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Napoléon hésite. Un procès fait à Talleyrand serait en effet interprété comme le signe de troubles au sommet de l'Empire.

Il suffira une fois encore de dire mon mépris et ma colère à ce personnage.

Il convoque Talleyrand.

- Vous voulez me trahir ! Vous me trahissez ! crie-t-il.

Mais Talleyrand récuse les accusations, regarde à peine les lettres saisies, prétend qu'elles ne sont pas écrites par lui, mais fabriquées pour le perdre.

- Je vous connais, hurle Napoléon. Je sais de quoi vous êtes capable, vous êtes l'homme du monde qui a le plus volé !

Et maintenant, les Bourbons !

Napoléon le chasse de son cabinet. Il l'entend dire aux dignitaires qui attendent dans la pièce voisine :

- L'Empereur est charmant, ce matin !

Mais l'homme est atteint. Il s'alite, victime d'une attaque.

Que pleurent ceux qu'il sert, et d'abord Alexandre Ier, qui se croit désormais investi d'une mission divine pour m'abattre, libérer l'Europe !

Et qui l'a convaincu de ces billevesées ? Des émigrés, qui ont la haine de ce qui est nouveau, qui veulent un Empereur de la Réaction, à dresser contre moi. Les informateurs citent les noms de Mme de Staël, dont j'ai refusé les services et même l'admiration, de Joseph de Maistre, de Stein, le Prussien.

Tous autour du tsar, pour le pousser plus loin, jusqu'à Paris. Les Anglais paient.

Et Bernadotte, par jalousie et dans l'espoir de me succéder, se joint à la coalition. Il ne faut pas que l'Autriche y tombe.

Marie-Louise vient vers lui en tenant par la main le petit roi.

Elle est de plus en plus tendre. Elle ne veut pas qu'il s'absente, même pour se rendre dans son cabinet de travail. Et il doit travailler au milieu de la nuit. En public, elle est souvent maladroite, sèche, même quand il est près d'elle lors des cérémonies officielles, à l'Hôtel des Invalides ou bien au Pensionnat des jeunes filles de la Légion d'honneur. Elle ne sait ni sourire ni donner. Elle ne trouve pas les mots qui conviennent.

Mais, en tête à tête, elle est douce, aimante, rieuse. Et elle est la fille de François Ier, empereur d'Autriche. François Ier oserait-il faire la guerre au mari de sa fille ? À cet Empire dont peut hériter son petit-fils ?

Napoléon lui écrit. « Je n'ai jamais rencontré l'armée russe que je ne l'aie battue. Ma Garde n'a jamais donné. Elle n'a pas tiré un coup de fusil et n'a pas perdu un seul homme devant l'ennemi. Mais dans la terrible tempête de froid le bivouac est devenu insupportable à mes gens ; beaucoup s'éloignaient le soir pour chercher des maisons et des abris ; je n'avais plus de cavalerie pour les protéger. Les cosaques en ont ramassé plusieurs milliers. »

Voilà ce qu'il faut que François Ier pense de la campagne de Russie. Et n'est-il pas vrai que j'ai toujours vaincu les Russes et qu'à la prochaine campagne, avec ma nouvelle armée, je chasserai l'ennemi au-delà du Niémen ?

« Quant à la France, continue à dicter Napoléon, il est impossible d'en être plus satisfait que je le suis : hommes, chevaux, argent, on m'offre tout. Mes finances sont en bon état.

« La conséquence de tout ceci doit être que je ne ferai aucune démarche pour la paix.

« Votre Majesté connaît à présent mes affaires et mes vues comme moi-même. Je suppose que cette lettre et les sentiments que je confie à Votre Majesté resteront entre Elle et moi ; mais Elle peut, en conséquence de la connaissance qu'Elle a de mes dispositions, agir comme Elle le jugera convenable dans l'intérêt de la paix. »

Si l'Autriche voulait jouer l'intermédiaire entre les Russes et moi, pourquoi pas ?

