Выбрать главу

Ne voulant pas t'infliger un procès-verbal de pandore, je te résume.

Elles sont trois folles guêpes partouzardes qui draguent le riche micheton sur le retour. Ces chéries ont pu constater que le septuagénaire fraîchement converti offre une aubaine idéale. Sa sève subsistante l'invite à des dépravations qu'il n'a jamais pratiquées auparavant. Comme tout initié, il est prêt aux excès.

Les trois amis ont su mettre leurs pattes de velours sur l'académicien, l'ont entraîné loin dans la perversion et l'ont photographié en cours d'ébats. Ces images seraient susceptibles de ruiner sa réputation si elles cessaient d'être confidentielles.

Aujourd'hui marque l'anniversaire du grand homme. Aussi a-t-on décidé d'organiser un dîner de têtes en son honneur. Le Premier Empire se trouvant à l'ordre du jour, le thème de la fiesta prévue a été tout naturellement Napoléon, d'où ces déguisements. La réception doit avoir lieu dans une hostellerie réputée des environs : La Cage d'Or, à partir de vingt heures.

— Un instant ! l'interromps-je.

Je m'approche de Mathias, toujours en plein flirt avec la défunte chochotte.

— La mort de ces gens remonte à quand ?

Il hausse les épaules :

— Trois ou quatre heures.

Je consulte ma toquante.

— Soit entre douze et treize heures ?

— L'autopsie t'apportera une réponse plus précise.

— Donc, depuis midi, personne n'a ramené sa fraise (Henri III) au manoir ?

In petto, j'ajoute : « A l'exception du père Félix. »

Accaparé par ces constatations, le Rouque ne juge pas opportun de répondre. Cézigus dirige le laboratoire de Police technique. Il n'est pas officiellement médecin légiste, mais en sait plus long que le code civil sur les questions morticoles et leurs dérivés ; je le sollicite volontiers sur les affaires de meurtre.

Ney n'a pas un meilleur sort dans mes books que dans l'Histoire[8]. Voyant qu'il commence à remuer des épaulettes, je réinterviens.

— Ne vous agitez pas ! conseillé-je au prince de la Moskva en lui mettant une délicate talonnette sur la glotte.

Il juge mon conseil judicieux et se rendort, façon chérubin que sa nounou vient de branler, comme ces chères femmes le faisaient au bon vieux temps ; thérapie grandement préférable au Phénergan, toutes les nurses compétentes te le confirmeront.

Revenu auprès de Joséphine, je dépose sur ses genoux mon légendaire calepin à couverture de moleskine noire.

— Ecrivez votre nom et ceux de vos copines, ainsi que les adresses.

La langue pointée, elle s'exécute, gentille écolière pleine de bonne volonté.

Coup d'œil à son devoir de vacances.

— Olympio, c'est vous ?

Battements de ses longs cils en poils pubiens amidonnés.

— Et Guy, le pauvre défunt ? Norman, le gisant à la mâchoire d'argile ?

— Exactement.

— Vous demeurez à la même adresse ?

— Les parents de Guytou sont morts dans un accident, il s'est retrouvé seul dans leur grand appartement de l'avenue Paul-Doumer…

Cela allait de soi.

— Comment se fait-il que le gentil Guy[9] soit arrivé ici avant vous ?

— Gros Poutou a téléphoné ce matin en lui demandant de venir le premier.

— Cela se produisait fréquemment ?

— Parfois, son humeur l'incitait à réclamer la présence de l'un de nous : besoin de tendresse.

— Et aujourd'hui fut le tour de ce malheureux ?

— Hélas !

La pauvre biche met la main devant ses yeux beauharniens et éclate en sanglots.

Je respecte sa détresse.

— Coup dur pour vous deux, remarqué-je : votre logeur refroidi, le micheton dans le coma, et la police sur les endosses. Comment est-il venu ici, le chérubin ?

— Gros Poutou l'a envoyé chercher par son chauffeur.

— Il en a un ?

— C'est un retraité des taxis habitant le quartier qui lui en tient lieu.

— Son nom ?

— Montmajour, je crois me rappeler, comme l'abbaye de Provence ; il demeure au bout de l'avenue.

