Evaluer la quantité rassemblée est presque impossible. D'après moi, cela représente plusieurs centaines de kilos.
Sans plus attendre, je remonte dans la fosse et, de là, dans l'atelier.
Mon turlu de gousset me permet de contacter la brigade des stupéfiants.
J'expose le topo et conclus :
— Arrivez sur la pointe des pieds, mes drôlets. Il convient d'établir une souricière ouatinée car il me faut toute l'équipe, depuis le grand patron jusqu'au mec qui rallume ses cigares.
22
Le prodige fit que les trois intimes de San-Antonio : Béru, Pinuche et le Négus se retrouvèrent simultanément à la Maison Poulardin après leur enquête sur les six personnes figurant dans le carnet d'Yvan Dressompert.
Ils eussent pu arriver à intervaux espacés, mais non, ils se rencontrèrent dans le vaste hall de la Cabane Bambou comme dans une comédie de boulevard.
S'exclamèrent sur ce caprice du hasard et grimpèrent de conserve jusqu'au bureau du célébrissime San-A. Le surhomme étant absent, ils s'y installèrent pour l'attendre.
Bérurier, se promouvant chef du groupe, prit l'initiative.
— La pêche a t'été bonne ? questionna-t-il.
César Pinaud (dont la teinture capillaire avait fini par sécher) hocha sa tête chenue.
— En ce qui me concerne, déclara-t-il, ça a été réglé rapidement : mes deux « clients » sont décédés.
— Pas possible ! s'écria Jérémie : les miens également. Tués ensemble dans un accident de télécabine.
— Pareil pour moi ! s'exclama la Pine.
Béru, qui se réservait pour la bonne bouche, intervint à son tour :
— Pavanez pas, les mecs. Mes zigus ont fait de même !
Nos amis passèrent rapidement et sans difficulté de l'étonnement à la stupeur. Confrontant leurs fiches, ils s'aperçurent que les six personnages (en quête de hauteur) s'étaient abîmés de concert, quatre mois auparavant, dans la station alpine de Pran-Deloigne, en Savoie ; suite à la rupture d'un câble, leur cabine s'était décrochée à mille cinq cents mètres d'altitude. Huit touristes l'occupaient : deux sportifs belges et les hommes sur lesquels San-Antonio avait demandé d'enquêter. Comme il ne pouvait s'agir d'une coïncidence, nos limiers d'élite décidèrent de pousser les recherches sur ces gens.
Constatant que San-Antonio ne réapparaissait point, Jérémie laissa un mot sur la table de travail, après quoi ils repartirent au charbon. A l'exception de César, qui s'en alla négocier les confidences promises par Ma Gloire en échange de la seringue compromettante.
La Pine passa par le labo et demanda à Mathias de lui remettre l'objet délictueux. Le Rouillé lui donna une réplique de cette pièce à conviction. Nanti de l'objet, la Vieillasse partit pour l'hôpital, tenir son rôle de ripou.
Cet emploi de maître chanteur ne lui messeyait pas et même l'amusait. Il est beaucoup plus attrayant pour un honnête homme de jouer les fripouilles que l'inverse.
En quittant l'ascenseur, il fut charmé par le spectacle d'une agréable infirmière qui remettait son collant en place.
Cet être aimable appréciait les scènes de qualité et remercia le hasard de lui en fournir une en cet instant fortuit, aussi fut-ce d'un cœur primesautier qu'il toqua à la porte de Titan.
Nul ne lui répondant, il se permit d'entrouvrir l'huis et eut droit à l'émouvante vision de l'académicien endormi avec, sur la poitrine, l'un de ses livres qu'il n'avait jamais eu encore l'occasion de lire.
Saisi par la majesté de l'image, Pinuche s'approcha jusqu'au siège de chevet, s'y déposa et consentit un sursis au dormeur.
Ce moment si calme lui fit l'effet d'un nuage de brumisateur lesté d'eau de rose.
D'un tempérament somnolent, il abaissa ses paupières plus fripées qu'une vessie de porc séchée[30].
Il n'eut pas conscience de ce sommeil.
Sut qu'il cessait lorsqu'un bruit de vaisselle brisée se produisit dans le couloir, par la faute d'une femme de service aussi maladroite que maghrébine.
Revenu aux réalités, il regarda Ma Gloire, pensant que ce vacarme venait également de le réveiller. Mais il n'en était rien : l'Illustre roupillait toujours, comme s'il se fût trouvé dans son fauteuil de l'Institut. Décidant de mettre un terme à cet endormissement, notre Chétif secoua la main du Maître.
La jugea froide.
S'aperçut qu'il était mort.
César Pinaud prit ce décès pour une trahison. Déplorant ardemment de n'avoir pas agencé les choses la veille, au lieu de finasser et d'affûter son rôle de maître chanteur. Maintenant, il était trop tard.
Il eut l'impression de déchoir et en éprouva une peine qui le fit pleurer. S'étant quelque peu ressaisi, il donna l'alerte.
En l'absence du professeur, l'un de ses adjoints vint constater le décès. Garçon tout en nez, aux cils farineux, il se prenait pour quelqu'un de considérable mais devait éprouver des difficultés à faire partager cette conviction à son entourage.
Il regarda hâtivement le défunt et conclut à une crise cardiaque, ce que l'infirmière qui l'escortait, une gaillarde chamarrée de bourrelets, mit en doute.
Le dadais au museau de tapir en prit ombrage et contesta. Pour lui juguler la rogne, la chère femme, qui connaissait son métier, retroussa les lèvres du mort et montra que sa bouche était bleue. Vaincu par l'évidence, le connard ferma la sienne.
Cher Pinuche observait en silence et sagacitait ferme. Il produisit au duo hospitalier son ancienne carte de police qu'il conservait jalousement, comme nos mères leur couronne de mariée sous une cloche de verre.
— A quand remonte le décès ?
— Deux bonnes heures, répondit l'infirmière après avoir palpé le cadavre.
— Donc, aux alentours de quatorze heures ?
Agacé de compter pour du beurre rance, l'interne foutit le camp dans des maugréances.
La Pine murmura :
— Ma Gloire est resté, par conséquent, plus de deux heures sans surveillance médicale ?
— Le professeur jugeait qu'il n'en avait plus besoin. Nous venions lui donner ses médicaments ou répondre à ses appels.
— Il a reçu des visites ?
— Une seule : celle de son homme d'affaires.
— A quelle heure ?
— Midi et demi.
— Est-il demeuré longtemps à son chevet ?
— Non, pas très, disons un quart d'heure.
— Avez-vous revu le malade après son départ ?
— Il a sonné pour réclamer de l'eau minérale.
— Comment l'avez-vous trouvé à ce moment-là ?
— Tout à fait normal.
— Vous n'avez rien remarqué de particulier dans la pièce ?
— Non.
— Vous êtes donc allée chercher cette bouteille d'Evian et la lui avez ouverte ?
— Exactement. Il en a bu un verre et a déclaré qu'il allait dormir car sa nuit avait été mauvaise.
Le retraité caressa sa moustache.
— Quelle est la nature du poison ? questionna-t-il du ton que prend le surintendant Mac Heussdress dans un film policier britannique.
La forte femme hocha la tête.
— Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais je pencherais pour une substance toxique du genre cyanure, à cause de sa bouche bleuie.
— Effet spontané ?
— Je suppose. Une autopsie le précisera.
— Qui d'autre, en dehors du visiteur, aurait pu pénétrer dans cette chambre ?
— Je n'en sais rien. Puisqu'il y a un policier en faction devant la porte, c'est à lui qu'il faut le demander.