Выбрать главу

Peut-être après la bataille d'Eylau l'a-t-on cru affaibli, hésitant, prêt à céder.

Il galope dans la campagne autour d'Osterode pour reprendre son corps en main.

Peut-être en effet a-t-il été atteint par cette sombre victoire, si sanglante. Mais quel serait le sens de tant de sacrifices s'il reculait maintenant ? Il faut au contraire tenir fort les rênes.

Il rentre au château d'Ordenschloss. Les dépêches de Paris viennent d'arriver. Il commence par les rapports des espions de police. On murmure pour la paix, on critique dans les salons. Et jusque dans celui de l'Impératrice. Il écrit rageusement à Joséphine :

« J'apprends, mon amie, que les mauvais propos que l'on tenait dans ton salon à Mayence se renouvellent : fais-les donc taire. Je te saurais fort mauvais gré si tu n'y portais pas remède. Tu te laisses affliger par les propos de gens qui devraient te consoler. Je te recommande un peu de caractère et de savoir mettre tout le monde à sa place...

« Voilà, mon amie, le seul moyen de mériter mon approbation. Les grandeurs ont leurs inconvénients : une impératrice ne peut aller là où va une particulière.

« Mille et mille amitiés. Ma santé est bonne. Mes affaires vont bien.

« Napoléon »

Amitié.

Il la blesse par ce mot. Il le sait. Mais comment ne pas l'employer alors qu'elle se refuse à comprendre, qu'elle répète maintenant dans ses lettres qu'elle veut mourir ?

« Tu ne dois pas mourir, reprend-il, tu te portes bien, et tu ne peux avoir aucun sujet raisonnable de chagrin.

« Tu ne dois pas penser à voyager cet été ; tout cela n'est pas possible. Tu ne dois pas courir les auberges et les camps. Je désire autant que toi te voir et même vivre tranquille.

« Je sais faire autre chose que la guerre, mais le devoir passe avant tout. Toute ma vie j'ai tout sacrifié, tranquillité, intérêt, bonheur, à ma destinée.

« Adieu, mon amie.

« Napoléon »

Si je ne tiens pas les rênes, ils se laissent aller.

Il ouvre une dépêche, la jette à terre.

« Junot m'écrit toujours avec du grand papier de deuil, qui me donne des idées sinistres quand je reçois ses lettres ! s'exclame-t-il. Faites-lui donc connaître que cela est contraire à l'usage et au respect et qu'on n'écrit jamais à un supérieur avec le caractère de deuil d'une affection particulière. »

Ont-ils oublié qui je suis ?

Ils se relâchent. Ils parlent. Cette madame de Staël s'est rapprochée de Paris alors qu'elle doit s'en tenir éloignée.

« Cette femme continue son métier d'intrigante... C'est une véritable peste... Je me verrai forcé de la faire enlever par la gendarmerie. Ayez aussi l'œil sur Benjamin Constant... »

Qu'imaginent-ils donc ? Que je vais laisser faire ?

Dans l'unique pièce qu'il occupe au château d'Ordenschloss parce que c'est l'une des rares à posséder une cheminée, il voit entrer le colonel Kleist, envoyé du roi de Prusse. Il écoute l'officier. Il l'observe. Cet homme ne veut que gagner du temps pour la Prusse et la Russie.

Napoléon est assis en face de Kleist. Il veut la paix, dit-il, même avec l'Angleterre. « J'aurais horreur de moi d'être la cause de l'effusion de tant de sang. »

Kleist ne peut dissimuler une expression de joie.

Lui aussi doit imaginer que je suis prêt à céder.

Napoléon se lève, tourne le dos au colonel Kleist.

Si les puissances ne veulent pas la paix, dit-il, « je suis décidé à faire encore pendant dix ans la guerre. Je n'ai que trente-sept ans. J'ai vieilli sous les armes et dans les affaires ».

Telle est ma destinée.

8.

Napoléon, les mains derrière le dos, parcourt les pièces de cette grande demeure entourée d'un parc immense que prolongent les forêts de sapins. Derrière les arbres, il devine la petite localité de Finckenstein, qu'il vient de traverser, arrivant du château d'Osterode par la route de Marienwerder.

