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- Je dirais à l'auteur, s'il était devant moi : Vous n'êtes pas de ce pays-ci, monsieur. Vos admirations, vos vœux sont ailleurs. Vous ne comprenez ni mes intentions ni mes actes.

Il lève les bras, retourne vers la croisée.

- Eh bien, si vous êtes si mal à l'aise en France, sortez de France, sortez, monsieur, car nous ne nous entendrons pas, et c'est moi qui suis le maître ici. Vous n'appréciez pas mon œuvre et vous la gâteriez si je vous laissais faire. Sortez, monsieur, passez la frontière et laissez la France en paix et en union, sous un pouvoir dont elle a tant besoin.

Ce pouvoir, c'est lui qui le tient entre ses mains. Il s'immobilise devant la carte qu'il a fait dresser et qui représente les nouvelles frontières de l'Empire : cent trente départements, de Hambourg à l'Adriatique, d'Amsterdam à Rome. C'est lui qui règne sur les quarante-quatre millions d'habitants.

Voilà ce dont mon fils héritera, et peut-être plus encore, puisqu'il sera roi de Rome et qu'un jour il pourra gouverner la péninsule, quand le royaume d'Italie dont je suis le souverain lui reviendra et qu'il pourra peut-être annexer le royaume de Naples.

Et qui sait, pourquoi pas, il étendra son empire plus loin encore, sur la Confédération du Rhin, et il aura pour allié le grand-duché de Varsovie, dont peut-être, un jour, un autre de mes fils sera le souverain.

Il pense souvent à Alexandre Walewski.

Il se glisse dans la maison de la rue de la Victoire en compagnie de Duroc. Il a voulu que Marie Walewska soit présentée à la cour, à Marie-Louise même. Et il a aimé, fût-ce pour lui seul et quelques personnes dans le secret, que ses vies soient ainsi rassemblées.

Mais Marie-Louise doit ignorer tout de cela. Et comment la choquer, alors qu'elle porte mon enfant ?

Elle veut qu'à chaque instant il soit présent. Et il accepte.

Le temps de ces premiers mois de l'année 1811 est froid et pluvieux. Il ne quitte presque plus les Tuileries. Il aime céder à ses caprices, la surprendre par des présents, des parures et des boucles. Il la sent craintive devant l'accouchement. Il la rassure, l'entoure souvent de ses bras, malgré l'étiquette.

Le soir, lors des représentations théâtrales qui sont données dans les petits appartements, il la voit somnoler, le corps lourd.

Il est ému. C'est la première fois qu'il observe une femme grosse de lui.

Le mardi 19 mars, vers 20 heures, il attend avec la cour, dans la salle de spectacle des Tuileries. Il a chaud. Il s'approche du grand-duc de Würzburg et du prince Eugène, qui viennent d'arriver à Paris pour être les témoins de la naissance.

Il s'impatiente, quand tout à coup la duchesse de Montebello, veuve du maréchal Lannes, dame d'honneur de Marie-Louise, apparaît. Il ne l'aime pas. Il l'a nommée en souvenir de Lannes, et il a chaque jour découvert qu'elle tente de semer la discorde autour de Marie-Louise, qu'elle est une femme avide, jalouse, hostile. Mais Marie-Louise s'est entichée d'elle.

Il entend Mme de Montebello annoncer avec solennité que Marie-Louise a ses premières douleurs.

Il ordonne aux hommes présents de revêtir leurs uniformes. Il faut que cette naissance se déroule conformément à l'étiquette qu'il a prévue. Bientôt, les salons sont remplis par plus de deux cents personnes.

Il entre dans la chambre envahie par les six médecins. Il n'a jamais éprouvé cela, cette tendresse pour une femme qui souffre de la vie qu'elle porte. Il lui prend le bras, la soutient, marche à petits pas avec elle. Il la sent se calmer. Il l'aide à se coucher, à s'endormir.

Il traverse les salons où les dignitaires somnolent, ordonne qu'on serve à souper. Il a chaud. Il prend un bain. Il voudrait agir, et cette impuissance à laquelle il est réduit l'irrite. Il dicte toute la nuit.

À 8 heures, alors que le jour est déjà clair, le docteur Dubois se précipite, éperdu, pâle.

Il est tout à coup glacé.