Mais qui peut être sûr des Autrichiens ? Ils basculeront comme les Prussiens, si je faiblis. Je dois me battre. Mon glaive est mon armée. Et mon bouclier Marie-Louise de Habsbourg et le roi de Rome, et le sang autrichien qui coule dans leurs veines.

Napoléon convoque Régnaud de Saint-Jean-d'Angély, secrétaire d'État à la Famille impériale. Il veut, dit-il, qu'on recherche tous les ouvrages traitant des formes suivies depuis Charlemagne lorsqu'il a été question du couronnement de l'héritier présomptif.

Quel meilleur moyen de préparer l'avenir, que d'instituer un Conseil de régence, de faire par avance du roi de Rome un héritier couronné ? Et François Ier aura-t-il alors l'audace sacrilège de faire la guerre à sa fille et à son petit-fils ?

Mais la guerre aura lieu contre les Russes, et sans doute contre les Prussiens, alors Napoléon chasse, parce qu'il veut garder à son corps, dont il sent qu'il s'alourdit, son agilité, sa résistance. Le froid est très vif, ce mardi 19 janvier 1813, dans les forêts autour de Grosbois, le château de Berthier.

Le maréchal est rentré de Pologne, accablé. Il s'accuse d'avoir appuyé le choix de Murat comme chef de l'armée. Il eût fallu choisir Eugène de Beauharnais dès le début, dit-il. Maintenant, que peut le vice-roi d'Italie ? L'armée ne compte plus qu'une trentaine de milliers d'hommes, tout ce qui reste des plus de quatre cent mille qui franchirent le Niémen en juin 1812. Berthier se lamente. Napoléon le morigène. À quoi sert-il de vouloir refaire le passé ? Les choses qui ont eu lieu sont sans remède. Quant à leurs conséquences, il faut les subir.

- C'est un torrent, dit-il, il faut le laisser couler. Cela s'arrêtera de soi-même dans quelques jours.

Il veut à la fois accepter ce que l'on ne peut refuser, et changer ce qui peut l'être.

Dans la forêt de Grosbois, tout à coup, il tourne bride. On va chevaucher jusqu'au château de Fontainebleau. Il a eu cette idée il y a déjà quelques jours. Mais il ne voulait en avertir personne.

La plupart des pièces du château sont vides. On a enlevé les meubles en l'absence de l'Empereur. Les salons et les chambres sont glacés, sans feu. Les domestiques sont rares. Mais toute une aile du château est illuminée. C'est là que vit le pape Pie VII depuis des mois.

C'est lui qu'il veut surprendre, entourer de signes d'affection et de respect, afin de parvenir à un accord, un nouveau Concordat.

Napoléon va vers lui dans les longues galeries froides et l'embrasse.

Il faut aboutir à un accord. Je ne quitterai le château que lorsque j'y serai parvenu.

Il veut apparaître aux yeux de l'Europe et de l'opinion non pas comme l'Antéchrist que condamnent les souverains chrétiens, mais comme un empereur allié du pape.

Marie-Louise, à Fontainebleau, dans le cercle restreint qui se réunit chaque soir malgré le froid des appartements pour « le jeu et un peu de musique », est heureuse. Mais elle ne doit pas seulement être l'épouse aimante. Il faut qu'elle écrive à François Ier. Le lundi 25 janvier, Napoléon veut que le Concordat soit signé dans les appartements de l'Impératrice.

Il observe Marie-Louise. Elle a une expression radieuse. Il lit la lettre qu'elle adresse à son père :

« Nous sommes depuis six jours à Fontainebleau, où l'Empereur a arrangé aujourd'hui les affaires de la chrétienté avec le pape. Le pape paraît très content. Il est très gai et en train depuis ce matin de bonne heure, et a signé le traité il y a un quart d'heure. J'arrive justement de chez lui, je l'ai trouvé très bien portant. Il a une très jolie figure, très intéressante ; je suis persuadée que vous apprendrez avec autant de plaisir que moi la nouvelle de cette réconciliation. »

Napoléon jubile. Bien sûr, cet accord n'est considéré par le pape que comme un avant-projet devant être approuvé par le Sacré Collège des Cardinaux. Mais il faut prendre de vitesse cette assemblée.