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Il exigera des habitants qu'ils ne versent plus leurs immondices dans la rue. Il édictera des lois pour que l'hygiène soit établie partout dans l'île.

Si elle vient avec mon fils, où habitera-t-elle ?

Il donne quelques ordres à Marchand, son valet de chambre, à Rathery, le secrétaire. Il veut, commence-t-il à expliquer aux généraux Drouot et Cambronne, ainsi qu'à Bertrand, le grand maréchal du Palais...

Mais il s'interrompt, répète : « du Palais ».

Il veut, reprend-il, que l'étiquette soit respectée ici comme aux Tuileries ou à Saint-Cloud. Il nommera des chambellans. Bertrand veillera sur tous ces dignitaires recrutés parmi les notables de l'île, on organisera des dîners et des bals avec leurs épouses. Il passera en revue la Garde dès qu'elle aura débarqué. Et demain, à l'aube, il commencera la visite de l'île.

Pour l'heure, qu'on le laisse seul.

Il écrit :

« Ma bonne Louise,

« Je suis resté quatre jours en mer par temps calme, je n'ai point du tout souffert. Je suis arrivé à l'île d'Elbe qui est très jolie. Les logements y sont médiocres. Je vais en faire arranger en peu de semaines. Je n'ai pas de nouvelles de toi. C'est ma peine de tous les jours. Ma santé est fort bonne.

« Adieu, mon amie, tu es loin de moi, mais mon idée est avec ma Louise. Un tendre baiser à mon fils. Tout à toi.

« Nap. »

Il s'allonge. Il entend le bruit de la mer. Il retrouve son enfance et sa jeunesse. Il se sent plein d'énergie.

À l'aube, il galope déjà dans cet air léger du mois de mai, et au fur et à mesure qu'il s'éloigne de Portoferraio, par ces chemins caillouteux et étroits accrochés à flanc de montagne, il reconnaît les parfums de cette végétation qui lui rappelle aussi la Corse.

Il arrive à Rio Marina. Le sol est rouge. Les galeries des mines de fer s'enfoncent dans la falaise. Il veut connaître les quantités produites, en portées, les bénéfices réalisés, les impôts payés. Il lui semble que le visage de l'administrateur des mines ne lui est pas inconnu. Si souvent les circonstances ont replacé sur sa route des hommes connus autrefois, qu'il ne s'étonne plus que l'homme qui se nomme Pons, de l'Hérault, ait participé au siège de Toulon à ses côtés. Mais, dit Pons avec fierté, je suis resté républicain, jacobin.

- Je ne demande que la fidélité à la France, dit Napoléon.

Il s'éloigne. Cet homme-là est digne de confiance, puisqu'il n'a pas été un courtisan durant les heures glorieuses.

Il s'éloigne, parcourt les chemins.

Il faudra ouvrir des routes. Ici, dans ce vallon de San Martino planté de vignes, on élèvera une construction qui sera résidence d'été et relais de chasse. Le lieu est calme et ombragé. La vue porte jusqu'à la mer.

Là, aux Mulini, sera le palais.

Napoléon revient chaque jour suivre les travaux. Il fait ouvrir un tunnel dans la falaise qui permet d'accéder à une petite esplanade d'où l'on découvre Portoferraio. On peut ainsi quitter les Mulini sans passer par la ville. Et l'on peut, avec quelques factionnaires, se protéger de toute incursion hostile.

Parfois, en regardant une carte de l'île ou bien en découvrant le panorama depuis l'esplanade des Mulini, ou encore au sommet de Monte Giove qu'il a gravi par un chemin muletier, il s'exclame : « Eh, mon île est bien petite ! »

Il prend à témoin Bertrand ou Drouot, ou bien Peyrusse, cet ancien trésorier de la couronne qu'il a nommé son ministre des Finances. Deux cent trente-trois kilomètres carrés et quelques milliers d'habitants !

