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« Je pars dans deux heures pour l'île d'Elbe d'où je t'écrirai à mon arrivée. Ma santé est bonne, mon courage au-dessus de tout. Il ne serait affaibli que par l'idée que mon amie ne m'aime plus. Donne un baiser à mon fils.

« La princesse Pauline, qui est dans un château à deux heures d'ici, veut absolument venir à l'île d'Elbe pour me tenir compagnie, mais elle est si malade que j'ignore lorsqu'elle pourra faire le trajet.

« J'ai avec moi le grand maréchal Bertrand et mon aide de camp Drouot.

« Ton fidèle époux,

« Nap. »

Le départ tarde. Il demande au colonel Campbell, le commissaire anglais, de prévoir une frégate pour prendre Pauline « dans cinq ou six jours et la conduire à l'île d'Elbe ». Puis il écrit au général Dalesmes, qui commande l'île d'Elbe.

Elle va cesser d'appartenir à la Toscane pour devenir mon territoire. J'ai choisi le drapeau. Blanc, coupé par une bande diagonale rouge marquée de trois abeilles.

« Les circonstances m'ayant porté à renoncer au trône de France, écrit-il, sacrifiant ainsi mes droits au bien et aux intérêt de la patrie, je me suis réservé la souveraineté et propriété de l'île d'Elbe et des forts de Portoferraio et Porto Longone, ce qui a été consenti par toutes les puissances... Veuillez faire connaître ce nouvel état des choses aux habitants et le choix que j'ai fait de leur île pour mon séjour en considération de la douceur de leurs mœurs et de la bonté de leur climat. Ils seront l'objet constant de mon plus vif intérêt. »

Il a tant lu en quelques jours, à Fontainebleau, de livres traitant de l'île d'Elbe qu'il a l'impression de tout connaître de son histoire.

Il marche dans la chambre, s'arrête souvent devant la fenêtre pour regarder la mer.

Il sera là-bas sur l'île qui fut grecque et romaine, et de cette terre, l'Aithalia des Grecs, l'Ilva des Romains, il pourra voir les côtes de Corse.

Curieux destin que le sien. D'une île à l'autre.

Celle-ci sera pour moi l'île du repos.

Il voit entrer dans la rade la frégate française.

Le capitaine se présente à l'auberge peu après, revendique l'honneur de conduire l'Empereur.

Napoléon secoue la tête. Il ne veut pas naviguer sous le drapeau blanc, dit-il.

« Pour le roi de France, tant que le trône ne sera fondé que par les baïonnettes étrangères et qu'il ne se sera pas nationalisé par sa conduite et par l'opinion nationale, je n'aurai aucune estime ni considération pour lui. »

Il faut attendre que le vent se lève, et cette attente lui pèse. Il ne cesse de s'interroger. Marie-Louise et son fils viendront-ils ?

Quand foulera-t-il à nouveau le sol de France ?

Il fait quelques pas dans sa chambre, ce jeudi 28 avril, et tout à coup il est pris de nausées, le sol se dérobe, il vomit.

Il pourrait mourir là, seul. Il a le corps couvert d'une sueur froide. Il va à la fenêtre. Il se remet peu à peu.

Il écrit quelques mots à Marie-Louise.

« Le temps est beau et j'aurai une navigation douce. J'espère que ta santé te soutiendra et que tu auras le courage nécessaire. J'aurai un grand plaisir à te voir ainsi que mon fils. »

Mais les reverra-t-il jamais ?

« Adieu ma bonne Louise. Je te prie de donner un baiser bien tendre à mon fils et de faire mes compliments à toutes ces dames. Tout à toi.

« Ton affectionné et fidèle époux.

« Napoléon. »

Mais qu'il est difficile de s'arracher à la France !

Le vent est si faible que, monté à bord de l'Undaunted, il débarque à Saint-Raphaël.

On l'acclame.

Enfin, le vendredi 29 avril 1814, on met à la voile.

