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Il se sentit soudain très seul.

* * *

Malko allait atteindre le Fisherman’s Cove lorsqu’une silhouette émergea brusquement de l’ombre.

Un Noir très grand dont il distinguait à peine le visage lui barrait la route. Malko stoppa, le cœur dans la gorge. Le Noir demanda d’une voix douce :

— Ti parles français ?

— Oui, fit Malko, imprudemment.

Aussitôt l’autre tendit la main et continua d’une voix geignarde :

— N’a pas roupie, n’a pas manger.

Malko faillit éclater de rire : il avait vu le vieux mendiant sur la plage, l’air compassé, essayant de vendre aux touristes quelques vieux fruits contenus dans un carton en équilibre sur sa tête. On s’en débarrassait pour quelques roupies.

Malko lui montra son maillot.

— Je n’ai rien.

L’autre hocha la tête.

— Bonsoi’alo’, bougeois[7]. Que Bon Dieu aider moi…

Il se détourna et repartit dans son trou d’ombre.

Malko retraversa silencieusement la pelouse de l’hôtel jusqu’à la première rangée de bungalows. En passant devant celui voisin du sien, il aperçut un rai de lumière filtrant entre les rideaux de la porte-fenêtre. Automatiquement, il regarda. Dans son métier, la curiosité n’était pas un vilain défaut, mais une nécessité vitale. Aussitôt, il eut l’impression qu’on lui injectait un fluide brûlant dans ses veines.

La silhouette d’une femme agenouillée contre le pied d’un des lits jumeaux, le visage dans les draps, les bras étendus devant elle, se devinait dans la pénombre. Un homme la tenait aux hanches, agenouillé contre sa croupe, s’éloignant et se rapprochant à gestes lents. Une scène d’un érotisme intense. Malko détourna son regard : il n’avait rien d’un voyeur. Néanmoins, troublé, il regagna sa chambre et s’y enferma. Sa Seiko-Quartz indiquait minuit et demi. Tout l’hôtel dormait. Sauf sa voisine.

Il s’allongea, pensant au cargo disparu et à l’homme kidnappé à l’hôpital et torturé.

Que lui avait-on fait avant de le jeter aux requins ? Il pensa avec émotion à l’inconnu qui avait lutté tout seul contre la souffrance, essayant de protéger son camp, sachant que la mort était au bout du tunnel. Dans le monde parallèle, il y avait rarement des prisonniers. Lorsqu’on se découvrait, c’était pour tuer. Le couple qui faisait l’amour à côté, ne connaissait pas ce genre d’angoisse.

Malko réalisa soudain qu’il n’avait pas d’armes et qu’il avait oublié de demander à Willard Troy de lui en procurer une. C’était pourtant le travail de la Station. La valise diplomatique n’était pas faite pour les chiens… Depuis la généralisation des contrôles dans les aéroports, il laissait de plus en plus son pistolet extraplat à Liezen. Pour qu’Elko Krisantem puisse faire peur aux voleurs…

Ce dernier devait être en train de lutter contre les plombiers locaux. Grâce à sa mission à New York, Malko s’était offert une chaudière de chauffage central flambant neuve. Mais, avec cette merveille ultramoderne, tous les tuyaux menaçaient d’exploser sous une pression à laquelle ils n’étaient plus habitués.

C’était une des raisons pour lesquelles Malko avait repris son baluchon de commis-voyageur en mort subite.

Direction : les Seychelles. Perle de l’océan Indien. Sans même s’en rendre compte, il bascula dans le sommeil.

* * *

Malko se réveilla en sursaut et se dressa dans l’obscurité, le cœur battant la chamade. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser où il se trouvait et calmer son angoisse. Quelques années du métier de barbouze lui avaient donné un sommeil léger et des nerfs sensibles. Sa vie en avait souvent dépendu. Son subconscient déclenchait la sonnette d’alarme au moindre élément inhabituel.

Il calma les battements de son cœur, guettant le bruit qui l’avait arraché au sommeil.

Des gémissements syncopés, étouffés par la cloison, s’enflant et diminuant à un rythme remarquablement régulier. Le cri d’une femelle humaine en train de faire l’amour. Et apparemment, d’y éprouver un plaisir certain. Il ferma les yeux, décidé à se rendormir. Le Fisherman’s Cove était l’endroit idéal pour une lune de miel.

Les gémissements de l’inconnue continuaient, syncopés, avec de brusques plages de silence, puis recommençant dans un crescendo jusqu’à un cri aigu. D’abord amusé, puis agacé, Malko finit par en être troublé. Ces cris supposaient un tel déchaînement qu’il ne pouvait s’empêcher de mettre des images sur les sons.

Des images qu’il n’avait aucun mal à deviner.

Dix minutes plus tard, il se leva. Sa mission aux Seychelles commençait bien ! Si cela devait être comme cela toutes les nuits, il allait changer de chambre. Il avait autre chose à faire qu’à draguer une vacancière esseulée pour se changer les idées.

Les bruits et les soupirs se prolongeaient, révélant une riche nature. Il ne pouvait quand même pas taper sur la cloison.

Doucement, il traversa sa chambre, fit glisser la porte-fenêtre et se retrouva sur la pelouse dominant la plage. La température était délicieusement douce. L’océan Indien scintillait sous la réverbération de la lune. On entendait vaguement le bruit de la mer.

C’était idyllique. Mais pas en solitaire. Malko regrettait de ne pas avoir emmené Alexandra, sa fiancée de toujours, ou quelque autre créature de rêve. Mais ses missions lui apportaient assez de tension, sans y mêler sa vie privée. D’où il était, les gémissements de l’inconnue était encore plus perceptibles. Ce couple était infatigable !

Malgré lui, il guetta la montée des soupirs qui se transformèrent en gémissements, puis en grognements rauques, enfin en cris entrecoupés d’onomatopées. Deux mots revenaient sans arrêt Zé nehedar ! Zé nehedar. Une langue inconnue de lui. Pourtant, il en parlait huit parfaitement. Assis sur une chaise-longue, il suivit avec un intérêt qu’il essayait de maintenir détaché la montée vers le plaisir de l’inconnue. Cela s’acheva dans un grognement rauque, comme un animal qui expire. Furieux, il imaginait les corps soudés, l’odeur du plaisir, l’homme abuté dans sa partenaire, les mains crispées sur les hanches… Toute la magie de l’amour.

Le silence était retombé. Un nuage cacha la lune. Cette fois, cela paraissait bien fini… Malko prit encore l’air un moment puis regagna sa chambre. Il était curieux de voir à quoi ressemblait cette inconnue si gourmande.

Il se coucha, mais ne parvint pas à s’endormir. Pour chasser son trouble, il se mit à penser à Liezen, entre les mains fidèles de Elko Krisantem. Grâce aux subsides arrachés à la CIA, une nuée de plombiers creusaient des trous dans les murs vénérables du château afin de donner un exutoire à la nouvelle chaudière de chauffage central, offerte par l’agence de renseignements.

Au prix d’un petit chasseur bombardier.

Et les tuyaux cédaient les uns après les autres.

* * *

Un lézard bleu fila dans le soleil qui achevait de faire fondre le beurre de Malko en train de prendre son petit déjeuner sur la terrasse de plain-pied avec la pelouse. Il commença à feuilleter l’épais dossier posé sur ses genoux.

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7

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