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Il est ému.

Connaîtront-ils ce texte, mes soldats ? Fouché et les autres tâchent d'étouffer ma voix, qui les inquiète encore. Les manifestations en ma faveur continuent à Paris. Ils doivent trembler.

Il reprend :

« Soldats, sauvez l'honneur, l'indépendance des Français : soyez jusqu'à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles. »

Il est à nouveau dans le jardin de la Malmaison. Il accueille le banquier Laffitte.

- Ce n'est pas à moi précisément que les puissances font la guerre, dit-il. C'est à la Révolution. Elles n'ont jamais vu en moi que le représentant, l'homme de la Révolution.

Il soupire.

- Il me tarde de quitter la France. Qu'on me donne les deux frégates que j'ai demandées et je pars à l'instant pour Rochefort.

Puis il entraîne Laffitte. Il a confiance dans cet homme, qui administre la Banque de France, et qui, il le sait, a géré le trésor de Louis XVIII. Que peut-on sans argent ? Rien. Il faut donc parler d'argent.

- Je ne sais pas encore ce qui m'est réservé, dit-il. Je suis encore en bonne santé et j'ai encore quinze années devant moi. Je dors et je m'éveille quand je veux, je peux monter à cheval quatre heures durant et travailler dix heures par jour. Ma nourriture ne coûte pas cher. Avec un louis par jour, je peux vivre très bien n'importe où. Nous verrons bien.

Il s'assied. Il a fait porter à Laffitte trois millions en or, pris dans le trésor des Tuileries, puis il lui confie huit cent mille francs en espèces, et ce qui reste du trésor de l'île d'Elbe. Pas loin de cinq millions en tout, n'est-ce pas ? D'un geste, il refuse le reçu du banquier. Il a confiance, répète-t-il. Il faudra, avec cette somme, pourvoir les frères, la mère, les gens de la Maison impériale, les époux Bertrand, les valets. Cent mille francs pour Jérôme et pour Madame Mère, sept cent mille pour Joseph, deux cent cinquante mille à Lucien. Et ne pas oublier Hortense, Marie Walewska, Mme Pellapra, Mme Duchâtel.

Elles viennent l'une après l'autre à la Malmaison, ces femmes de ma vie. Marie pleure, pousse son fils, mon fils, vers moi.

Il embrasse l'enfant. Il doit contenir ce flot d'émotion qui l'étouffe.

Voici Léon, mon autre fils, avec son tuteur. Neuf ans déjà depuis qu'une nuit sa mère Éléonore Denuelle de La Plaigne est venue vers moi.

Toute ma vie qui se concentre. Et manquent ma femme et mon fils légitime.

Il s'éloigne dans les allées du parc, revient vers Hortense, murmure :

- Que c'est beau, la Malmaison. N'est-ce pas, Hortense, qu'il serait heureux d'y pouvoir rester ?

Il s'assied, silencieux.

Un officier de la Garde nationale arrive, hors d'haleine. Les Prussiens de Blücher approchent. Ils peuvent tenter un coup de main contre la Malmaison.

Il rit :

- Je me suis laissé tourner.

Puis il rentre à pas lents. Prisonnier des Prussiens, jamais. Il tend à Marchand un petit flacon rempli d'un liquide rouge que le docteur Corvisart lui a donné.

- Arrange-toi pour que je l'aie sur moi, soit en l'attachant à ma veste, soit à une autre partie de mes vêtements, toujours de manière que je puisse m'en saisir facilement.

Il voit l'expression affolée de Marchand. Il lui pince l'oreille. Il ne veut pas mourir s'il peut vivre une autre vie, murmure-t-il. Mais emprisonné ici, sur le sol de France, cela ne peut être. À cette humiliation-là il préfère la mort. Il veut choisir son sort. Et qu'ensuite les choses aillent comme elles pourront.

Ce sera ma destinée.

Il entend des cris : « Vive l'Empereur ! » Un régiment de ligne longe le parc de la Malmaison. Les tambours roulent. Les voix s'amplifient. Un officier entre, explique que l'armée de Blücher s'est avancée vers Paris, seule, sans attendre les troupes anglaises.

