Выбрать главу

On se bat devant Reims. Il est en première ligne.

À minuit, ce lundi 14 mars, il pénètre dans la ville. Toutes les croisées sont illuminées, la foule a envahi les rues et l'acclame.

Napoléon, à l'hôtel de ville, est entouré par des centaines de Rémois qui crient : « Vive l'Empereur ! » Il décore l'artilleur qui, par son tir, a tué le général Saint-Priest qui commandait l'armée russe.

- C'est le même pointeur qui a tué le général Moreau : c'est le cas de le dire, ô Providence, ô Providence ! s'exclame Napoléon.

Il reçoit Marmont, l'accable de reproches puis peu à peu s'apaise. Il lui semble que la victoire est à nouveau à portée de main. Il a enfoncé un coin entre les armées de Blücher et de Schwarzenberg. Il peut rejoindre l'Est, tourner les coalisés.

« Votre caractère et le mien, écrit-il à Joseph, sont opposés. Vous aimez à cajoler les gens et à obéir à leurs idées ; moi, j'aime qu'on me plaise et qu'on obéisse aux miennes. Aujourd'hui comme à Austerlitz, je suis le maître. »

On lui rapporte que Marmont, en quittant l'hôtel de ville, a dit : « C'est le dernier sourire de la fortune. »

Il a un ricanement de mépris. Que savent-ils de la fortune ? Il faut la saisir par la crinière, la traîner jusqu'à soi, puis la chevaucher.

Le jeudi 17 mars, il est à Épernay. La foule l'acclame. On verse du champagne aux soldats. Il décore le maire, M. Moët. Puis il reprend sa marche vers l'Aube, pour surprendre le flanc de l'armée de Schwarzenberg.

On se bat pour Arcis-sur-Aube, on se bat à Torcy.

Napoléon voit les obus exploser devant un bataillon de jeunes recrues, qui refluent. Il se précipite, se place à leur tête, et quand un obus tombe au pied de son cheval, il ne bouge pas.

Mourir ici ? Pourquoi pas !

L'obus explose. Le cheval est éventré. Napoléon se relève au milieu de la fumée. Les soldats l'acclament, partent à l'assaut, prennent Torcy.

Mais les morts couvrent le sol. De combien d'hommes dispose-t-il encore ? Vingt mille ? Trente mille ?

Il reste un long moment silencieux. Le général Sebastiani est auprès de lui. Il a confiance en ce Corse issu d'une famille modeste et qui, après des missions diplomatiques auprès des Turcs, a combattu en Russie, en Allemagne, et qui vient de charger avec la cavalerie de la Garde.

- Eh bien, général, que dites-vous de ce que vous voyez ?

- Je dis que Votre Majesté a sans doute d'autres ressources que nous ne connaissons pas.

- Celles que vous avez sous les yeux, répond Napoléon.

- Mais alors, comment Votre Majesté ne songe-t-elle pas à soulever la nation ?

Napoléon regarde Sebastiani, fait faire quelques pas à son cheval. Depuis le début de la campagne, il a multiplié les proclamations aux Blouses Bleues. Mais si la guérilla s'est répandue, elle n'a pas le caractère d'un soulèvement général comme en Espagne ou en Russie.

- Chimères ! lance Napoléon en revenant vers Sebastiani. Chimères empruntées au souvenir de l'Espagne et de la Révolution française ! Soulever la nation dans un pays où la Révolution a détruit les nobles et les prêtres et où j'ai moi-même détruit la Révolution !

Il a un ricanement amer.

Il est le seul, avec les soldats qui lui restent, à pouvoir changer le cours des choses.

Mais peut-il être sûr de vaincre ?

Il regarde passer ces quelques milliers d'hommes épuisés avec lesquels il doit affronter les centaines de milliers d'ennemis.

Il va lancer les dés. Il écrit à Joseph.

« Je vais manœuvrer de manière qu'il serait impossible que vous fussiez plusieurs jours sans avoir de mes nouvelles. Si l'ennemi s'avançait sur Paris avec des forces telles que toute résistance devînt impossible, faites partir la Régente et mon fils dans la direction de la Loire.

