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Il rentre. Il aperçoit Marie-Louise, assise dans le parc. Elle paraît lasse. Il a vu Corvisart, qui a déconseillé vivement une seconde grossesse. Est-il possible qu'une si jeune femme, si vigoureuse, soit à ce point marquée par l'accouchement ? Il s'assied près d'elle, la cajole. Mme de Montesquiou s'approche avec le « petit roi ».

Mon fils.

Il le prend dans ses bras, joue avec lui quelques instants, lui fait boire quelques gouttes de chambertin, rit de ses grimaces. Tout à coup, il pense à ces années qui le séparent du moment où ce fils sera en mesure de régner.

Il tend l'enfant à Mme de Montesquiou.

Je dois protéger cet Empire dont mon fils héritera. C'est cela, ma tâche.

Il parle à voix basse à Marie-Louise. Il faut que l'Impératrice comprenne qu'elle a, elle aussi, des devoirs, qu'elle doit - et elle le peut, puisqu'elle le doit - l'accompagner dans ce voyage qu'il va entreprendre dans l'ouest de la France, afin d'inspecter le port de Cherbourg, de vérifier que la flotte dont il a ordonné la reconstruction sera, un jour proche, capable d'affronter celle de l'Angleterre.

Il n'écoute pas les soupirs de Marie-Louise. Il ne veut pas tenir compte de sa fatigue. On quittera Rambouillet le mercredi 22 mai à 5 heures, dit-il. C'est cela, le métier de souverain.

Il le fait. Elle est Impératrice. Donc, qu'elle accepte de se plier à ses devoirs. Quand il voit son visage ennuyé, il se souvient de Joséphine qui savait écouter les compliments des notables, sourire, et repartir dans la berline pour une nouvelle course de plusieurs heures.

Le premier jour, on roule près de dix-neuf heures. Les étapes suivantes sont de douze heures. On passe à Houdan, Falaise et Caen. On séjourne à Cherbourg. Il veut visiter les navires. À bord du Courageux, alors qu'elle se repose, il fait ouvrir le feu par tous les canons de la frégate. Il la porte en riant près d'un sabord.

- Veux-tu que je te jette à la mer ? lui lance-t-il alors que les officiers les regardent avec étonnement.

Elle n'est qu'une jeune femme, son épouse, qui doit suivre son mari, accepter le rythme qu'il lui impose.

Il se tient debout face à la mer, contemplant le port qu'il a fait creuser et où son escadre pourra venir se mettre à l'abri quand elle aura affronté les navires anglais. Car Cherbourg sera la pointe avancée du Continent contre l'éternelle ennemie, l'Angleterre.

Il se rend au château de Querqueville, l'inspecte alors que Marie-Louise le suit lentement, épuisée. Ici, il établira l'un de ses quartiers généraux. Puis il repart pour Saint-Cloud, où il arrive le mardi 4 juin à 13 heures.

Il regarde Maire-Louise se diriger vers ses appartements. Il doit maintenant présider un Conseil des ministres, et demain il recevra Caulaincourt, qui arrive de Saint-Pétersbourg.

Il reste un moment immobile dans la galerie, suivant des yeux la silhouette de Marie-Louise. Il se sent plein d'énergie.

À Caen, alors qu'elle se reposait du voyage, il a eu le temps de retrouver Mme Pellapra, une maîtresse d'hier qui s'offre encore, qui lui parle d'Émilie, cette enfant dont il serait le père.

On ne refuse rien à la vie.

Il est époux et père. Amant. Conquérant toujours. Empereur.

Il fait entrer dans son cabinet de travail de Saint-Cloud, à 11 heures, ce mercredi 5 juin, Caulaincourt, duc de Vicence. Il doute de cet homme. Alexandre Ier l'a trop choyé ; de plus, Caulaincourt est proche de Talleyrand. C'est un grand écuyer dévoué, bon connaisseur de chevaux, mais un ambassadeur influençable.

Il l'observe avec sévérité. Mais l'homme a le courage de ses convictions.

- Les Russes veulent me faire la guerre, me forcer à évacuer Dantzig. Ils croient me mener comme leur roi de Pologne !

Napoléon tape du talon.