- Eh bien, est-ce qu'elle est morte ? lance-t-il. Si elle est morte, on l'enterrera.

Il n'éprouve rien. Il est un bloc de pierre. Il a l'habitude de l'imprévisible et de la mort.

Dubois balbutie. L'enfant se présente mal. On a envoyé chercher Corvisart. L'Empereur peut-il descendre auprès de l'Impératrice ?

- Pourquoi voulez-vous que je descende ? Y a-t-il du danger ?

Il dévisage Dubois, qui semble avoir perdu tout contrôle de lui-même. Dubois murmure qu'il faudrait utiliser les fers, qu'il a déjà délivré des femmes dont les enfants se présentaient ainsi.

- Eh bien, comment avez-vous fait ? Je n'y étais pas ; procédez dans celui-ci comme dans les autres ; prenez votre courage à deux mains.

Il tape sur l'épaule de Dubois, le pousse hors de son cabinet de travail.

- Et supposez que vous n'accouchez pas l'Impératrice, mais une bourgeoise de la rue Saint-Denis.

Avant d'entrer dans la chambre de l'Impératrice, Dubois s'arrête.

- Puisque Votre Majesté le permet, je vais le faire, dit-il.

Le médecin hésite, puis murmure qu'il faudra peut-être choisir l'un ou l'autre.

- La mère, c'est son droit, répond Napoléon.

Ainsi peut-être n'aura-t-il pas ce fils qu'il a tant espéré. Il saisit la main de Marie-Louise. Elle crie, se tord. Il voit approcher les docteurs Corvisart, Yvan, Bourdier. Elle hurle pendant que Dubois prépare les fers.

Il ne veut pas rester ainsi, spectateur impuissant.

Il sent la sueur qui coule sur son front, dans son cou. Il serre les poings. Il a dans la bouche un goût âcre. Il voudrait hurler de rage.

Il s'enferme dans le cabinet de toilette. Il entend les hurlements de Marie-Louise. La porte s'ouvre. Il essaie de lire sur le visage du docteur Yvan. Le médecin murmure que l'Impératrice est délivrée.

Il voit sur le tapis de la chambre le corps de l'enfant qui gît, inerte. Mort.

Il saisit la main de Marie-Louise, l'embrasse. Il ne regarde plus. C'est ainsi.

Il n'aura pas de fils.

Il reste immobile en caressant le visage de Marie-Louise. Il a les yeux fixes.

Tout à coup, ce vagissement.

Il se redresse.

L'enfant est enveloppé de linges chauds sur les genoux de Mme de Montesquiou, qui continue de le frictionner, puis lui introduit dans la bouche quelques gouttes d'eau-de-vie.

L'enfant crie à nouveau.

Napoléon le prend, le soulève. C'est comme le soleil qui surgit un matin de victoire.

Il a un fils.

Il est 9 heures du matin, ce mercredi 20 mars 1811.

Il entend les coups de canon puis les cris qui montent de la place du Carrousel.

Il ne peut parler. Il signe l'acte de naissance de Napoléon, François, Joseph, Charles, puis il va vers la croisée. Il aperçoit les cortèges qui convergent. Il voit les mains qui s'agitent.

Il cache son visage derrière le rideau. Il pleure.

Il veut montrer l'enfant à la foule et à l'armée. Ce roi de Rome, cet enfant que porte Mme de Montesquiou, et qui est couché sur un coussin de satin blanc recouvert de dentelles, sera leur souverain.

En attendant l'ondoiement qui se tiendra en fin de journée, il dicte une lettre pour l'empereur d'Autriche.

« L'Impératrice, fort affaiblie par les douleurs qu'elle avait essuyées, montra jusqu'à la fin le courage dont elle avait donné tant de preuves... L'enfant se porte parfaitement bien. L'Impératrice est aussi bien que le comporte son état, elle a déjà un peu dormi et pris quelque nourriture. Ce soir à 8 heures, l'enfant sera ondoyé. Ayant le projet de ne le faire baptiser que dans six semaines, je charge le comte Nicolaï, mon chambellan, qui portera cette lettre à Votre Majesté, de lui en porter une autre pour la prier d'être le parrain de son petit-fils.

« Votre Majesté ne doute point que, dans la satisfaction que j'éprouve de cet événement, l'idée de voir perpétuer les liens qui nous unissent ne l'accroisse considérablement. »