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Il entre dans l'archevêché, occupe les chambres et le salon quittés le matin même par le comte d'Artois.

Qu'imaginait ce Bourbon, cet émigré ? Qu'il pouvait m'arrêter ?

Le lendemain, samedi 11 mars, lorsqu'il ouvre la porte de sa chambre, il sait qu'il a reconquis le pouvoir. Tous les notables de la ville sont présents à son lever, comme autrefois. Avant.

Il donne ses ordres. Il veut une revue des troupes place Bellecour. Il veut qu'on prenne note des décrets suivants : rétablissement des trois couleurs, suppression des ordres royaux, licenciements de la Maison du roi, annulation de toutes les nominations faites dans l'armée et la Légion d'honneur depuis avril 1814.

Il marche dans la pièce, les mains derrière le dos. Il jette un regard vers les secrétaires qui écrivent. Les notables écoutent respectueusement.

Il reprend.

Il bannit les émigrés rentrés depuis 1814. Il restitue les biens nationaux rendus aux émigrés. Il séquestre les biens attribués aux Bourbons depuis un an. Il dissout les Chambres et convoque au Champ de la Fédération une assemblée des électeurs de France, où la nation donnera elle-même ses lois.

Il martèle : ce sera le Champ-de-Mai.

Puis il se tourne vers Bertrand, il ordonne à la Vieille Garde en garnison à Metz de rejoindre son Empereur.

Quoi qu'en pense Oudinot qui la commande, la Vieille Garde obéira.

Il se retire un instant.

Et eux, mon épouse, mon fils, viendront-ils à moi ?

Il commence une lettre officielle à « Marie-Louise, Impératrice des Français à Schônbrunn. »

« Madame et chère amie, je suis remonté sur mon trône... »

Puis il prend un autre feuillet.

« Ma bonne amie,

« Je serai, quand tu recevras cette lettre, à Paris. Viens me rejoindre avec mon fils. J'espère t'embrasser avant la fin mars.

« Tout à toi.

« Nap. »

Il reste immobile. La fatigue tout à coup l'écrase. Et une inquiétude sourde s'empare de lui. Il ne les reverra pas.

Il entend les cris « Vive l'Empereur ».

Il sort de la chambre. Cette femme qui s'avance vers lui, c'est Marie-Françoise Pellapra. Elle est toujours belle, jeune. Jadis, jadis... Ici même, à Lyon, sur la route de l'Italie, ils avaient passé ensemble une première nuit. D'autres avaient suivi à Paris. Suis-je le père d'une petite fille, Émilie, dont elle a accouché après m'avoir connu ? Il en a douté.

Marie-Françoise Pellapra lui prend les mains. Il la laisse parler. Le passé ne se recompose pas. Les êtres changent. Il vient d'apprendre que Bourrienne, son condisciple à Brienne, son secrétaire si longtemps, Bourrienne devenu le prévaricateur à Paris et à Hambourg, vient d'être nommé par Louis XVIII préfet de Police de Paris. Et qu'il a tenté en vain d'arrêter Fouché - lui, Bourrienne !

Il ne faut pas se retourner vers le passé tant que l'on peut agir et avancer.

Il quitte Lyon le lundi 13 mars 1815.

Tout au long de la route vers Villefranche-sur-Saône, il aperçoit ces paysans qui le regardent, incrédules, entourent parfois un invalide qui salue militairement, ou bien tirent de leurs poches des pièces de cinq francs, examinent l'effigie gravée puis s'écrient : « C'est bien lui ! » et lancent alors : « Vive l'Empereur ! »

Qui peut m'arrêter désormais ? Les rues de Villefranche, celles de Mâcon, de Tournus, de Chalon, de Dijon sont pleines d'une foule qui m'acclame et que je fends lentement alors qu'elle s'accroche à moi.

Ney ? Mais les troupes du prince de la Moskova refusent d'obéir aux ordres d'un maréchal au service du roi. Il faut lui tendre la main. J'ai besoin de lui, de ses hommes.

Napoléon dicte au maréchal Bertrand une lettre pour le maréchal Ney.

