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Il quittera Niort demain, lundi 3 juillet à quatre heures.

Le soir, vers vingt heures, il entre dans Rochefort. Il aperçoit dans la rade les deux frégates françaises, la Saale et la Méduse, qui doivent assurer son passage vers les États-Unis.

Et, au large, il découvre les navires anglais placés de manière à empêcher toute sortie de la rade. Leurs coques massives se découpent sur le crépuscule.

Sans l'aide de la fortune, rien ne se déroule jamais comme on l'espère.

1- Le sport répandu en Angleterre et qui symbolise pour les Français d'alors la violence et la vulgarité.

32.

Il s'est assis dans les appartements de la préfecture maritime de Rochefort. En 1808, il a séjourné là. Il était au sommet de sa gloire et de sa puissance. Qu'est-il maintenant ?

Il écoute le préfet maritime Casimir de Bonnefous. Cet homme qu'il a nommé l'a, bien sûr, comme presque tous, trahi.

Il s'est rallié à Louis XVIII et a accueilli dans ce lieu même le duc d'Angoulême, qui tentait de dresser en mars 1815 les populations de l'Ouest contre moi. Quelle confiance lui accorder ? Il sera l'instrument docile des décisions prises à Paris. Et que veut-on faire de moi ? Me laisser gagner l'Amérique ? Les Alliés n'ont pas délivré de sauf-conduit. Et il faudrait forcer cette croisière anglaise qui, avec ses navires, tient les passes. Et pourquoi les traîtres de Paris ne souhaiteraient-ils pas mon naufrage et ma mort ou mon arrestation ? Talleyrand est devenu Premier ministre de Louis XVIII ! Et Fouché, son ministre de la Police ! Qu'attendre de ces hommes-là, que j'ai percés à jour depuis des années et qui veulent ma perte ? Ils chercheront à me livrer pour montrer leur servilité. Et Fouché voudra ainsi faire oublier qu'il est un terroriste et un régicide, et qu'il a traqué pour moi les royalistes tant qu'il a cru à la solidité de l'Empire.

Je ne veux leur faire cadeau ni de ma mort ni de ma dignité.

Mais que décider ?

Je n'ai plus de certitude, je ne vois plus de voie droite et ascendante.

Je vois des marécages, et le risque du ridicule et du sordide. Ou bien l'échec d'une aventure désespérée.

Il fait quelques pas hors du bâtiment, et aussitôt il entend les cris de la foule. On l'acclame encore. On crie : « Ne nous abandonnez pas ! »

Il reçoit une délégation des habitants et des soldats. Ces hommes l'adjurent de ne pas quitter la France, d'animer la résistance.

Il montre d'un geste des deux mains sa tenue civile.

- Mes amis, mes conseils et mes avis ont été dédaignés, rejetés. Les ennemis sont à Paris.

Il secoue la tête.

- Je ne dois pas ajouter les horreurs de la guerre civile à l'invasion étrangère.

Il faudrait donc partir au plus vite. Mais comment ? Mais où ?

Voici Joseph, anxieux mais déterminé. Et quoi que j'aie pu penser de lui, il est là, aujourd'hui, comme un frère aîné, décidé à m'aider.

Mais je suis Napoléon Bonaparte, accompagné d'une maison de soixante personnes ! Je ne suis pas un fuyard, un souverain poursuivi. J'ai décidé d'abdiquer en conscience. La loi doit me protéger.

Il reçoit Las Cases. Il apprécie depuis les temps de l'adversité cet ancien émigré, officier de marine, qui a combattu avec l'armée de Condé mais s'est rallié à l'Empire en 1806.

J'ai fait de lui un conseiller d'État. Qu'il soit mon chambellan, qu'il note mes propos s'il le veut, lui qui a obtenu un si grand succès de librairie avec un Atlas historique chronologique et géographique. J'aime voir Las Cases avec son fils Emmanuel. Las Cases veut me suivre là où j'irai.

Où irai-je ?

On a interdit au bibliothécaire Barbier de faire parvenir à Napoléon les ouvrages demandés sur l'Amérique et les campagnes de la Grande Armée.

