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« Ce qu'ils ont fait, dit-il, ne peut se comparer qu'aux romans de chevalerie et aux hommes d'armes de ces temps où, par l'effet de leurs armures et l'adresse de leurs chevaux, un en battait trois cents ou quatre cents. L'ennemi doit être frappé d'une singulière terreur. La Vieille Garde a de beaucoup surpassé tout ce que je pouvais attendre d'une troupe d'élite. C'était absolument la tête de Méduse. »

Il écrit à Marie-Louise. Qu'on répète cela à Paris. Qu'on fasse défiler les prisonniers dans les rues de la capitale.

Mais alors que mes soldats se surpassent, Murat me déclare la guerre ! C'est un fou et un ingrat !

« La conduite du roi de Naples est infâme et celle de la reine, ma sœur Caroline, n'a pas de nom. J'espère vivre assez pour venger moi et la France d'un tel outrage et d'une ingratitude aussi affreuse. »

Il donne l'ordre de marcher sur Montereau pour arrêter l'avance des troupes de Schwarzenberg, qui profitent des combats contre les armées de Blücher pour progresser.

Sur la route, il apprend que le général Guyot, qui commande la deuxième division de cavalerie de la Garde, a abandonné deux pièces à l'ennemi.

Napoléon s'arrête dès qu'il aperçoit Guyot, hurle, saute de cheval, jette son chapeau à terre. Il se laisse emporter par la fureur, puis remonte à cheval, mais la colère s'incruste en lui.

Il avance malgré les obus qui commencent à tomber autour de lui, dans cette bataille qui se déroule autour de Montereau. Il rejoint les canons en batterie, descend de cheval, pointe lui-même une pièce. L'ennemi réplique mais Napoléon paraît ne pas entendre ces explosions, ces boulets qui sifflent. Il lance, en se tournant vers les artilleurs :

- Allez, mes amis, ne craignez rien, le boulet qui me tuera n'est pas encore fondu !

Il s'expose ainsi toute la journée. Il se sent invulnérable, comme au cours de toutes ces batailles qu'il a commandées.

« Ma bonne Louise, écrit-il le soir, je suis fatigué. J'ai eu une journée superbe. J'ai défait les corps de Bianchi, forts de deux divisions, et les Wurtembergeois... Mais ce qui est meilleur que tout cela, je leur ai pris le pont de Montereau, sans qu'ils aient pu le couper. J'ai débouché sur l'ennemi, j'ai pris deux drapeaux autrichiens, un général et plusieurs colonels. Adieu mon amie, tout à toi.

« Nap. »

Mais le soir, au château de Surville, la colère est encore là en lui.

Que valent ses maréchaux ? Victor ? Oudinot ? Ils ont reculé. Le général Montbrun a laissé les cosaques envahir la forêt de Fontainebleau. Le général Digeon a laissé ses canons manquer de munitions. Le maréchal Augereau, à Lyon, n'avance pas, alors qu'il a des soldats aguerris et qu'il pourrait menacer les arrières ennemis.

Napoléon s'emporte.

« Partout, lance-t-il, j'ai des plaintes du peuple contre les maires et les bourgeois qui les empêchent de se défendre. Je vois la même chose à Paris. Le peuple a de l'énergie et de l'honneur. Je crains bien que ce ne soit certains chefs qui ne veulent pas se battre et qui seront tous sots, après l'événement, de ce qui leur sera arrivé à eux-mêmes. »

Voilà le maréchal Victor, duc de Bellune, qui, au bord des larmes, se présente, se justifie, déclare ne pouvoir accepter d'être éloigné du champ de bataille, lui, l'un des plus anciens compagnons d'armes de l'Empereur.

Ce n'est pas le passé qui excuse les actes présents. Victor insiste. Il a perdu son gendre, le général Chataux, tué au combat. Il est resté au milieu de ses soldats.

- Je vais prendre un fusil, dit-il, je n'ai pas oublié mon ancien métier : Victor se placera dans les rangs de la Garde.

Napoléon, tout à coup, lui tend la main.