Voilà qui justifie une ligne supplémentaire dans mon fameux carnet.

Je cherche Jérémie du regard. D'un imperceptible acquiescement, il m'indique qu'il fonce interviewer l'ex-collaborateur de la G7[10]. Je te le répète : ça fonctionne rond, nous deux.

Pour laisser à Joséphine le temps d'essorer ses pleurs, je retourne à l'Embrasé.

— Tu en as encore pour longtemps ?

— J'ai terminé, le légiste prendra le relais.

— Premières réflexions ?

Il se dresse, m'entraîne dans l'antichambre.

— Ces meurtres n'ont pu être commis par un homme seul, assure le planteur de spermatozoïdes ; si je peux me permettre cette formulation : l'ASSASSIN ÉTAIT DEUX !

5

— Faut qu' j'vais d'mander à Félisque de fectuer des r'cherches plus poussives ! fit l'empereur-à-forfait en tentant de décoincer sa braguette à la fermeture Eclair de laquelle manquaient deux dents (il en manquait bien davantage à sa propre mâchoire). Tu voyes pas, ma belle, qu' j'soye l'héritier naturel d'Napo ?

— Qu'est-ce tu f'rais ? s'enquit l'éventuelle impératrice ?

— J' vendiquerais mes droits !

— T'sais bien qu'on est en République, mon pauv'.

— Un' République qu'a tourné comme la mayonnaise, ma grosse ! Un' République d'noces et banquets qu' personne n'y croive plus. Y a pas si lurette, quand un homme d'Etat causait à la téloche, tout l'monde s'arrêtait d'claper ou d'visionner Zorro su' un' aut' chaîne. A présent, sitôt qu'tu voyes surgeindre un quéconque chef d'parti, c'est la fuite aux abris ! La monstre carapate ! Tu t'branches su' n'importe quoive, n'importe où… Tu préfères mater la pube su' la pauv'dame perdant d'la valve et licebroquant dans ses jupailles ; n'ou bien un documentaire su' la chauve-souris femelle qui reste enfoutraillée des mois avant d'êt' fécondante. La population en a quine des blablateurs à mandats ! Ell' va plus voter ! L'premier gonzman se pointant pour prend' l'pouvoir n'a qu'à s'baisser pou' l'ramasser. Alors si moive, Béru, citoilien irréprochab', se pointe en annonçant qu'il est l'descendant de l'Emp'reur, j' t'prille d'croire qu'ça fait un cri dans la lanterne haute, fillette. J'passe à l'unanimisme, plus un' voix !

Elle l'écoutait, charmée par l'énergie de son jules, amoureuse de lui à nouveau ; presque dominée !

Elle questionna cependant :

— C'est quoi t'est-ce, l' paquet, su' la table ?

Peut-être espérait-elle un cadeau ?

— Tu vas voir, fit-il d'un ton gourmand.

Et il sortit du papier un bicorne napoléonien, agrémenté de la cocarde.

S'en coiffa.

— Où c'qu'tu l'as déniché ? béa Berthe.

— Chez un costumeur du Palais-Royal, c'tait la plus grande pointure.

Il s'en fut chercher son impérialité dans la glace, l'y débusqua et se perdit dans une fascination suave.

Sa bouille porcine planturait sous le légendaire couvre-chef qui lui donnait l'air totalement con.

— Tu voyes un' différencité ent'moive et lui ? questionna le Mastard.

— Non ! répondit-elle, impartiale.

Ils en étaient là de leur délectation quand on sonna.

Berthe s'en fut délourder.

— M'sieur Félisque ! cantonada-t-elle d'une voix lubrifiée par la reconnaissance.

Elle convoya triomphalement leur ennoblisseur jusqu'au salon.

— La vache ! T'en jettes ! s'écria le Mahousse, surpris par l'élégance inhabituelle du bonhomme.

вернуться

8

Rappelons qu'il fut fusillé par la Restauration après avoir passablement déconné à Waterloo.

вернуться

9

J'ai eu un ami Guy dont le patronyme était Dondecourse.

вернуться

10

Fameuse compagnie de taxis parisiens.