Il remarque mille signes inquiétants. Ici et là, sur certains bâtiments publics, apparaissent les premiers drapeaux blancs. Le plus puissant des navires anglais, le Bellerophon, s'avance dans la rade et arbore la couleur royale.

Mes ennemis se rapprochent. Ils veulent me prendre au piège.

Il interpelle le général Gourgaud. Il sait qu'il peut avoir confiance en lui.

Cet artilleur est brutal, colérique, peu diplomate, mais c'est un fidèle. Il a détourné de moi, lors des combats de Brienne, une lance cosaque. Il est prêt lui aussi à m'accompagner en exil.

- Eh bien, dit Napoléon, donnez l'ordre d'équiper des embarcations pour l'île d'Aix. Je serai là, près des frégates, et me trouverai en mesure d'embarquer si les vents veulent tant soit peu favoriser cette sortie.

C'est le samedi 8 juillet 1815. Près du village de Fouras, il descend du sommet de la dune vers la plage. Toute la population est rassemblée. La mer est agitée. Pourra-t-on aller jusqu'à l'île d'Aix ?

Il se tourne, salue de la main.

- Adieu, mes amis.

Le vent porte les voix qui crient « Vive l'Empereur ». Il marche lentement. Il quitte le sol de la France continentale. Il grimpe sur les épaules d'un marin qui entre dans l'eau, le porte jusqu'au canot.

Les vagues balaient l'embarcation. On n'atteindra pas l'île. Désormais, il le sent, rien ne sera facile. Tout est contraire. Il donne l'ordre de se diriger vers l'une des deux frégates, la Saale.

Il monte l'échelle de coupée. Le navire arbore encore la flamme tricolore. Les officiers saluent, sabre au clair. Les marins sont au garde-à-vous. Mais il suffit d'un regard au capitaine Philibert pour savoir que l'homme est embarrassé. Et il exécuterait l'ordre de son ministre lui demandant d'arrêter l'Empereur.

Cette frégate, ce peut-être une prison.

Il arpente le pont, la cabine mise à sa disposition. Il veut, dès que le temps le permettra, aller visiter l'île d'Aix.

Il y débarque le dimanche 9 juillet. Il s'enfonce dans la terre meuble. C'est le sol de France. Peut-être est-ce la dernière fois qu'il le foule. On l'acclame encore. Il passe les troupes en revue puis visite les fortifications. C'est lui qui, autrefois, dans cette autre vie qui fut la sienne, ordonna ces constructions, ces grands travaux.

Ce pourrait être ici ma dernière forteresse.

Les soldats crient : « Ne nous quittez pas ! » Des officiers s'approchent, lèvent leurs épées : « À l'armée de la Loire ! » lancent-ils.

Il rentre cependant à bord de la Saale. Il a besoin de savoir quelles dépêches sont parvenues à la frégate. Il les parcourt. Le gouvernement le proscrit. Et, derrière les mots qui l'invitent à quitter au plus vite le sol national, il devine d'autres intentions qui se profilent. On veut le décréter de bonne prise.

Le nouveau ministre de la Marine Jaucourt a dû s'entendre avec les Anglais pour se faire lui aussi pardonner par Louis XVIII de m'avoir servi.

C'est avec ma vie et ma liberté qu'ils veulent tous payer le sauf-conduit qui leur permettra d'entrer dans les cercles du nouveau pouvoir. Et il en est de même pour tous ceux qui ont un bien, une situation à défendre. Les journalistes, toujours à gages, m'appellent déjà dans les gazettes reçues ici « l'Usurpateur ».

Ils ne me prendront pas ainsi.

Il quitte la frégate la Saale pour Aix. Là, il s'installe au premier étage de la petite maison du commandant de la place. Il ne dort pas. Il écoute les avis. Le commandant Ponée, de la frégate la Méduse, propose de forcer la croisière anglaise et de se sacrifier avec son navire et son équipage en abordant le Bellerophon. Pendant ce temps, l'Empereur embarqué sur la Saale gagnera le large.