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- Je ne crains pas de l'avouer, dit-il, j'ai trop fait la guerre, j'avais formé d'immenses projets, je voulais assurer à la France l'Empire du monde. Je me trompais. Il aurait fallu appeler la nation tout entière aux armes et, je le reconnais, l'adoucissement des mœurs ne permet pas de convertir toute une nation en un peuple de soldats !

Il s'assied familièrement parmi les sénateurs.

- Je dois expier le tort d'avoir compté sur ma fortune, continue-t-il, et je l'expierai, c'est moi qui me suis trompé, c'est à moi de souffrir, ce n'est point à la France. Elle n'a pas commis d'erreurs, elle m'a prodigué son sang, elle ne m'a refusé aucun sacrifice...

On l'entoure, on l'acclame.

Il conclut d'une voix forte que, puisque certains départements sont déjà occupés : « J'appelle les Français au secours des Français. Les abandonnerons-nous dans leur malheur ? Paix et délivrance de notre territoire doit être notre cri de ralliement. »

A-t-il convaincu ? Les rapports de police indiquent que « la consternation est à Paris ». Et il ressent la même atmosphère aux Tuileries.

Il entre dans l'appartement de Marie-Louise. Elle vient vers lui, les yeux pleins de larmes. La reine Hortense est tout aussi éplorée, les traits tirés.

Il faut bien rassurer encore :

- Eh bien, Hortense, on a donc bien peur à Paris ? demande-t-il. On y voit déjà les cosaques. Ah, ils n'y sont pas encore et nous n'avons pas oublié notre métier.

Il se tourne vers Marie-Louise.

- Sois tranquille, ajoute-t-il en riant, nous irons encore à Vienne battre Papa François.

Il s'installe à table, prend le roi de Rome sur ses genoux.

- Allons battre Papa François, chantonne-t-il.

L'enfant répète avec détermination la phrase. Napoléon rit aux éclats.

Puis il convoque Berthier, demande au maréchal, prince de Neuchâtel, de prendre note. Il commence à dicter un plan de concentration des troupes en Champagne pour faire face aux armées de la coalition.

- Il nous faut recommencer la bataille d'Italie, dit-il.

Puis il se tourne vers l'Impératrice et Hortense qui sont restées silencieuses, attentives.

- Eh bien, mesdames, êtes-vous contentes ? Croyez-vous qu'on nous prenne si facilement ?

Mais les Alliés sont à Montbéliard, à Dijon, à Langres. Les maréchaux battent partout en retraite, saisis, semblent-ils, par la panique.

Que font-ils donc ? Où est passé leur courage, leur héroïsme ? Victor abandonne les Vosges, Marmont a déjà évacué la Sarre, Ney livre, sans combat, Nancy à Blücher, Augereau affirme que Lyon ne peut être défendu. Et pourtant, partout les paysans se rebellent contre les troupes étrangères. La guérilla commence, parce que les cosaques violent, pillent, brûlent.

Il dicte des ordres. Il faut se battre.

« Vous sentez combien il est important de retarder la marche de l'ennemi. Employez les gardes forestiers, les gardes nationales, pour faire le plus de mal possible à l'ennemi. »

Il martèle : « Il ne faut jamais faire aucun préparatif pour abandonner Paris, et s'ensevelir sous ses ruines s'il le faut. »

Il ajoute à voix basse : « Si l'ennemi arrive à Paris, il n'y a plus d'Empire. »

Il faut donc tout faire pour qu'il n'y parvienne jamais.

Lui seul peut l'en empêcher. Il doit partir.

Derniers jours, ici, aux Tuileries.

Reviendra-t-il ? Il est dans son cabinet de travail en compagnie du roi de Rome. L'enfant joue. Quel sera son destin ?

J'ai cru qu'avec lui l'avenir de ma dynastie serait assuré. Et me voici, jetant dans la cheminée mes lettres et mes papiers secrets.

Il regarde les flammes réduire en cendres ces documents qui jalonnent l'histoire de sa vie.

