la voit s'avancer lors d'un dîner qu'il offre au palais royal, il s'approche d'elle, dit d'un ton brusque :

- Avec des yeux si doux, on se laisse fléchir, on ne se plaît pas à torturer, ou l'on est la plus coquette, la plus cruelle des femmes.

Pourquoi ne répond-elle pas ?

Il ne peut admettre ce silence. Il doit agir, écrire au moins. Toute sa volonté est tendue comme si sa vie même était en jeu. Mettre toute son énergie dans chaque défi qu'il veut relever, c'est cela qu'il appelle vivre.

Il ne joue pas. Jamais. Il est complètement dans ce qu'il fait, dans ce qu'il écrit.

« Il y a des moments où trop d'élévation pèse, et c'est ce que j'éprouve, commence-t-il. Comment satisfaire le besoin d'un cœur épris qui voudrait s'élancer à vos pieds et qui se trouve arrêté par le poids de hautes considérations paralysant le plus vif des désirs ? »

Tout à coup il se sent désarmé.

« Oh ! si vous vouliez !.. reprend-il. Il n'y a que vous seule qui puissiez lever les obstacles qui nous séparent. Mon ami Duroc vous en facilitera les moyens. Oh ! venez ! venez ! Tous vos désirs seront remplis. »

Il hésite. Elle est patriote, lui a-t-on répété. Il faut qu'elle se souvienne de qui il est, de ce qu'il peut. Il écrit :

« Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre cœur.

« N. »

Il sait que tout ce qui compte à Varsovie la pousse vers lui. Peu importent les moyens. Il faut qu'elle vienne. Il la veut.

Quand, enfin, à la mi-janvier, il la retrouve dans sa chambre du château royal, il la serre avec fougue et il s'indigne d'abord qu'elle se refuse, qu'elle veuille s'enfuir. Comme si elle n'avait pas imaginé ce qu'il attendait d'elle. Quel jeu est donc le sien ? Quel prix veut-elle qu'il paie ?

Elle pleure, se confie. Il parle à son tour. Il raconte. Il séduit. Il a la sincérité d'un jeune homme. Et cette innocence retrouvée pour quelques heures, cette liberté, ces confidences désintéressées l'émeuvent. Les heures passent. Elle repart sans qu'il ait cherché à la forcer.

« Marie, ma douce Marie, ma première pensée est pour toi, mon premier désir est de te revoir », écrit-il dès l'aube.

Ce sont des mots perdus depuis des années, depuis la campagne d'Italie, quand il écrivait à Joséphine, qu'il l'implorait, qui surgissent à nouveau, clairs, frais.

« Tu reviendras, n'est-ce pas ? Tu me l'as promis. Sinon l'aigle volerait vers toi ! Je te verrai à dîner, l'ami le dit. Daigne donc accepter ce bouquet : qu'il advienne un lien mystérieux qui établisse entre nous un rapport secret au milieu de la foule qui nous environne. Exposés aux regards de la multitude, nous pourrons nous entendre. Quand ma main pressera mon cœur, tu presseras ton bouquet ! Aime-moi, ma gentille Marie, et que ta main ne quitte jamais ton bouquet !

« N. »

Elle est à lui, puisqu'elle revient. Il ne peut se contenter de cette sentimentalité platonique. Elle a refusé la parure de bijoux qu'il lui a fait porter ? Elle n'est pas quitte. Il faut maintenant qu'elle cède. N'a-t-il pas montré qu'il l'estimait ? Qu'elle n'est pas pour lui l'une de ces femmes qu'on prend et qu'on renvoie ?

Il s'emporte, jette sa montre à terre, la piétine. Il est aussi cet homme-là, qu'on ne peut éconduire.

Elle cède enfin.

Mais cela ne lui suffit pas. Ce corps jeune qu'il a pris, il veut qu'il se donne. « Aime-moi, Marie, aime-moi. »

Il la garde près de lui. Elle est sienne. Sa douceur et sa tendresse, sa soumission le comblent. Il ne se lasse pas de la regarder. Elle est si claire, si jeune. Il voit en elle une image de lui qu'il avait perdue.

Lorsqu'elle s'absente, il la rejoint.

« Je m'invite, ma douce Marie, pour 6 heures. Fais-nous servir dans ton boudoir et ne fais rien de spécial. »

Elle sera là et cela suffit.

Tout est à nouveau en ordre en lui. Il a atteint son but. Il peut à nouveau, calmement, avec sa lucidité aiguë, dresser son plan de bataille.

Ce mois de janvier 1807, alors que Ney et Bernadotte livrent les premiers combats contre les Russes au nord, aura été une période d'attente.

Il fallait aussi pour cela qu'une passion nouvelle l'habite.

Maintenant il revient aux cartes, l'esprit libre. Il se sent régénéré par cet amour, ce regain de jeunesse, Marie si désintéressée.

Il va quitter Varsovie pour envelopper les troupes de Bennigsen dans une boucle dont Eylau et Friedland, au nord, seraient le centre. Il compte gagner Willemberg, au sud de ces deux villes.

Durant tout ce mois il a, jour après jour, dû répondre à Joséphine, intuitive, pressante et sans doute informée déjà.

Elle a utilisé tous les arguments pour qu'il accepte de la recevoir à Varsovie. Mais il n'a pas cédé.

« Pourquoi des larmes, du chagrin ? N'as-tu donc plus de courage ? » lui a-t-il demandé.

Il faut qu'elle « montre du caractère et de la force d'âme ». « J'exige que tu aies plus de force, lui a-t-il répété. L'on me dit que tu pleures toujours : fi ! que cela est laid !.. Sois digne de moi. Une impératrice doit avoir du cœur ! »

Il est si distant d'elle, maintenant. « Adieu, mon amie », lui dit-il.

Enfin elle est rentrée à Paris, mais elle pleure toujours.

Il n'aime pas cette douleur qu'elle affiche.

Et, dans la berline qui le conduit de Varsovie à Willemberg, il se met à écrire pour qu'elle comprenne ce qu'il attend d'elle.

« Mon amie, ta lettre du 20 janvier m'a fait de la peine ; elle est trop triste. Voilà le mal de ne pas être un peu dévote ! Tu me dis que ton bonheur fait ta gloire : cela n'est pas généreux, il faut dire : le bonheur des autres fait ma gloire ; cela n'est pas conjugal, il faut dire : le bonheur de mon mari fait ma gloire ; cela n'est pas maternel, il faudrait dire : le bonheur de mes enfants fait ma gloire ; or, comme les peuples, ton mari, tes enfants ne peuvent être heureux qu'avec un peu de gloire, il ne faut pas tant en faire fi ! »

Il s'arrête. Il n'aime pas se relire. La pensée court et l'élan justifie l'idée. On ne revient pas sur ce qui a été pensé, fait, écrit.

Il sent bien qu'elle ne va pas aimer cette lettre. Mais le temps entre eux a creusé son sillon. C'est la nature des choses.

Il reprend :

« Joséphine, votre cœur est excellent, et votre raison faible ; vous sentez à merveille, mais vous raisonnez moins bien. »