Seule.

On pourrait battre Blücher. Napoléon se précipite vers son cabinet de travail, examine les cartes :

- La France ne doit pas être soumise par une poignée de Prussiens ! lance-t-il au général Becker, qui a été chargé par Fouché de commander les soldats de la Garde affectée à l'Empereur. Je puis encore arrêter l'ennemi, et donner au gouvernement le temps de négocier avec les puissances.

Il fait de grands pas, parle sur un ton enflammé.

- Après, je partirai pour les États-Unis afin d'y accomplir ma destinée.

Il interpelle Becker.

- Qu'on me rende le commandement de l'armée, non comme Empereur, mais comme général. J'écraserai l'étranger devant Paris. Allez porter ma demande à la commission de gouvernement, expliquez-lui bien que je ne songe pas à reprendre le pouvoir.

Il tend le bras.

- Je promets, foi de soldat, de citoyen et de Français, de partir pour l'Amérique le jour même où j'aurai battu l'ennemi.

Becker approuve, s'élance.

Je peux encore convaincre les hommes de bonne foi.

Napoléon passe dans la bibliothèque. Il attend.

Mais à Paris, qui peut accepter sa proposition ? Il marche lentement. Les Fouché, les Lanjuinais et même Davout accepteraient-ils aujourd'hui ce qu'ils ont déjà rejeté hier ? Il reçoit Joseph, qui va quitter la France pour les États-Unis.

- S'ils refusent ma proposition, dit Napoléon, je n'ai plus qu'à partir !

Il appelle le grand maréchal du Palais, annonce son intention.

- Donnez des ordres. Quand ils seront exécutés, venez me prévenir.

Becker est de retour. Il dit qu'à Paris la foule continue d'acclamer le nom de Napoléon. Mais la commission gouvernementale a rejeté la proposition de l'Empereur.

- Ces gens-là ne connaissent ni l'état des choses ni celui des esprits, murmure Napoléon.

Il quitte lentement son uniforme, revêt un frac marron et une culotte bleue. Il coiffe un chapeau rond. Il se regarde dans un miroir. Voilà l'homme de la nouvelle vie.

Partir, maintenant, le plus vite possible. Hortense pleure. Des généraux tempêtent, réclament de l'argent. Qu'on les paie, lance-t-il. Puis il va vers les siens. Adieu, ma mère. Adieu, mon fils.

Il entre dans la chambre de Joséphine.

Si loin, si proche, ce temps-là.

Et d'un pas rapide il se dirige vers la voiture.

Il est dix-sept heures trente, le jeudi 29 juin 1815.

Becker et Savary assis en face de lui, Bertrand installé à sa gauche baissent les yeux quand ils croisent son regard. Aucun d'eux ne parle.

À Rambouillet, Napoléon décide tout à coup de dormir au château. Il étouffe. L'air est lourd. Qui sait si des assassins n'attendent pas son passage sur les routes forestières ? Tant de gens rêvent de sa mort. Il veut aller au bout de sa nouvelle vie.

Le matin, lorsqu'il paraît, la foule est là, contre les grilles du château. Et les cris s'élèvent : « Vive l'Empereur ! »

Le dimanche matin 2 juillet, à Niort où il vient de passer la nuit, la foule a envahi les rues. On l'a reconnu. Les hussards qui tiennent garnison en ville manifestent à leur tour.

Il reconnaît le général Lallemand, un ancien d'Italie et d'Égypte, qui explique d'une voix haletante que l'on peut rassembler les troupes des généraux Lamarque et Clausel en Bretagne et en Vendée et ainsi ouvrir un front.

Il détourne la tête. Ces plans qu'on lui propose, ces cris qu'il entend, ces hussards qui saluent sabre au clair, ce préfet dévoué, tout cela comme un reflet déjà lointain de son pouvoir, une dernière image. Mais à se laisser prendre à ce mirage, il finirait, lui, l'Empereur, en hors-la-loi.

- Je ne suis plus rien, et je ne peux plus rien, dit-il.