Qui peut dire si, demain, l'un de ces souverains étrangers ou un de leurs généraux ne sera pas ici dans mon cabinet, fouillant dans mes portefeuilles, comme je l'ai fait dans le château de la reine Louise de Prusse lorsque je m'apprêtais à entrer dans Berlin ?

C'est le dimanche 23 janvier 1814, il prend par la main le roi de Rome. Marie-Louise tient l'autre main de l'enfant. Ils entrent tous trois dans la salle des maréchaux, où sont rassemblés les officiers des douze légions de la garde nationale de Paris. Ces hommes forment un cercle au centre duquel Napoléon s'avance.

- Messieurs les officiers de la garde nationale, commence-t-il, je compte partir cette nuit pour aller me mettre à la tête de l'armée.

Il perçoit la tension des regards qui convergent vers lui.

- En quittant la capitale, je laisse avec confiance au milieu de vous ma femme et mon fils sur lesquels sont placées tant d'espérances. Je partirai avec l'esprit dégagé d'inquiétude lorsqu'ils seront sous votre garde.

Il les dévisage les uns après les autres.

- Je vous laisse, reprend-il, ce que j'ai au monde de plus cher après la France et le remets à vos soins.

Il sent l'émotion qui le gagne.

- Il pourrait arriver toutefois que par les manœuvres que je vais être obligé de faire, les ennemis trouvassent le moment de s'approcher de vos murailles. Souvenez-vous que ce ne pourra être l'affaire que de quelques jours et que j'arriverai bientôt à votre secours. Je vous recommande d'être unis entre vous. On ne manquera pas de chercher à ébranler votre fidélité à vos devoirs, mais je compte sur vous pour repousser toutes ces perfides instigations.

Il soulève son fils, le prend dans ses bras et le promène devant les officiers.

Les cris résonnent dans la salle, font trembler les vitres :

« Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le roi de Rome ! »

Plus tard, il s'est assis près de l'Impératrice. Il fixe l'enfant qui joue à quelques pas.

Quand le reverra-t-il ?

Il se tourne vers Marie-Louise. Elle semble hébétée. Elle a failli s'évanouir quand les officiers de la garde nationale ont lancé leurs cris. Maintenant, elle balbutie :

- Le retour ? demande-t-elle.

- Ma chère amie, dit-il, c'est le secret de Dieu.

Il faudrait qu'il se lève, regagne son cabinet de travail où il doit encore trier des papiers, brûler ce qui reste de sa correspondance secrète, ainsi que les rapports de certains de ses espions. Mais il ne peut bouger. Il voudrait que le temps s'immobilise. Il voudrait fixer dans son regard chaque expression de son fils.

Des dignitaires viennent présenter leurs hommages. Il se ressaisit, se dresse.

- Au revoir, Messieurs, dit-il, nous nous reverrons peut-être.

Peut-être.

S'il perd la partie, il ne reverra plus tous ceux qu'il laisse ici, sa femme, son fils.

Il ne lui restera que la mort.

Et s'il gagne ?

Il ne peut imaginer ce qui adviendra. Mais il ne pourra pas reconquérir l'Europe, reconstituer ce Grand Empire, redevenir l'Empereur des rois. Il le sait. Il n'entrera plus dans Vienne, Moscou, Madrid, Berlin, Varsovie. Cela a eu lieu. Et ne pourra plus être.

Il va se battre le dos au gouffre.

Il jette une poignée de lettres dans la cheminée. Il écrit à Joseph. « Mon aîné. Aîné, lui ! Pour la vigne de mon père, sans doute ! » « C'est une de mes fautes d'avoir cru mes frères nécessaires pour assurer ma dynastie. »

Mais il écrit quelques lignes pour désigner Joseph comme lieutenant général de l'Empire, aux côtés de l'Impératrice, régente.

Joseph, même s'il est incapable, s'il a perdu l'Espagne, Joseph ne m'a pas trahi.

Peut-être.

Mais combien sont les hommes sur qui il peut encore compter ? Ceux du peuple. Mais un peuple qui n'est pas dirigé devient une populace.

Il appelle son secrétaire, dicte une première consigne : faire partir avant cinq heures du matin le pape, et le conduire de Fontainebleau à Rome.