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Quand il rentre dans son cabinet de travail, les dépêches et les lettres sont déposées sur la table.

Il les lit tout en marchant, parfois il pousse un rugissement de fureur. Il dicte une lettre officielle à la régente, l'impératrice Marie-Louise.

« Madame et chère amie, j'ai reçu la lettre par laquelle vous m'avez fait connaître que vous avez reçu l'archichancelier étant au lit : mon intention est que, dans aucune circonstance et sous aucun prétexte, vous ne receviez qui que ce soit étant au lit. Cela n'est permis que passé l'âge de trente ans ! »

La colère ne le quitte plus. Toutes ces dépêches l'irritent.

Savary, le ministre de la Police, multiplie les rapports sur l'état d'esprit de l'opinion. Elle voudrait la paix, selon lui. On compterait des dizaines de milliers de réfractaires, et ce serait dans l'Ouest et dans le Midi une menace pour l'ordre et la sécurité. Des bandes hostiles se constitueraient dans les forêts. Savary craint les jacobins. Mais mes espions signalent les activités des Chevaliers de la Foi, des royalistes qui complotent ici et là, créent des sociétés secrètes.

Seulement Savary, comme tous les repus, veut que je dépose les armes ! Il veut la paix, comme tous les ventres ronds, peu importe les conditions !

« Le ton de votre correspondance ne me plaît pas, écrit-il à Savary. Vous m'ennuyez toujours du besoin de la paix. Je connais mieux que vous la situation de mon Empire... Je veux la paix et j'y suis plus intéressé que personne : vos discours là-dessus sont donc inutiles ; mais je ne ferai pas une paix qui serait déshonorante ou qui nous ramènerait une guerre plus acharnée dans six mois. »

Savary va vouloir me convaincre comme essaient de le faire Caulaincourt et Berthier.

« Ne répondez pas à cela, reprend-il pour Savary. Ces matières ne vous regardent pas, ne vous en mêlez pas ! »

Il s'exclame, levant les bras dans un mouvement de colère :

- Le ministre de la Police paraît chercher à me rendre pacifique. Cela ne peut avoir aucun résultat et me blesse, parce que cela supposerait que je ne suis pas pacifique.

Il ajoute, plus haut encore :

- Je ne suis pas un rodomont, je ne fais pas de la guerre un métier, et personne n'est plus pacifique que moi !

Il sort presque chaque soir, quelques heures. Il faut qu'il se montre. Il préside un grand dîner, conduit ses invités au théâtre, ouvrant le cortège, la reine de Saxe à son bras. Quelquefois il se rend à l'Opéra, ou bien au petit théâtre qu'il a fait aménager dans son palais, cette « petite maison » Marcolini, comme il aime à dire.

Il a demandé qu'on invite quelques comédiens français à se rendre à Dresde.

« Je désire assez que cela fasse du bruit dans Paris, et donc à Londres et en Espagne, en y faisant croire que nous nous amusons à Dresde. La saison est peu propre à la comédie, ajoute-t-il d'une voix amère, il ne faut donc envoyer que six ou sept acteurs tout au plus. »

Parmi eux, Mlles Georges, Mars, Bourgoing. Il les a connues si jeunes et si belles. Il reçoit quelquefois, après la représentation, Mlle Georges. Il bavarde avec elle, plaisante, rit, et durant quelques minutes l'insouciance l'emporte loin de Dresde. Puis tout retombe. Elle a le visage et le corps lourds. Et il est las.

Au théâtre, d'ailleurs, souvent, il somnole, se réveillant en sursaut, regardant autour de lui si on l'a surpris.

Mais une fois dans ses appartements, dans l'aile droite du palais du comte Marcolini, il ne dort pas. Les fenêtres sont ouvertes. Il fait chaud. Parfois on entend les voix de soldats qui chantent, et les pas des chevaux d'une patrouille qui résonnent sur les pavés. Souvent un orage éclate.

Il retourne à son cabinet de travail, se penche sur les cartes préparées par Bacler d'Albe.

Si l'Autriche entre dans le conflit, elle déversera sur les champs de bataille plusieurs centaines de milliers d'hommes. Il faudra tenir Dresde et la ligne de l'Elbe.