« Ne quittez pas mon fils et rappelez-vous que je préférerais le savoir dans la Seine plutôt que dans les mains des ennemis de la France. Le sort d'Astyanax prisonnier des Grecs m'a toujours paru le sort le plus malheureux de l'histoire. »

Cette idée, cette image l'obsède. Et il a peur de son intuition et de la force de sa pensée.

18.

À quatorze heures, ce mercredi 23 mars 1814, il arrive à Saint-Dizier. Les fantassins sont couchés à même le sol, contre les façades des maisons. Les uniformes sont souillés et la fatigue, il le voit, écrase ces corps après des jours et des jours de marche et de combat.

Combien d'hommes lui reste-t-il ?

Il entre dans la maison du maire. Les maréchaux sont déjà là. Berthier, Ney disent d'une voix sourde que la bataille d'Arcis-sur-Aube a été coûteuse, que l'ennemi dispose d'au moins cent mille hommes et de plusieurs centaines de pièces de canons.

Quelles sont nos forces ? demande-t-il. Et il voudrait ne pas entendre la réponse de Berthier. Dix-huit mille fantassins et neuf mille cavaliers, répète le prince de Neuchâtel, major général de l'armée.

On peut faire des miracles avec une poignée d'hommes. Ne le savent-ils pas, eux qui le suivent depuis les premiers jours ? Les garnisons des places fortes de l'Est vont arriver. L'ennemi ne pourra pas avancer vers Paris sans se soucier de ses arrières, qui seront à découvert, que nous harcèlerons.

Il commence à écrire.

« Mon amie,

« J'ai été tous ces jours-ci à cheval. Le 20, j'ai pris Arcis-sur-Aube. L'ennemi m'y a attaqué à six heures du soir, le même jour je l'ai battu et je lui ai fait quatre mille morts. Je lui ai pris deux pièces de canons, il m'en a pris deux, cela fait quitte. Le 21, l'armée ennemie s'est mise en bataille pour protéger la marche de ses convois sur Brienne et Bar-sur-Aube. J'ai pris le parti de me porter sur la Marne et sur ses communications afin de le pousser plus loin de Paris et me rapprocher de mes places. Je suis ce soir à Saint-Dizier.

« Adieu, mon amie. Un baiser à mon fils.

« Nap. »

Est-ce que cette lettre parviendra jamais à Marie-Louise ? Voilà près de cinq jours qu'il ne reçoit plus de nouvelles d'elle.

Il se tourne vers Berthier et Ney.

- Ces cosaques..., murmure-t-il.

Ils traquent les estafettes, loin en avant du gros des troupes. Ils se saisissent du courrier. L'ennemi peut ainsi être averti de mes mouvements, de l'état d'esprit de Paris. Mais c'est un risque qu'il faut prendre. Il faut qu'à Paris les « trembleurs » sachent que je combats, que l'espoir et la résolution m'habitent.

Dans la nuit, alors qu'il va de son lit de camp à la table sur laquelle sont étalées les cartes, Caulaincourt arrive. Il est hors d'haleine, les traits tirés. Il a failli être fait prisonnier entre Sompuis et Saint-Dizier. Les Alliés ne traitent plus, dit-il. Napoléon s'exclame. Ils n'ont jamais voulu réellement négocier.

- Ce que veut l'ennemi, c'est de piller et de bouleverser la France. Alexandre veut se venger à Paris de la bêtise qu'il a faite en brûlant Moscou. Ce que veulent les ennemis, c'est de nous humilier, mais plutôt mourir.

Il marche dans la pièce sombre.

- Je suis trop vieux soldat pour tenir à la vie ; jamais je ne signerai la honte de la France. Nous nous battrons, Caulaincourt. Si la nation me soutient, les ennemis sont plus près que moi de leur perte, car l'exaspération est extrême. Je coupe la communication des Alliés ; ils ont des masses mais pas d'appuis ; je rallie une partie de mes garnisons ; j'écrase un de leurs corps et le moindre revers peut les amener loin.