Il sent que cette maison lui convient. Les meubles sont peu nombreux, la décoration, composée de tableaux représentant des scènes de batailles et de quelques tapisseries, est austère, bien dans le goût prussien.

Il lui plaît que cette demeure ait été construire par un comte de Finckenstein, gouverneur de Frédéric II, et qu'elle appartienne aujourd'hui au comte Kohna, grand maître de la Maison du roi de Prusse.

Il établira ici son quartier général jusqu'à ce que les hostilités reprennent, dit-il à Duroc.

C'est au grand maréchal du palais de faire appliquer une étiquette stricte, que l'Empereur désire voir respectée par tous.

Napoléon va jusqu'à l'une des fenêtres de la pièce d'angle qu'il a choisie pour cabinet de travail.

Il veut, autour de lui, dit-il, un état-major réduit, mais toute l'infanterie de la Garde. Elle s'installera dans le parc du château. Qu'elle construise des baraques. Il veut de l'ordre. Il veut profiter de cette période d'accalmie avant l'affrontement, inévitable, puisque les troupes de Bennigsen n'ont pas été détruites, pour redonner toutes ses forces à la Grande Armée. Parade tous les jours devant la maison, dans le parc, dit-il. Manœuvres dans la campagne voisine. Il faut faire venir des approvisionnements, acheter des chevaux par milliers en Allemagne, reconstituer les régiments de cavalerie. Il les passera en revue. Il veut tout voir.

Il convoque déjà le chirurgien des armées Percy. Il dit à Duroc et à ses aides de camp qu'il ne tolérera plus que les blessés se traînent sur les routes. Il a, dans les heures qui ont suivi Eylau, abandonné sa voiture pour aider à leur transport. Il faut donner des moyens au service de santé.

Sa tête bouillonne d'idées. Il a hâte de se mettre au travail. Il est à l'aise ici. Il faut que Marie Walewska vienne y séjourner avec lui. Il trouvera, après ces mois sombres, cet hiver de froid et de sang, le calme nécessaire à l'organisation de l'avenir, à la préparation de la bataille qui mettra enfin les Russes et les Prussiens dans l'obligation de conclure la paix. Et, eux vaincus, que pourra l'Angleterre, sinon s'incliner, étranglée par le blocus continental ?

Il est gai, pour la première fois depuis la bataille d'Eylau. Il descend dans le jardin, s'y promène longuement en compagnie de Murat qui vient d'arriver à Finckenstein et qui, comme à son habitude, se pavane dans un uniforme extravagant, bonnet et gilet de fourrure, plumet. Napoléon l'écoute avec bienveillance. Murat a été héroïque et le sera encore. Qu'il entraîne ses régiments et qu'il se prépare.

Le temps est agréable en ce début d'avril 1807. On entend les chants d'oiseaux malgré les coups de masse des sapeurs charpentiers qui ont commencé de bâtir une petite ville de planches en avant de la forêt, pour les cantonnements des régiments - deux de grenadiers, deux de chasseurs et un de fusiliers.

Il chassera dans la forêt. Il respire longuement. Il va faire de Finckenstein le centre, la tête et le cœur de l'Empire.

Il rentre dans le château.

De part et d'autre de la grande porte en bois ouvragé, des grenadiers montent la garde. Il dit à Duroc de s'enquérir au plus vite du lieu où se trouve Marie Walewska afin... Il n'a pas besoin de conclure. Duroc s'incline et s'éloigne.

Dans son cabinet de travail, Napoléon écrit sa première lettre. C'est le jeudi 2 avril 1807.

« Je viens de porter mon quartier général à Finckenstein, dit-il à Joséphine. C'est un pays où le fourrage est abondant et où ma cavalerie peut vivre. Je suis dans un très beau château, qui a des cheminées dans toutes les chambres, ce qui m'est fort agréable, me levant beaucoup la nuit. J'aime voir le feu. Ma santé est parfaite. Le temps est beau, mais encore froid. »