Et il a été l'empereur de la plus grande partie de l'Europe, l'égal de Charlemagne ! Il a dirigé une armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes appartenant à toutes les nations, et il ne commande plus qu'à seize cents hommes, et parmi eux, il n'y a que six cent soixante-quinze grenadiers de la Garde, cinquante-quatre chevau-légers polonais, un bataillon recruté sur place et un bataillon de Corses auxquels il ne peut guère faire confiance, parce que sans doute des espions, des ennemis, peut-être des assassins s'y sont sûrement introduits.

Mais le paysage l'exalte.

Au-delà du Monte Giove, il découvre, au milieu d'un bois de châtaigniers, une chapelle et une masure, l'ermitage de la Madone, un lieu de pèlerinage. Il gravit des marches taillées dans les rochers et il est saisi par la beauté du panorama. Au soleil couchant, il aperçoit la Corse, mon île, l'îlot de Capraia, celui de Montecristo et toute la côte de l'île d'Elbe qui se découpe sur le bleu brillant de la mer Tyrrhénienne.

Il s'assied. Il pourrait vivre ici.

Il décide de passer là les journées les plus chaudes. Il choisit une cellule qui a été occupée par l'ermite. Une escouade de grenadiers pourra installer son bivouac en contrebas de l'ermitage. Le général Drouot occupera une autre cellule. Et si Madame Mère vient, comme elle le souhaite, elle occupera une maison du village de Marciana Alta, situé à quelques centaines de mètres sur la pente du Monte Giove.

Il lui suffit de quelques jours pour prendre possession d'un territoire, mon nouvel espace. Le samedi 21 mai, il s'installe aux Mulini. Les pièces sentent encore la peinture et le plâtre, mais il faut que la vie ordonnée commence.

Il se lève avant l'aube, lit, dicte.

« Faire arborer dimanche le pavillon de l'île dans toutes les communes et en faire une espèce de fête. »

« Témoigner mon mécontentement à l'intendant sur la malpropreté des rues. »

« Je désire que la commune fasse les frais d'un bal qu'elle donnera sur la place publique, où l'on construira une salle en bois, et que les officiers de la Garde impériale y soient invités. Aux environs de cette salle, on établira des orchestres pour faire danser les soldats et on aura soin de disposer quelques barriques de vin pour qu'ils puissent boire... »

Il s'arrête.

C'est le lever du soleil. Il va jusqu'à l'esplanade, scrute l'horizon et le golfe de Porteferraio. Il aperçoit le brick l'Inconstant, la goélette la Caroline, d'autres petits navires, deux felouques, la Mouche et l'Abeille, un chebek, l'Étoile, qui constituent sa flotte. La Corse n'est qu'à une cinquantaine de kilomètres, le port de Piombino à moins de douze, Livourne est proche, la côte française à trois ou quatre jours de navigation.

Il ne peut détacher ses yeux de ces navires. Par eux, il peut savoir ce qui se passe en France, en Europe. Il peut, s'il le veut, quitter l'île.

Il refuse de penser à cela.

Mais il faut savoir ce que deviennent la France et l'Europe. Il veut recevoir des journaux anglais. Le Journal des débats, Le Nain Jaune. Il veut établir un réseau de correspondants et d'informateurs.

Tout cela doit être mis en place au plus vite, puisque les premières lettres reçues annoncent que Louis XVIII a choisi pour ministre de la Guerre le général Dupont, l'officier qui avait capitulé à Baylen ! Une insulte pour moi, pour l'armée. Et Dupont se venge. Il licencie cent mille soldats, place en demi-solde douze mille officiers, pendant que Louis XVIII organise une parade, entouré des souverains dont les armées occupent Paris !

À sept heures, quand le soleil est déjà haut, il rentre, prend un petit déjeuner, parfois se recouche, lit les journaux, écrit à nouveau.

« Ma bonne Louise,

« Le général Koller qui m'a accompagné jusqu'ici et dont j'ai été extrêmement content s'en retourne, je le charge de cette lettre. Je te prie d'écrire à ton père qu'il fasse quelque chose pour témoigner ma reconnaissance à ce général qui a été parfaitement bon pour moi.