Il se redresse.

Au sud, il y aura les Autrichiens, les Russes et les Prussiens seront au centre, et Bernadotte au nord. Car toutes les dépêches confirment que Bernadotte a débarqué en Poméranie avec vingt-cinq mille Suédois. Il est accompagné de Moreau, revenu des États-Unis, pour aider à ma perte, lui qui n'avait pu m'abattre du temps de Cadoudal. Et aux côtés d'Alexandre, à son service, se trouve Pozzo di Borgo, mon ennemi du temps d'Ajaccio. C'est lui que le tsar a envoyé auprès de Bernadotte pour l'acheter, lui promettre le trône, mon trône, une fois que j'en serai tombé ! Ils sont tous là, mes ennemis depuis mes origines !

Et c'est l'Angleterre qui paie en livres sterling comme hier elle payait les assassins chargés de me poignarder ! Comme aujourd'hui elle offre à Murat le pouvoir en Italie et de l'argent s'il m'abandonne. Et la bonne bête est tentée !

Et l'on voudrait que je croie à la possibilité de la paix !

Comment pourrait-il dormir ? Alors qu'on prépare son exécution ! Et imagine-t-on qu'il va se laisser étrangler ? Jusqu'au dernier moment il fera ce qu'il doit ! Et d'ailleurs, rien n'est joué, même si jamais il n'a eu à affronter une situation aussi difficile.

Mais voilà un défi digne de ma vie !

Tout ou rien. Telle est la mise.

Il se détend, s'assied. C'est le moment où il peut écrire :

« Il fait très chaud ici, tous les soirs un orage. Donne deux baisers à mon fils. Je voudrais bien que tu fusses ici, mais cela n'est pas convenable. Addio, mio amore.

« Nap. »

Mais il se reprend. Il ne peut jamais s'abandonner longtemps. Il est celui qui doit aussi réprimander, flatter, diriger. Même Marie-Louise. Et elle se plaint des lettres officielles sévères qu'il lui a adressées. Il faut donc la consoler.

« Tu ne dois pas avoir de chagrin de ce que je t'écris, parce que c'est pour te former et pour l'avenir, car tu sais que je suis content de toi et que même tu ferais quelque chose qui ne me conviendrait pas, je le trouverais tout simple. Tu ne peux jamais rien faire qui me fâche, tu es trop bonne et trop parfaite pour cela, mais je continue, car je vois quelque chose qui n'est pas mon opinion, à te le dire, sans que tu en aies de la peine. »

Il pose la plume.

Peut-être était-ce une faute que d'épouser la descendante des Habsbourg, cette Autrichienne ?

Demain il reçoit Metternich, l'ennemi, le conseiller écouté de l'empereur d'Autriche, père de ma femme.

Quel destin que ma vie !

Il a posé sur la table la lettre de l'empereur François Ier, que Metternich vient de lui remettre. Il dévisage le diplomate autrichien, cet homme au maintien plein de morgue qui fut le principal artisan du mariage avec Marie-Louise. Il a eu de l'estime pour l'intelligence et l'habileté de ce prince.

Mais peut-être Metternich n'est-il qu'un de ces hommes qui confondent mensonge et grande politique.

Napoléon va vers lui d'un pas lent.

- Ainsi, vous voulez la guerre, dit-il d'une voix calme. C'est bien, vous l'aurez. J'ai anéanti l'armée prussienne à Lützen ; j'ai battu les Russes à Bautzen ; vous voulez avoir votre tour. Je vous donne rendez-vous à Vienne.

Il s'immobilise en face de Metternich.

- Les hommes sont incorrigibles, reprend-il, les leçons de l'expérience sont perdues pour eux. Trois fois, j'ai rétabli l'empereur François sur son trône ; je lui ai promis de rester avec lui tant que je vivrais ; j'ai épousé sa fille ; je me disais alors : « tu fais une folie » ; mais elle est faite.

Il élève la voix.

- Je la regrette aujourd'hui.

Il ne regarde pas Metternich, qui parle de la paix dont le sort serait entre mes mains.