- Eh bien, restez, dit-il. Je ne puis vous rendre votre corps d'armée, puisque je l'ai donné à Gérard, mais je vous donne deux divisions de la Garde, allez en prendre le commandement, et qu'il ne soit plus question de rien entre nous !

Il tourne le dos à Victor. Ces chefs sont fatigués. Et lui, ne l'est-il pas ?

La colère le reprend.

Il dicte une lettre pour Augereau :

« Je vous ordonne de partir douze heures après la réception de la présente lettre pour vous mettre en campagne. Si vous êtes toujours l'Augereau de Castiglione, gardez le commandement ; si vos soixante ans pèsent sur vous, quittez-le et remettez-le au plus ancien de vos officiers généraux. La patrie est menacée et en danger : elle ne peut être sauvée que par l'audace et la bonne volonté, et non par de vaines temporisations. Vous devez avoir un noyau de plus de six mille hommes de troupes d'élite : je n'en ai pas autant, et j'ai pourtant détruit trois armées et sauvé trois fois la capitale. Soyez le premier aux balles.

« Il n'est plus question d'agir comme dans les derniers temps, mais il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93 !

« Quand les Français verront votre panache aux avant-postes et qu'ils vous verront vous exposer aux coups de fusil, vous en ferez ce que vous voudrez ! »

Tout à coup, une fatigue immense l'envahit.

Voilà des jours et des jours qu'il chevauche, qu'il est en première ligne à chaque bataille, qu'il imagine sa stratégie, dicte des centaines d'ordres, qu'il déjeune et dîne en quelques minutes, qu'il affronte le froid, la pluie, la boue, et qu'il tente de tenir hors du découragement tous ceux qui l'entourent et qui, sinon, il le sait bien, se laisseraient aller, couleraient, entraînant avec eux le pays.

Et maintenant, ce samedi 19 février, il ne peut plus. Il lui semble qu'il a accompli la tâche qu'il s'était fixée. Il a successivement battu les Prussiens et les Russes de Blücher, et les Autrichiens de Schwarzenberg. Il peut dormir. Il s'allonge cependant que son valet lui retire les bottes. Le feu brûle dans la cheminée de cette petite chambre du château de Surville.

Il ferme les yeux.

« Ma bonne amie, écrit-il le lendemain à l'aube,

« J'étais si fatigué hier au soir que j'ai dormi huit heures de suite. Fais tirer trente coups de canon pour le combat de Montereau. Il est nécessaire, lorsque je t'écris de faire tirer le canon, que tu écrives au ministre de la Guerre, signé de toi et que tu dises : "en conséquence de tel avantage remporté tel jour par l'Empereur", le ministre de la Guerre devant toujours être instruit des événements militaires directement.

« Adieu, ma bonne Louise, tout à toi.

« Nap. »

Il sort. « Le froid est horrible. » Le sol est gelé, ce qui facilite les déplacements de l'ennemi.

Allons, en selle, vers Nogent-sur-Seine, vers Troyes. Les estafettes apportent, à la halte, les dépêches et les journaux de Paris. Dans la pièce où il s'est installé, à Nogent-sur-Seine, il s'indigne. Il faudrait aussi qu'il écrive les journaux ! Comment ne comprennent-ils pas que l'un « des premiers principes de la guerre est d'exagérer les forces et non de les diminuer » ? Pourquoi ne relèvent-ils pas les crimes commis par l'ennemi, et dont le récit « me fait dresser les cheveux sur la tête » ? D'un mouvement du bras, il balaie les dépêches et les journaux qu'on avait posés devant lui.

- En vérité, crie-t-il, je n'ai jamais été plus mal servi !

Il fait quelques pas dans la pièce, lance :

- On ne peut pas être plus mal secondé que je le suis !

Il se calme. Il contemple une bonbonnière, un envoi de Marie-Louise, sur laquelle est peint un portrait du roi de Rome. Il le fixe quelques secondes. L'enfant a les mains jointes.

Napoléon prend la plume.

« Je désire que tu le fasses graver, écrit-il à l'Impératrice, avec cette devise : "Je prie Dieu qu'il sauve mon père et la France." Cette petite gravure est si intéressante qu'elle fera plaisir à tout le monde. »