Il reste le plus souvent à la proue, ou bien il marche sur le pont. Il regarde s'éloigner les côtes françaises. Il s'accoude au bastingage. Il dit à Bertrand :

- Les Bourbons, pauvres diables, se contentent d'avoir leurs terres et leurs châteaux, mais si le peuple français devient mécontent de cela et trouve qu'il n'y a pas d'encouragement pour leurs manufactures, ils seront chassés dans six mois.

- Six mois ? murmure Bertrand.

Il ne répond pas.

Il passe les nuits sur le pont, dans la douceur de l'air chargé des senteurs de la végétation insulaire.

Voici, le dimanche 1er mai, Ajaccio à portée de canon. C'est le passé qui surgit, telle une Atlantide. Il fixe longuement du regard les quais du port, la forteresse. Ici, son destin a lancé ses premiers défis, fait rouler les dés.

On est en panne devant Calvi.

Il lui semble qu'il se sent mieux dans son corps depuis qu'il respire cet air, qu'il voit ces couleurs, cette montagne corse.

Enfin, le mardi 3 mai 1814, la frégate jette l'ancre à l'entrée de Portoferraio. Il enlève le chapeau de marin qu'il portait. Il coiffe son bicorne. Le voici en uniforme des chasseurs à cheval de la Garde impériale, sur lequel il porte l'étoile de la Légion d'honneur et la décoration de la couronne de fer de roi d'Italie.

Il est toujours un soldat et un souverain.

Sixième partie

Je suis regretté et demandé par toute la France

4 mai 1814 - 28 février 1815

22.

Il est quatorze heures, ce mercredi 4 mai 1814. Il s'approche de la coupée, avançant au milieu des marins de l'Undaunted, qui le saluent, leurs sabres d'abordage dressés. Il regarde une nouvelle fois cette rade dominée par une falaise abrupte. Sur les quais de Portoferraio, il distingue la foule, les uniformes de la petite garnison de la capitale de l'île d'Elbe. La brise de terre porte parfois des éclats de voix, les sons clairs d'une fanfare.

Tout à coup, des fumées blanches couronnent les forts de Stella et de Falcone, dont il connaît la situation et a étudié les plans déjà. Les explosions se succèdent. Entre les forts, il distingue quelques moulins en ruine qui dominent à la fois la ville et la mer.

Là il a pensé s'établir, dans cette zone des Mulini d'où il pourra saisir tout mouvement venant de la terre ou de la mer.

Il donne l'ordre qu'on hisse le drapeau du nouvel État à la poupe de l'embarcation qui va le conduire à quai.

Il descend lentement l'échelle de coupée, murmure :

- Me voici logé à bonne enseigne, ce sera l'île du repos.

Il se tient debout au milieu de la barque. Il lui semble s'avancer vers l'une de ces villes corses de son enfance, avec ces maisons à arcades, aux façades austères qui s'élèvent en amphithéâtre au-dessus des quais.

Il est chez lui, ici.

Mais elle, Marie-Louise, si jamais un jour elle peut et veut quitter le continent avec mon fils, comment pourra-t-elle vivre ici ?

Il saute à quai.

Quelle est cette mascarade ? On lui présente les clés de la ville sur un plateau d'argent. On l'invite à se placer sous un dais de papier doré surmonté d'abeilles en carton.

Il est entré dans toutes les villes glorieuses que compte l'Europe. Il a vu brûler Moscou. Il a été couronné à Notre-Dame. Et le voici qui s'avance vers l'autel d'une petite église alors que dans les ruelles la foule crie, l'acclame, que les tambours roulent et que l'odeur insupportable des détritus, des immondices, cette odeur d'excréments flotte jusque dans l'église paroissiale qu'on vient de décréter cathédrale.

Il répond à peine à Mgr Arrighi, un Corse qui lui affirme qu'il est un cousin des Bonaparte.

Il a un mouvement d'impatience. Il veut se retirer à l'hôtel de ville, où il doit séjourner. La foule piétine en criant devant le bâtiment. Et il y a toujours cette puanteur.