- Je ne suis pas Louis XV, le peuple français ne souffrirait pas cette humiliation.

Il écoute Caulaincourt défendre Alexandre.

- Vous êtes donc amoureux d'Alexandre !

- Non, Sire, mais je le suis de la paix !

- Et moi aussi, reprend Napoléon. Mais la Russie a rompu l'alliance parce que le système continental la gêne. Vous êtes dupe des raisonnements d'Alexandre parce qu'il les enveloppe de cajoleries.

Il sourit.

- Moi, je suis un vieux renard, je connais les Grecs.

Il s'approche de Caulaincourt.

- Quel parti prendriez-vous ?

- Le maintien de l'alliance, Sire ! C'est le parti de la prudence et de la paix.

Comment Caulaincourt ne voit-il pas que le tsar a rompu avec l'esprit de Tilsit ?

- Vous parlez toujours de la paix ! s'exclame Napoléon. La paix n'est quelque chose que quand elle est durable et honorable. Je n'en veux pas une qui ruine mon commerce comme a fait celle d'Amiens. Pour que la paix soit possible et durable, il faut que l'Angleterre soit convaincue qu'elle ne trouvera plus d'auxiliaires sur le Continent. Il faut donc que le colosse russe et ses hordes ne puissent plus menacer le Midi d'une irruption.

Caulaincourt me parle encore de la Pologne que je voudrais rétablir !

- Je ne veux pas la guerre ! Je ne veux pas la Pologne, mais je veux que l'alliance me soit utile, et elle ne l'est plus depuis qu'on reçoit les neutres.

Napoléon s'éloigne. Caulaincourt évoque les propos d'Alexandre. « Notre climat, notre hiver feront la guerre pour nous, a dit le tsar. Les prodiges ne s'opèrent chez vous que là où est l'Empereur, et il ne peut pas être partout et des années loin de Paris. »

Il pense aux marécages de Pologne, à la bataille d'Eylau. À la boue et à la neige.

Je ne veux pas la guerre.

- Alexandre est faux et faible, dit Napoléon. Il a le caractère grec. Il est ambitieux. Il veut la guerre, puisqu'il se refuse à tous les arrangements que je propose.

Il s'interrompt.

- C'est le mariage avec l'Autriche qui nous a brouillés.

Caulaincourt secoue la tête.

- La guerre et la paix sont entre vos mains, Sire, dit-il. Je supplie donc Votre Majesté de réfléchir, pour son propre bonheur et pour celui de la France, qu'elle va choisir entre les inconvénients de l'une et les avantages bien certains de l'autre.

- Vous parlez comme un Russe, monsieur le duc de Vicence.

Napoléon tourne le dos à Caulaincourt.

Qui peut empêcher le mouvement des choses ?

Napoléon s'interroge quand il entend, quelques jours plus tard, le dimanche 9 juin, les salves d'artillerie qui saluent le départ du cortège impérial vers Notre-Dame.

Il pense aux canons qui roulent en ce moment sur les chemins d'Allemagne pour renforcer les troupes. Il s'assied aux côtés de Marie-Louise dans le carrosse qui a servi au sacre. Il voit, au moment où la voiture s'ébranle, le carrosse dans lequel se tient Mme de Montesquiou portant le roi de Rome sur ses genoux.

Il regarde la foule silencieuse, énorme, massée derrière la haie des troupes. Il est soucieux. Personne n'applaudit, comme si cette foule était écrasée par la splendeur du cortège qui conduit le roi de Rome vers les fonts baptismaux.

Le peuple imagine-t-il comme moi des lendemains de guerre ?

Napoléon avance lentement dans la nef où se pressent les dignitaires. Lorsque son fils passe devant lui, il arrête Mme de Montesquiou, prend l'enfant, l'embrasse trois fois et l'élève à bout de bras au-dessus de sa tête.

Alors les acclamations déferlent : « Vive l'Empereur ! Vive le roi de Rome ! »

Il est joyeux quelques instants.

Dans le carrosse qui le conduit, après le baptême, de Notre-Dame à l'Hôtel de Ville, il retrouve son inquiétude.

Les chevaux de l'attelage piaffent, hennissent, sont difficiles à maîtriser.