« Mon cousin,

« Mon major général vous expédie l'ordre de marche. Je ne doute pas qu'au moment où vous aurez appris mon arrivée à Lyon vous n'ayez fait reprendre à vos troupes le drapeau tricolore. Exécutez les ordres de Bertrand et venez me joindre. Je vous recevrai comme le lendemain de la bataille de la Moskova. »

Il est persuadé que Ney prendra cette décision. D'ailleurs, des régiments arrivent, cocardes au chapeau et drapeau tricolore en tête. On dit même que les bataillons de Villejuif, considérés comme les plus fidèles au roi, ont arboré la cocarde tricolore. Exelmans, rapportent des estafettes venues de Paris, s'est emparé avec des demi-solde de l'artillerie royale de la capitale.

Plus rien ne résiste. Les maires se précipitent pour m'assurer de leur fidélité.

- Vous vous êtes laissé mener par les prêtres et les nobles, lance Napoléon au maire d'Autun. Ils voulaient rétablir la dîme et les droits féodaux. J'en ferai justice, je les lanternerai !

À Auxerre, Ney demande à être reçu. Il est penaud, mal à l'aise. Il commence à se justifier. Il présente un mémoire qui explique, dit-il, les raisons de son ralliement à Louis XVIII.

Les hommes sont ce qu'ils font. Il m'a rejoint. Parce que je suis vainqueur ? Donc, il suffit de le rester pour que Ney me demeure fidèle.

- Vous n'avez pas besoin d'excuses, dit Napoléon à Ney. Votre excuse, comme la mienne, est dans les événements, qui ont été plus forts que les hommes. Mais ne parlons plus du passé et ne nous en souvenons que pour mieux nous conduire à l'avenir.

Il ouvre ses bras. Ney s'y précipite.

Tels sont les hommes.

Le dimanche 19 mars, il monte dans une calèche. Il est l'Empereur qui rentre dans sa capitale. Un courrier galopant près de la calèche annonce que le roi Bourbon a quitté les Tuileries pour la frontière du Nord. Le courrier tend une lettre de Fouché.

« Sire, des assassins guettent Votre Majesté dans les environs de Paris. Faites-vous bien garder », écrit le duc d'Otrante.

Que leur reste-t-il, en effet, sinon à m'assassiner, comme Henri IV ?

Il donne des ordres. Qu'on garde tous les débouchés de la forêt de Fontainebleau. Mais il n'est pas question de s'arrêter avant d'entrer dans le château. Il descend dans la cour du Cheval Blanc, gravit lentement l'escalier en fer à cheval. Il s'arrête quelques secondes.

Il y a moins d'un an, le 20 avril 1814, il faisait ici ses adieux à la Garde, il partait pour l'île d'Elbe, et, sur la route, les assassins hurlaient à la mort.

Ils sont toujours là mais, ce lundi 20 mars 1815, à dix heures, il reprend possession de son château et de ses pouvoirs.

A-t-il vécu entre ces deux moments ? Il lui semble que rien n'a existé. Si étrange, ce séjour à l'île d'Elbe.

Sa vie est ainsi, comme une succession de scènes.

Il parcourt les galeries. Il retrouve son cabinet de travail, donne ses ordres. Il veut, en roulant sur Paris, passer les troupes en revue aux Fontaines de Juvisy.

Il fait quelques pas dans le parc, puis il remonte dans sa voiture.

Il a si souvent parcouru cette route entre Fontainebleau et Paris, tant de fois passé des troupes en revue. Mais il vient d'accomplir sa plus belle campagne. Pas une ombre parce que pas un coup de feu, comme il l'avait voulu, pensé, rêvé, n'a été tiré. Le peuple est venu et a tout basculé.

Le voilà, ce peuple, dès l'entrée dans Paris. Hommes, femmes, enfants courent autour de la calèche, l'entourent, la précèdent et la suivent. Les chevaux sont contraints d'avancer au pas.

Jamais, jamais, ni pour les lendemains d'Austerlitz, ni pour le sacre, jamais, jamais il n'a connu cela.

Il voit les chevaliers de l'escorte qui ne réussissent pas à écarter ces femmes et ces hommes dont il entrevoit de manière fugitive les visages.

Si son fils vivait cela avec lui. Ce 20 mars est son quatrième anniversaire ! Signe du destin. Douleur plus vive.